Christian Prigent, Les Enfances Chino

27/03/2013 — Christian Prigent


C’est que la littérature ne « décrit » pas, elle se saisit, dans la peinture, de quelque chose qui est une possibilité plastique, un moment de coagulation de son propre sujet fantôme et, surtout, la solution transitoire d’une malléabilité de la réalité (c’est-à-dire cela même dont la littérature opère une sorte de dégrèvement pour la construction de son sujet).

Jean Louis Schefer [1]


Aux enfants

« A zo aman zo eun teuz »

« A zo eun teuz, disait ton grand-père qui savait causer. Je traduis pas, t’as qu’à savoir. Juste cet indice : teuz = lutin. Et pas qu’un : milliers à l’époque. Autant de nos jours car c’est résistant même au DDT, plus costaud du gène que le doryphore fléau des patates. Ils habitent des huttes dans des alvéoles qu’ignore le touriste sur le Méné-Bré avec leurs copains, les nains de jardin. D’autres en lotissements format minuscule au bois de Beffou que tu vois au loin faire sa vosge de ligne bleue à plat quand tu goûtes les crêpes chez la tante Soizic qui en sait un bout sur leurs agissements. Elle t’a dit à l’oreille qu’ils viennent hi hi hi la nuit à motocyclette discrète pour te tirer ha ha les vers ho ho ho ho du nez. Ça, c’est les gentils. Les méchants te cornent le coquin de sort aux ouïes. Après tu bourdonnes : c’est les acouphènes en parler moderne. On devient marteau avec le battant de cloche qui cogne à demeure tocsin dans la tête. Attends-toi à ça : ils n’aiment pas qu’on mente. T’entendras sans cesse bruire ta menterie comme perce-oreille dans ton coquillage. [2] »

Au pays des korrigans, la littérature lutine [3]. C’est pour te mieux mettre le sens en éveil, mon enfant. On s’en expliquera [4].

Mais pour l’heure, en avant route ! avec Chino, le héros. Puisque cela vient ainsi : l’heure, la route, le héros.

L’heure, ouvrez le livre (9) : un dessin reproduit Les Jeunes (ou La Lettre) : c’est Goya en doux, jeunesses et lubricités (le chien à la lettre ne se tient pas), social néanmoins : lavandières du jour, bruit rétinien du battoir ; sur le bord en haut à gauche, un gamin façon années milieu des années 50. Emprunt à Avant la télé (Yvan Pommaux [5]) révèle bibliographie. Idem, in fine (563), le même qui tourne le dos : Rideau ! Quid est ? passés nous sommes du mitan du jour à la tombée de la nuit. La route : troménie. On est en Bretagne ! Saint Brieuc-des-choux (Jarry), alias saint Berrieu, ou encore (traces) sant Brieg, territoire cléricaricaturalement balisé, in illo tempore ; mais non pas sept saints (guérisseurs), on s’en serre cinq en guise de stations : Divy, un boîteux (thalgus valgus oblige), un Meen en déplacement, un Vuydeboyau (patron des coliquards, pas du cru), une pissouse sanctifiée requalifiant une chiotte identiquement canonisée (accroupie en plus poli(e) (498)), de l’héraldique chiot, donc, le féminin, car chiot chiard se traduit ; plutôt mité en effet, mais pas aux abois, connu de Ceux qui merdRent (Jarry bisse [6]). Mais d’où à où ? géographie pathétise et le Lannou en perd le train. Le héros ? frère joasse, (au) gallo modo Chino Le Cam, i. e. François (premier), patronyme idem et ses alters egos : Fanch Le Merer, François Broudic, Francisco Pilar et même un cinquième que les orphies envoient aux Enfers, Le Floc’h dénommé (requiescat).

Quid est encore ? page 12 : « Ainsi paraît l’enfant Chino » ; page 563 (fondu au noir) : « Ainsi disparaît le presque ado Chino. »

Est-ce à dire, roman d’éducation ? de formation : appel décisif, pourquoi pas ?

Celui d’un immense bonheur de lecture (s) ; on ne saura évidemment retraduire, restituer toute la force ; s’autorisant cependant avec assurance ce conseil : se donner, autant que possible, le temps de la lecture ininterrompue, qui correspond grosso modo au trajet de l’artiste en bientôt jeune homme, soit une bonne demi-journée. Privilège rare, joie. Que de l’un à l’autre à qui cela sera donné (et surtout reçu) se communique : sur le désir de littérature il n’y a décidément pas à céder [7], leçon renouvelée de ce livre. Et leçon, c’est contagion secrète, intus, in cute [8]. Des puissances autres de la littérature. Ici, on Y est.

