23/05/2011 — Jean Louis Schefer, Jean-Michel Rey, Roland Barthes, Christian Delacampagne, Jean-Pierre Salgas
« On lit parce qu’on a faim du langage des hommes. »
« Les revues d’actualité sont indispensables, mais elles ne peuvent pas échapper à un contexte toujours un peu hystérisé ou militant. A l’inverse, la lecture, c’est à dire le pouvoir de rendre contemporains les titres de sa bibliothèque, est largement intempestive… et au sens strict créatrice d’histoire. D’où cette idée de donner le théâtre public des lectures privées. C’est cela le "café", un lieu public privé, un lieu public où l’on reçoit les amis… »
Jean Louis Schefer [1]
« Nous, nous vivons sur tant de tonnes de livres, d’images et de récits, que la fiction est notre monde. Quand nous croisons un homme, il appartient toujours à un récit, il est toujours dans la peinture. »
Anne Serre [2]
Ce que nous appelons âme est le brouillon sur lequel toute vie sténographie les rencontres avec la grâce ; perdue ou possédée, oubliée ou contemplée dans la mélancolie, la grâce est l’objet unique de cette espèce de journal non écrit qui est le masque naturel et le maquillage le plus violent de nos visages.
Emanuele Coccia [3]
ouvrant la voie à une “métaphysique d’enfant”...
Jean Pierre Salgas écrit : « Avec peu (Daniel Oster, Pierre Pachet), Jean Louis Schefer partaqe une caractéristique : être un écrivain majeur, et fort peu visible, parce que l’œuvre, de nature auto-biographique, se donne comme lecture, commentaire, essai sur d’autres œuvres. Enfants de Paul Valéry. Chez Schefer, depuis Scénographie d’un tableau (1969), via L’Homme ordinaire du cinéma (1980), il s’agit presque toujours d’œuvres plastiques, peinture, films. Schefer est un regardeur d’images, qui à rebours le regardent. Enfant de l’enfance. À l’intersection de ces regards, “l’éternelle guerre incompréhensible.” » [4]
La récente publication chez POL — qui a édité (et aussi repris, réédité) la plupart des ouvrages de Jean Louis Schefer — de La Cause des portraits, en 2009 et De quel tremblement de terre... en 2010 [5], souligne plus spécialement la part autobiographique de l’oeuvre, plus précisément la part de la mémoire, sa prise en littérature dans la rencontre des oeuvres, plastiques principalement, comme l’a souligné Jean-Pierre Salgas. On peut pour y accéder emprunter la main courante [6], ou alors compulser le montage d’images d’Une Maison de peinture [7], ouvrant ainsi les portes de la maison de l’écrivain, pour y entendre sa musique, à l’image de l’écriture, faite de variations, avec en contrepoint d’un immense amour de l’art, une mélancolie tenace, propre à l’espèce humaine, après la découverte du crime : dans le dernier texte, il a nom Dachau. Comme si ce tremblement de terre redoublait, répétait, parachevait celui de la mise à mort du dieu de l’humanité, figurée par diverses crucifixions dont celles de Grünewald ou Rembrandt, qui font ici l’objet de sévères descriptions [8].
À lire ces paragraphes :
Si donc un détail de chronique a disparu, c’est que la rédaction de cette chronique ne pouvait le supporter. Voici dans nos mémoires dessiné un avenir de mosaïque ; ou bien parce que l’action périodiquement suspendue se résout en tableaux dont la peinture se serait insensiblement déposée en nous. Ou en quelques images extraordinaires que nous avons regardées et dans lesquelles la réalité ferait son retour et laisserait empreint son prisme ; une image dont l’énigme indéchiffrée prendrait la place d’un souvenir. »
« Ainsi les Christs pendus qui semblaient prendre la suite des images de la guerre et, loin de promettre la paix, annoncer au contraire un danger imminent, encore grandi et dans lequel les restes vacillants d’un ancien monde où nous étions à peu près comme sur des blocs de glace dérivants, seraient emportés par une dernière débâcle... » (De quel tremblement... (19-20)
A les relier à ces lignes qui déterminent La cause des portraits :
À cette première langue cosmique qui n’échangeait rien que l’étrange et, poµr tout autre, incompréhensible musique de son corps, il n’a jamais été besoin d’autre chose que de soins presque invisibles et terriblement inutiles - chaque soin, chaque caresse, toute douceur était quelque chose ajouté à la propriété de ce corps qui savait parler à l’air, à la lumière, aux nuages descendus vers lui et que rien cependant ne touchait réellement : il chantait.