Reprenons, un jeune garçon, milieu années cinquante, dans l’indécision propre à son âge, va en les lieux [terme biblique] qui sont les siens, subodorer (c’est le mot) ce qui l’attend, et confronté à d’autres figures de lui-même, d’un lieu et d’un temps bien délimités, comme l’on dit, en prendre de la graine. Car il a du nez, notre garçon, et des yeux, des oreilles [entend même le son blanc, sans qu’il soit du semblant (450)], et en cet âge qui est le sien, l’esprit comme aux filles lui vient [en décalé], car il scrute. Bref l’équipement requis, quoique pataud, comme dit le héraut : « Tu t’es ridiculement harnaché pour ce monde » (Kafka, exergue du livre). Où ça se passe ? vau quelque chose (par exemple Vau-Méno de doulce mémoire), car ru y passe, Doux-Venant nommé (ruisseau de Douvenant étymologiquement remotivé, on risquerait volontiers : d’où venant ? ce serait la question, pour y aller, et, rubicond, s’affranchir), et quoi ? « une certaine odeur de lessive » C’est là, qu’en ce temps-là (Grand-mère passe [9]), tout commence. Au lavoir donc.

Moment fondateur ? (une scène primitive ? [10]), je me souviens : « C’est du lavoir que j’ai écrit. » Ici se signale Élisabeth Bing, et Je nageai jusqu’à la page, qui relate ce souvenir d’enfance, qu’elle développe dans Ce livre que mon père écrivait [11]. Et c’est la Stimmung, propre à un temps, un lieu (Côtes-du-Nord), un âge et un sexe, qui se déploiera, moyennant aventures épiquement proportionnées, vie qui va, s’en va (Le Floc’h (grumeaux amers dans la soupe de biles), partie (Pablo Pilar, page deux hier rubrique région (nécrologie)), passage en revue des possibles (cinéma des familles, controverses sur l’école [12], puisque lieu supposé des passages). On y reviendra. N’oublions pas Goya.

Un encadré déclare :

Les Jeunes à leur manière encadrent le livre, on devine sans peine leur puissance de suggestion ; indiquons simplement que plus d’une soixantaine d’œuvres du peintre aragonais seront mentionnées, parmi lesquelles les Caprices, les Désastres, les Disparates ont la plus grande part, ce n’est sans doute pas à négliger (plus qu’elles ne s’accordent à tel mot, telle expression, ce qu’elles font aussi souvent, elles disent un paysage, ou un climat de l’âme [13]. Ces notes sont discrètes ; leur insistance, au moins numérique, fait sens. Certaines intriguent, comme Le Vol des sorcières, capirote est bien masculin [14], ou Asmodée pour soulever le toit, qui le ferait surprendre cette Femme en battant une autre à coups de chaussure [15] en « illustration » de : « Des fois ils s’avivent le sang du cul à coup de semelle pour s’apprendre à vivre moins coincé dudit. » C’est page 240, du 14° chapitre - il y en a 36, celui-ci intitulé : Horizontal végétal, puis vertical social.

Prenons, puisqu’il se présente, ce chapitre, le poème de ses inter-titres : « vu ras le gazon — gros plan sur sabot — retour terre à terre aux affaires — Fanch, CV — Chino, le nietzschéen — un peu de sociologie — Chino s’éveille à la conscience politique », comme notre affineur d’optique, zoomons pour un morceau d’anthologie, c’est le pied :

« Un léger recul pour identifier. C’est rond, dur, pointu du bout. Du cuir en arceau sur le cou-de-pied, tout bouseux fendillé. C’est un sabot. Néglige la chaussette. Car après, c’est chaud : ah, le pied d’un homme. L’homme est au-dessus, on peut supposer, comme toit du pilier qu’on appelle jambe quand il est vivant. Il va déclarer que l’aube est levée et Chino avec. Qu’il est beau, le pied du messager qui annonce la Bonne Nouvelle ! Grand comme un soleil, c’est le pied de Fanch. Si soleil : grand trou, on va voir tout. Sensation : vent frais. Chino lève le nez. Ouah, le vaste espace ! Ça pourrait faire peur. D’où hésitation. Rester ci-gisant tente. Plat ventre, c’est confort. Quatre pattes déjà moins. Mais moins mal au dos que dressé bipède avec lumbago et l’instinct de ciel qui vous gymnastique ré articulée vertical brutal la ligne de colonne ». (225)

C’est fort, n’est-ce pas ? Documents, revu Isaïe, Mallarmé, et pas très loin L’Éveil du printemps, bientôt un petit d’homme se lève... plus loin côté bouse (ch. 24), sera stercomancie, qu’en eût pensé Warburg ? car les matières ont leur rôle à jouer :

« Souci attentif des signes que font en runes de paille et vermiculures de cunéiforme les indices variés entre jaunes de pisse et sépias merdiques tant d’aspect patent que de sens latent voire subliminal. Preux est le devin qui ausculte le marc sans le massacrer et vice versa. Et la bouse de vache sourit qu’on l’honore en cercles concentriques sans lui écrabouiller la croûte.

En ces puits de pure matière gît la vérité en tant que cachée. L’entendement la saisit. L’âme en est émue. L’imagination la voit. L’oreille par déduction l’entend. L’initié attentif et sans préjugés sait lire les hiéroglyphes en couches entassés les uns sur les autres avec la vermine comme fond de papyrus. Il dégagera le sens des emblèmes planqués dans la fiente d’apparence insigne. Car ces alphabets secrets sont traversés par un esprit messager qui naît dans le foin peuplé d’asticots et vivifie en l’être le sens du présage. Sous l’effort clinique interprétatif, cette bouse est un foie de veau en version d’après rumination ou fin de tuyau. Chino la divise en zones quadrillées comme fait l’haruspice quand il dépelote l’entraille du poulet pour avec les fils tricoter du bon à savoir d’avance. I, II, III, IV, tracé au bâton. I, III, IV : on laisse pisser, rien digne à étudier. II, ah ! ah !, nous y voilà : un peu d’écrasé longitudinal avec enfoncements régulièrement de place en place dans la bouillie ». 371-2)

Qui a dit que la littérature n’était que de la cochonnerie ? qu’ici on lui mette le nez dedans ! elle a de l’avenir, et pas parce que lisier abonde en Penthièvre. Ailleurs les Épisodes cochons [16] viendront en bonne place : chapitre 16, Broudic le lubrique y prend les choses en main.

Mille assemblages pourraient être faits de cette eau-là, si l’on peut dire. Tous les niveaux s’emboîtent (dans tous les compartiments du texte, mots, phrases, grand rythme qui traverse le tout), et l’art de la composition, des correspondances est à son meilleur, et pour qui se serait bouché le nez, aurait opposé bouche pincée, l’idylle aussi peut survenir — momentanée, cf. vive la vie bonne (189-189) où elle a goût de sureau ou de mûre, voire l’églogue en mignon. Des rencontres, formes, sujets que décrit si bien la quatrième [17], de grands éclats de rire surgissent aussi, de transitions aussi improbables que celle de l’explication d’une boiterie, et d’une scène de ménage dans l’Olympe sur le mode opérette.

Chino boite, ainsi cela nous est-il justifié : « Quelque part en toi quêkchose qui clochait a télescopé du qui s’accrochait. Tu tombas. Tu voulus tomber. Pourquoi ? Ah, ah, nous y voilà. Mais n’anticipons pas. Notons le résultat : gadin et clopinage. Tu en es ici l’effet en portrait craché. Et voilà tu boites. »

(après le mantique, supra, le destinal)

Hephaistos boite, et les raisons nous en sont ainsi données : dans la scène de ménage qui oppose Héra à Zeus le volage, il préfère pilou et de là-haut fut balancé. Aussi devint-il dieu de la forge (des mots), et pas moins l’époux de celle « qui naît de l’écume des flots en bikini court », c’est résumer dix pages endiablées.
Avec sono stéréœdipée... (côté opérette, pas loin sommes de Novarina, d’ailleurs surgira à un endroit L’Enfant-Perplexe, et viendront dialogues socratiques, ou controverses (accompagnées de didascalies inspirées).

On le voit, toute la littérature y passe, en trombe parfois, jamais clin d’œil lettré pour mettre rieurs de son côté, quand bien même ça pourrait être effet, ainsi gloire poétique nationale est-elle charriée, cf. « Cours ton risque, Chino. Le poète l’a dit ou la loterie française des jeux... », paragraphe qui se termine avec l’effet de ces participes passés substantivés qui sont une des marques de la rhétorique propre à l’auteur :

« Alors, te viendra, pour t’imbiber l’âme, l’émané entier de ces floraisons non enregistrées en leçons de choses par jardinier Clause ou Docteur Linné ni surexploitées en travaux de sciences naturelles avant retraduction en biologie. Et que ton naseau hume la noisette que jamais auparavant t’humas, l’odoré d’un romarin encore non violenté par tes instincts. » (45)

On aura aussi relevé suppression de l’article, chiasmes, assonances, allitérations, rimes intérieures, pastiche de l’envolée lyrique, dont n’est gardé que le rythme, pour, par contraste enchaîner avec : « Bref, avance ».