Une divinité sans doute a dû alors se former et ce premier dieu, je crois, n’est jamais parti ; jamais fait homme, jamais mis en croix ; sans nécessité de quelque rédemption, il était la forme cosmique de notre univers sans nom cependant, sans naissance et sans loi. C’est lui, peut-être, qui est demeuré comme le premier mystère du temps qui en nous a précédé la conscience et l’inquiétude d’un passage irrévocable de ce qu’emportaient désormais les heures, les minutes, les époques. Premier dieu enfantin à qui nous n’avions jamais imaginé d’existence extérieure puisqu’il était quelque chose de nous et qu’il est resté l’interlocuteur de notre vie, par qui nous savons l’abolition du temps et la sauvegarde de ses qualités que nous pensons justement être la substance immédiate de notre âme. Et les premiers mots sortis du brouillard, de la danse perpétuelle des poussières : Viens, éveille-toi ! Je suis celui par qui le temps ne passe pas. » (192-193) [9]
S’esquisse la problématique de présentation d’un écrivain peu classable, avant tout d’un écrivain, né à Paris en 1938 d’une famille d’aristocrates prussiens établis en France depuis deux siècles, diplomates, serviteurs de l’État, cultivés. Dans le sillage de Tel Quel (et dans la collection du même nom) Scénographie d’un tableau recueillit, et pour cause, l’assentiment de Roland Barthes qui écrivit alors :
S’ensuivirent des travaux remarqués. Par Jean-Michel Rey. Sans ordre, je prends d’abord quelques mots à propos du Greco :
Ce livre n’entre pas dans la perspective de l’histoire de l’art, il ne constitue pas non plus une nouvelle approche (sémiotique) de la peinture. S’il fallait trouver un élément de comparaison, c’est plutôt avec la musique qu’il a quelque chose de commun, tant dans ce qu’il énonce que dans sa composition. »
et encore, et je souligne :
« On verra ainsi que la composition de la phrase de Schefer évite la rhétorique de la formule : elle nous donne à lire comment un sujet se met à écrire à partir de ce qu’il voit, comment un regard porté sur un tableau déclenche un travail d’écriture qui, au passage, dans l’espèce de balisage qu’il opère, cite, met au travail des textes anciens, Saint Augustin, Alberti, qui relancent la réflexion. » [11]
Faut-il insister, sauf à dire que fut aussi célébré L’invention du corps chrétien [12] (dont la lecture est une belle expédition, un trekking mental roboratif, en compagnie d’Augustin, Lucrèce et quelques autres...) ; mais aussi L’homme ordinaire du cinéma [13].
Le passage en revue des livres — nombreux — [14] risquerait de ne pas rendre justice à ce qui est une préoccupation majeure de leur auteur : l’engagement d’une subjectivité, le refus de l’enfermement dans le formalisme, l’ambition de littérature. A cet égard, je retiens Question de style, publié en 1995, aux éditions L’Harmattan. Ce petit livre en dit beaucoup, en son avant-propos, « j’explique à ma façon » est-il déclaré, comme dans la manière d’approche (les choses (qui sont) rouges, et de plus : variation) de la figure essentielle : une Vierge rhénane assise dans son paradis (ici retour à Roland Barthes : « le tableau n’est ni un objet réel ni un objet imaginaire »). Ce qui ramène à la figure centrale de Françoise, dans La cause des portraits, et crée — dans l’après-coup — une belle commotion : rappelons que l’image de La Vierge au jardinet, est une manière de tessère reliant pour toujours, l’accompagnatrice d’un séjour aux Pays-Bas d’un groupe d’enfants au sortir de la guerre (47, 48 ?) dont fut le jeune Jean Louis — mais je n’en dis pas davantage, lire La cause des portraits, sauf que ce premier amour se vouera à un autre ordre, lui, religieux. [15]
Et c’est avec ces mots de L’espèce de chose mélancolie (Digraphe/Flammarion, 1978) que je conclurai mon invite à lire, non seulement les derniers livres de Jean Louis Schefer, mais à y prendre dans tel ou tel (Uccello, comme Kenzaburo Oé, Tapies, comme Gilles Aillaud, Goya ou encore 8, rue Juiverie) votre bien là où vous le trouverez, à sa suite, véritable invite à s’essayer à l’écriture, s’il en est :