Côté bibition, puisque cela fait fait partie des initiations au même titre que celle des réalités salaces, forcer un peu sur le cidre amènera le sommeil de la raison, et chapitre 13, Songe de l’enfant saoul , on lit le programme : « vision 1 : au musée noir — vision 2 : papa en homme des bois — vision 3 : maman est en colère — vision 4 : le jeu de la mort » , c’est superbe , « c’est vu dans des poches soustraites au vouloir, là où la chimie active ses enzymes pour tout transformer du bon qu’on mangea en immondicités ».

Salace, écrivions-nous, jeu de la mort, avons-nous relevé. Un tour au cimetière, dans lequel le fantôme de Martial emboîte épigrammatiquement le pas, car c’est catafalque et cataplouf ! : Abscondunt spurcas et monumenta lupas [18]. Homérique, pourrions-nous ajouter, telle cette épithète qui renouvelle le genre : « Eurydice ! Eurydice aux Fesses salées. Eurydice, la belle aux Vastes-Desseins » (562). Glücklich. (et le serpent d’Aristée pas loin, ce qui en dit long sur le concordances des récits fondateurs ; en ces jours-là, le désir se fait en effet colossal, rend rêveur, au rebord du (vaste) monde) [19].

Pour ce livre, il faudrait définitivement adopter le romans de perecquienne mémoire, pour, mais ce n’est que trivialité, bien sûr fabrique du texte, procédés et tutti quanti (montages, remontages, collages, citations), foisonnement qu’il s’en suit, mais sans art ce qu’il en serait ? et, pour ce qui aussi sourd (du côté de cette mémoire-là) d’inquiétude, d’intranquillité, voire de mauvaise conscience, d’être en trop en un monde où l’accueil est parfois bien vache, lisez, reconnaissez :

« Prends ça pour ta pomme, Chino, elles ne t’aiment plus : t’as déchu. Suffit pour ça que t’aies grandi. Quand un malotru, un ingrat, un fils de l’engeance pareil à toi-même passe à leur portée, à quoi elles pensent ? Qu’il cache dans sa poche des mains toujours sales et l’idée lubrique et le projet chafouin et qu’on va lui faire payer ça cher et fissa ». (chœur des laveuses au douet, 120)

Et de comment on s’en débrouille [insert : Approches conceptuelles du roman et appropriation du réel chez Georges Perec , Steen Bille Jørgensen [20]], c’est précisément ce que donne à lire ce romans, avec ses variations de focales, de formes, et la mirlitonade, Pépito ou Henri & Gladys, ou découverte épouvantée, La Fille du bédouin (horreur raciste et sexiste), autres chansons paillardes mêlées à lais et fabliaux disent le tuf d’une pensée en voie de se constituer, dont la forme est sexuelle et que ce n’est pas que du joli, du noble et de l’intelligent ! Éclaircissons avec cette réplique au chapitre des "souvenirs de liesses" :

« D’ailleurs au-dehors, la fille d’Eumélos qui module bien, la sterne Leucothée qu’Athéna fit piaf et un peu plus bas Ortygios-le-Vif alias la mésange depuis qu’Apollon le transgendra par abracadabra disent en leur latin que merde aux emblèmes, symboles et dramaturgies : suffit bien la vie en vrai dans l’espace où il fait bon vivre sans double appartenance. Laissons opérette et sketch humoristique confiner entre quatre murs désoxygénés et le crincrin artificiel. Le ciel est grand, le ciel est super-bath. La terre pas mal non plus : on y fouit, elle jouit, nous aussi. Tant vaut la terre, tant vaut l’homme, basta. Cochon qui vivra, heureux le verrat. Et aux chiottes l’artiste qui veut faire son paon dans la variété » (317).

Allons-y dehors ! ce sera chapitre caquinerie. Avec un a [21]. Car avant, par ce chemin, menions marmaille au Bois Boissel. Et lisons Prigent, et ce qu’écriture transforme :

« Car avant l’exode des paysanneries, c’est l’Égypte pour qui ne parle pas en langues : il ploie sous la chiourme en attente de rôtir. Si le ru est rouge qui bouillonne aval vers le Bois-Boissel, c’est pas par l’argile : c’est le sang des bêtes abattues plus haut aux ateliers municipaux et le voisinage râle que ça pue cocotte d’où du préjudice au prix locatif du mètre carré. Je ne parle même pas de la variété qui n’accumule pas viande à saucisson ni pisse du lait ni ne pond des œufs ni déchire mollet au chemineau pour barricader l’intimité : pour ceux-là c’est coups de galoches, poêlons au cul, shampooing d’eau bouillante, pendaison aux poutres, cloutage aux portails ou la mort-aux-rats dans le mou. Mais même les autres, les promis aux quotidiennes carnivorations de Pharaon, ils souffrent la douleur sous chaîne, fouet, cravache ou gourdin. Et crèvent la famine devant l’épluchure. Ou stagnent pour le gras sur pied en incarcération ». (294)

C’était pour le chapitre Histoire et société, pour le reste au lecteur d’incursionner, il ne manquera pas de croiser Chaffoteaux, mines de Trémuson où là encore, « peu en juteux à gratter aux mines, vu les Polonais qui creusent les trous des Français » (516) etc. etc.

Romans où la poésie fait trou [22], même comme ça, vous me suivez :

« Chino monte le sentier, point. En montent aussi, mais selon un sens un peu différent autant en grammaire qu’en géométrie des mots sens et monte, parfum d’aubépine, celui de la viorne et le chèvrefeuille qui fait des avances lubriques au sureau, on voit ça aux sinuosités qu’il suit comme tracé pour l’enlacer. » (52)

Sur ce « parfum de bonne odeur », il en est d’autres aux parages des ponts, qui nécessitent qu’on s’en remette, et ses autres (cette fois : F. + F. + F.) enfuis, [ablatif absolu], la geste de Chino, ici je décline.

*

Que deviendra Chino qui en peinture le monde sut si bien voir ?
Je vous le donne en mille : il l’écrira. Lui qui à l’écriture s’éveilla, d’autres à son tour, à leur tour éveillera — ici Cesson la déglinguée, en surimprimé, et puisque la plus haute : « qu’il vienne le temps dont on s’éprenne », et glorieux, comme monogramme le pas très catholique H. C. E.

© Ronald Klapka _ 27 mars 2013

[1Jean Louis Schefer, Goya, La dernière hypothèse, Maeght éditeur, 1998, p. 10.

Je me permettrai ici de renvoyer à mon relevé de : Christian Prigent, L’archive e(s)t l’œuvre e(s)t l’archive, et non moins hardiment au propos de Claude Louis-Combet, dans la recension qui précède, relativement au « droit à la peinture » (particulièrement « nécessaire à notre temps »), lorsqu’il évoque son ami Dado.

Et pour Jean Louis Schefer, à ces « variations ».

[2Christian Prigent, Les Enfances Chino, POL, 2013. Au chapitre X, « Lutins, diableries et âmes en peine », p. 160. Au mot teuz, appel de note de : Goya, Petits lutins, eau-forte, 1799. Pour le vocable, cet encadré documentera qui le souhaite.

[3Françoise Morvan ne démentira pas. Les onomatopées confirment ici qu’il s’agit de cousins des hutscheux ardennais.

[4Ce n’est en effet qu’une des possibles entrées dans ce maître-livre, afin de tenter d’en donner — en recevoir plutôt — un éclairage. Comme on tâchera d’en citer, en regrouper, articuler si possible d’autres extraits significatifs, mention immédiate de deux auteurs [Jean-Louis Chrétien, Marcel Cohen] qui furent du voyage [dans le cours de cette lecture], et pour, précisément, la question de la citation :

— Jean-Louis Chrétien : « Il y a quelque chose de barbare (sauf dans la polémique) à ce qu’une citation soit comme un aérolithe, et un corps radicalement étranger dans la parole qui l’accueille et l’appelle, qui lui donne avec gratitude une fugitive hospitalité. Ce dernier mot me paraît plus juste que « mimétisme », il faut préparer la chambre et sortir des draps propres, car citer est un honneur que nous recevons, et non pas que nous conférons. » in « Essayer de penser au-delà de la subjectivité », entretien avec Camille Riquier, in Critique n° 790, mars 2013, p. 252. À lire « La patience du questionnement est le chemin de la réponse », de Patrick Kéchichian, et bien sûr la recension de Conscience et Roman I & II, par Marc Cerisuelo.
— Marcel Cohen, avec « Autoportraits (et portrait induit du citateur) » fait en hommage à Keith et Rosmarie Waldrop, très exactement ce que Jean-Louis Chrétien dit, indiquant ainsi la route. Je remercie Abigail Lang [qui, ça se trouve, a admirablement traduit le road-poem La route est partout, éditions de L’Attente, 2011], qui n’est pas sans connaître ce procédé de montage, de m’avoir conduit via Thalia Field, mais aussi David Antin et les Waldrop, au numéro de la Revue de belles-lettres, qui contient cet hommage à Rosmarie et Keith Waldrop. Le CD joint à la revue, qui honore également Jacques Roman, donne de l’entendre énoncer plusieurs devoirs du lecteur, dont celui-ci : « Relire, d’un air léger, ce qu’on a lu cent fois ».

En exergue Marcel Cohen cite :

Le citateur n’est responsable que du choix de la citation. Dictionnaire Le Petit Robert.
Entre le portrait d’un autre et l’autoportrait, où placer la frontière ? J.-B. Pontalis.

[5Yvan Pommaux, Avant la télé, L’École des loisirs, 2002.

[6« Sur l’un des murs de la cathédrale de Saint-Brieuc, ma ville natale, au-dessus de ce qui était naguère l’échoppe d’un boucher adossée à l’édifice, on peut voir l’assez curieuse statue que par ailleurs ont évoquée Max Jacob et Louis Guilloux : celle du saint chiot, figurine accroupie, fœtale et déféquante, qui serre entre ses dents un objet difficilement identifiable et qui crispe dans cette étrange mastication les muscles de sa face de granit armoricain. »
Christian Prigent, Ceux qui merdRent, POL, 1991, p. 327. L’R de Jarry, briochin illustre, en rien gonflé, du côté « bonne pâte » , cela se respire, dans le chapitre, qui n’est pas celui de la cathédrale ! aux pages 327 à 346 : Celui qui voix spéciale, Celui qui se dé-mère-de, Celui qui R, Celui qui ’pataphysique (Ami P. Rec., ici aussi (Reims, scrute donc ! ), il est celui qui peut nous faire comprendre l’enjeu des textes qui aujourd’hui, sur cette lancée, persistent à faire merdrer l’oubli candide du « moderne »).

La photo a été prise le 29 juin 2007 en l’honneur du héros du jour, recevant le prix Louis Guilloux. À lire dans Europe, « Littérature de Bretagne », n° 913, mai 2005, « Deux souvenirs de Louis Guilloux » par Christian Prigent.

[7Je relus : « Wozu ? — quia ! » dont ces quelques phrases :

Le saint traite les déchets, ce fumier animal des pulsions, du corps en proie au monde, à la merde et à la mort, cette barbaque que le lien social, la langue communautaire doit tuer pour survivre et fonder sa cohérence meurtrière.
On en est là. Wozu, alors ? Eh bien : faire du vide, de la différence, du graffiti individuel dans l’immense besoin d’idéologie (de collectif maternel). Faire appel d’air, du fond de l’angoisse, dissoudre, rendre poreux, mettre en travers des Bonnes Paroles, l’intransigeance folle du langage le plus merdique qui soit.
Écrivains, on n’a rien à faire que ça.
Aux « poètes », alors, de dire ce tout innommable, qui fait question pour l’espèce et sa socialité, avec toute la cruauté dont sont porteuses l’angoisse et l’étrangéité foncière de la langue.

Wozu ? collectif (à quoi bon des poètes en un temps de manque), Soleil noir, 1978, p. 199-201.

[8« Bref : notre héros n’en peut mais, il oit. Cabots, gorets, cheptel vocifère à poils ou à plumes. Pintade ? Elle cacabe. Le bouc ? Il béguète. Ou vice versa. Bélier ? Ça blatit. À moins que blatère s’il bosselle un peu. Concerto grosso c’est surtout les poules, alias les pétasses, greluches, le harem d’en bas qui trempe la lessive et corne la trompette. Non, petit soldat, tu t’en relèveras pas. Et porter malade : éventé, tente pas. Lors cieux virèrent noir, plus rien à voir. On lui a collé la cagoule à exorbiter en flash sur soi-même et s’examiner, intus, in cute, conscience et conduite d’enduit de résine avant le bûcher. Ou le passe-montagne pour la punition avec les oreilles de l’ânon qu’il est comme on lui a dit en déco relief au vu et au su. Ou le (la ?) capirote de mea culpa, le bandeau sur les yeux de sous peu fusillé, le tuyau pointu siglé KKK d’auto-épouvante, la cloche mi-carton ondulé moitié papier sulfurisé d’avant tchac la décollation. Derrière ce genre de chapeau, on pense aussitôt : fini rigolade. » (55)

[9C’est l’avant d’hier. Lier :
« Ce fut sa grand-mère qui donna la force. Vive la vie bonne. L’amour sans embrouille avec père et mère. La parentèle, oh oui, on l’aime. Surtout en version décalée d’un cran : avec impasse sur promiscuité de ligne directe. Grand-mère : bonne distance. Rien à becqueter pour le complexe. Allez, mange ta mûre, Chino-des-beloces. Suce ton sureau. Attends pour prunelle qu’elle ait ramolli un peu aux gelées. Pareil pour la mesle, impatiente pas. Goûte le cynorrhodon, mais bien épluché : sans poils qui grattent ni grains durs. Ois le mèle qui suble ou la trée qui gôsille au badier. Et laisse disparaître dans lignes sans nom et couleurs non prises au collet des formes, soit les apparences d’Oubli et de Douceur, toutes les sales figures qui te faisaient peur et cassaient tes pieds ».(189)

[10Le « bord du plus rien du tout », p. 12, annonce la couleur :
« Derrière lui, l’ultérieur s’annonce par des barbouillis bâclés à l’éponge sur grand vide moche avec des oublis violets qui traînardent comme de la vinasse dans le caniveau des bleus dégoûtants. Au bord du plus rien du tout nommé firmament, ces teintes vont mourir résumées en ciel dans des bouderies de lavis. Mais laissons ça croupir pour l’instant ailleurs. Qu’ailleurs, au-delà et en général ce qui n’est ni là ni ici cuisent dans pas plus qu’une soupe de soupirs parmi l’épluchure des mondes nombreux. »

Ce plus rien du tout nommé firmament, en appelle au ciel vide de Blanchot (Écriture du désastre).

[11Cf. cette lettre du 21 février 2009 ; la rédaction d’enfant qui comportait cette expression si bien sentie, n’eut pas l’heur de plaire à l’institutrice, qui en soupçonna les connotations sexuelles. Le souvenir de l’injustice s’inscrivit alors durablement et soutint la vocation à écrire.

[12Dans un autre chapitre, Blues de l’enfant plié en quatre, Chino mentionne : « Mon père m’a dit par voix de son maître, pcc sa moitié ma mère, que je n’avais qu’à bien tenir mon rang c’est-à-dire moi-même en version sociale à bon entendeur salut je m’entends. Avec codicille en parler moral qu’un bon communiste est premier partout et pas minus moche chez les derniers en tout : prends ça pour ton grade si t’es que deuxième ». (396)

[13Parmi tous les tableaux cités, il en est un qui passe subliminalement, juste en superposé peut-être (œil de rond-de-flan), p. 557 : Le Chien. Comme c’est un des tableaux de Goya que, je n’hésite pas à le dire, je tiens pour une icône, et me semblant correspondre à ce que j’appelle le climat de l’œuvre, j’ajoute à son sujet ces quelques lignes d’Hélène Cixous (Peinetures, Hermann, 2010) :

« Le titre exact du tableau, c’est Le Chien à demi enfoui (El perro semihundido). On ne sait pas ce que c’est que ce demi-enfouissement. Est-ce qu’on est en train de l’enfouir complètement ? Est-ce que c’est de l’inhumation ou de l’exhumation ? Est-ce que ce chien est en train de se sauver, d’être sauvé ? Le tableau est une question. C’est le tableau à sur le demi, sur le déjà et le encore, etc. Mais la vision est tellement puissante qu’elle élimine complètement, je crois, qu’elle refoule ou qu’elle éloigne une pensée réaliste. Celle qui consisterait à se demander dans quelles circonstances, dans quel récit il pourrait y avoir un morceau, un tiers de chien. Quelle serait l’aventure ? Or, ce questionnement est marginalisé par la puissance de la pensée qui s’impose ».

Le peintre Antonio Saura a consacré à ce tableau une brève monographie documentée, Le Chien de Goya, aux éditions de L’Échoppe, 1996, traduite par Edmond Raillard. Très belle en est la conclusion :

Une dernière apparition, une disparition à peine insinuée. Un adieu à la peinture à travers une grande peinture, et en elle, un message : « Je ne suis pas seulement un chien, mais aussi son propre auteur et tous ceux qui me contemplent, car je suis avant tout peinture et sans elle, je n’existerais pas ».

En ce qui me concerne j’avancerais que figure ici emblématiquement le chiot « originaire », sinon saint : on ne sait s’il apparaît ou disparaît, à mi-pente, dans l’or du soir. Goya, Saura, Schefer (cf., en exergue : La dernière hypothèse), Cixous, Prigent le redisent : « n’est pas artiste qui veut ».

[14L’exposition L’Ange du bizarre permet d’aller l’admirer à Orsay.

[15Goya, Femme en battant une autre à coups de chaussure, « Album F », 1812-1823. Rotterdam, musée Boijmans Van Beuningen. Est cité au cours de : « Ça recycle la frusque et collecte les clous pour qu’on les détorde avec les ficelles à toutes fins utiles dans boîtes en carton. Ça préfère Vermot à Victor Hugo. La boule de fort aux tournées Baret. La biche en sous-bois sur calendrier à du barbouillis de bonne femme qui louche à la Picasso. Des fois ils s’avivent le sang du cul à coups de semelle pour s’apprendre à vivre moins coincés dudit. Les mères au fourneau, les pères au turbin. Les filles chez les Sœurs à apprendre à cuire ou à faufiler ; les garçons voués comme but au certif. La masse, brute de coffre. » (240)

[16Inclusion :

Zoom ici montre un tortillon aux châsses de vermillon comme mascara qui cerne. Pas œil de vioque : œil de hibou, calot de chouette. Les Vieilles. (Enfances Chino, p. 62)

Aussi le crotillon de chignon façon Lac des Cygnes qui dégage le front de la racine au mascara. Les Jeunes. (Enfances Chino, p. 553)

Considérant : Il y a beaucoup à sucer. Jeunesse comme vieillesse a ses Caprices (Enfances Chino, p. 150).
(ainsi compris ce que Chupa Chups® voulait dire, jamais il n’est trop tard)

¿ qué tal ?

[17Le jeune Chino descend dans un tableau de Goya. Les figures s’animent. Entre des lavandières au fond et deux jeunes filles sur la colline en face : 2 km, une demi-journée.
Rencontres : copains, fillettes, saints guérisseurs, âmes en peines, vieilles tordues, chiens qui parlent, jardiniers ivrognes, champions idolâtrés.
Formes : aquarelles de sites, blasons météo, chansons paillardes, dialogues socratiques, opérettes en kit, livrets de ballet, fabliaux, lais et mirlitonades.
Sujets : démêlés avec la parentèle, violences aux animaux, deuils, controverses sur l’école, la société, le sexe.
L’Histoire s’inscrit sur des plaques de rues, des tombes, des feuilles de journaux. Des mondes à la fois bouffons et effrayants roulent dans les chutes rythmiques.
Et peu à peu, dans l’inachevé de l’enfance, coagule l’achèvement adulte : rideau.

[18Incustoditis et apertis, Lesbia, semper /Liminibus peccas nec tua furta tegis, /Et plus spectator quam te delectat adulter /Nec sunt grata tibi gaudia si qua latent. /At meretrix abigit testem ueloque seraque /Raraque Submemmi fornice rima patet. /A Chione saltem uel ab Iade disce pudorem : /Abscondunt spurcas et monumenta lupas. /Numquid dura tibi nimium censura uidetur ? /Deprendi ueto te, Lesbia, non futui.

En lieu grand ouvert sans rideau baissé /Au vu et au su tu veux forniquer /T’aimes qu’on te mate autant qu’on te baise /Et jouir sans témoin c’est pas pour ta fraise. /Chez la maquerelle on clôt le verrou /Et dans les bordels zéro œil au trou. /Des prudes putains suis donc le credo : /Leur boulot se fait derrière un tombeau. /Tu diras que je vois toujours tout noir : /Fous tant que tu veux mais te fais pas voir.
Martial, Épigrammes, Livre I, 34. Traduction Christian Prigent, inédit.

[19Ici pensée émue-personnelle pour That’s what l mean le poème de Malcolm Lowry (1932) :
I was always dreaming when the day was done, /My childhood broke through chords of music and of sun, /Dreaming of the might-have-been and used-to-be ; /That’s what l mean. /If I could tell, l’d tell you just what then befell : /But night and day I hide - it’s courage and pride. /Now if you solve this beauty you would see the man /Behind all that I try to say and never can, /And share the simple music that my soul has seen : /That’s what l mean. (extrait)

[20Steen Bille Jørgensen, « Approches conceptuelles du roman et appropriation du réel chez Georges Perec », in 50 ans d’Oulipo, De la contrainte à l’œuvre, La Licorne, n° 100, PU Rennes, 2011. Mène à cette belle conclusion, qui pourrait donner de relire Les Enfances Chino à cette aune : « Émancipation et lecture différentielle ». Cf. « Quelle que soit la réflexion en termes d’idéologie chez Perec, il la dépasse pour la dénoncer à son tour en faveur d’une conception ontologique de la création artistique. Du côté de la lecture, une “lecture différentielle”, entre les mots et le monde, s’impose. Ainsi nous sommes, en tant que lecteurs, pris dans un jeu entre sous-interprétation et sur-interprétation, comme nous le sommes constamment devant les différentes situations de la vie quotidienne ». Et d’ajouter : « Le plaisir que nous trouvons à lire Perec se trouve dans le défi diabolique qui nous est lancé, plus ou moins ouvertement, par un écrivain oulipien, ludique et ironique ». (125)

J’ajoute, cf. note 1, concernant Prigent et les archives, « Mes livres se sont toujours constitués du mouvement de cette relève stylisée » et sequentia.

[21La rue de la Caquinerie, mène au Bois Boissel. Les caquins, à l’origine des lépreux, avaient quartier réservé et exerçaient le métier de cordiers.

[22« La poésie tâche à désigner le réel comme trou dans le corps constitué des langues. » cite Bruno Fern, qui sait lire la poésie, (et en écrire qui demandent à être lues plutôt deux fois qu’une).