[1] Jean Louis Schefer, répond — pour la Quinzaine littéraire (N° 416, 01-05-1984) — aux questions de Jean-Pierre Salgas. Voici ce qui précède :
J. P. S. : « La frontière n’est pas si nette entre lectures de travail et lectures d’entretien… »
J. L. S. : « Oui, il y a des choses que j’aurais lues autrefois comme des livres de travail que je lis aujourd’hui comme des livres d’entretien [...]…
Tout cela est instable, changeant, capricieux… Parce que, pour dire le vrai, ce qui guide la lecture, ce sont tout de même les préoccupations d’expression que l’on a soi même. Le besoin de phrases ou de langue. On lit parce qu’on a faim du langage des hommes. De ce point de vue, il y a des livres anciens qui restent contemporains, et des livres modernes qui ne sont contemporains de rien. »
J. P. S. : « C’est l’idée centrale de Café, qui est peut être la seule revue de lecture existante. De lecture, et non de recension des livres qui paraissent… »
Pour être complet, fidèle, ajoutons ce qui suit la citation en exergue :
« Une dernière idée est de constituer aujourd’hui des petits noyaux dans le milieu intellectuel. Des petits noyaux où il y ait un peu plus d’amabilité et un peu moins de paranoïa. Les livres vivent ensemble… Il doit être possible que des écrivains se parlent. Café ne se veut pas l’émanation d’un groupe, ni l’instrument d’une conquête. »
[3] Emanuele Coccia, Caractère, traduit de l’italien par Marin Rueff, Po&sie, n° 134, 2010, p. 124.
A lire ! Emanuele Coccia, La Vie sensible, aux éditions Payot-Rivages, également traduit par Martin Rueff. Roger-Pol Droit a donné de ce livre une recension convaincante (Le Monde | 29.10.10).
[4] Vient de paraître, mai 2000, n° 2, Ministère
des Affaires étrangères , adpf, p. 56, à propos d’Images mobiles — Récits, visages, flocons — POL, 1999.
[5] Notice bibliographique fournie par le site des éditions POL, quelques ouvrages faisant l’objet de commentaires.
[6] Quatre tomes ont paru de ce Journal, improbable, mais ni adventice, ni anodin et encore moins superflu. Un compte-rendu du troisième tome par la regrettée Anne Thébaud en donne la note :
L’auteur définit son livre comme un "journal de travail au jour le jour ". Dans le présent volume, le fil rouge ou " l’idée fixe" porte essentiellement sur des recherches concernant l’eucharistie au Moyen Âge [Il s’agit de L’Hostie profanée, POL, 200.], objet de manigances pontificale et royale plus que de préoccupations spirituelles. Au-delà de l’activité intellectuelle proprement dite, Schefer s’interroge sur le métier d’écrivain, cette" force de travail, de constance ou de discipline ", " point de gravité" de toute une vie.
Le journal mêle lecture et écriture, réflexion et vie quotidienne. Pourquoi choisir ce genre hybride ? L’auteur avoue qu’il s’agit d’un choix par défaut qui trahit le rêve d’une œuvre sans étai, œuvre qui parlerait de tout autre chose que de lectures savantes et de critique d’art. Le livre rêvé cernerait les blessures anciennes de l’enfance, les nostalgies, les séparations dont on ne se relève jamais tout à fait... (Quinzaine Littéraire n° 807 du 01-05-2001)
[7] Une Maison de peinture, paru en 2004, aux éditions Enigmatic (Bruxelles) est le cadeau des cadeaux. Le Journal des Arts - n° 190 - 2 avril 2004, en donne une recension apéritive. Jean-Pierre Salgas (Vient de paraître, n° 17, juin 2004, p. 24) souligne : À vrai dire, il revisite là tous ses livres (depuis 1969 : Scénographie d’un tableau consacré à Paris Bordone, Uccello, Goya, Le Corrège, Le Greco, Chardin, La Peinture hollandaise ...). Quant à nous, nous suggèrerons l’acquisition dans un premier temps du livret de l’ouvrage (soit sa seconde partie), aux mêmes éditions, à un prix abordable, et intitulée Le peintre imaginaire (2005). En voici la table dépliée : Entrées [Avec ces premières phrases qui feront la quatrième.] ; Labyrinthes ; Expositions ; Figures ; Comparaisons ; Antiques ; Bouquets, reflets ; L’âme, le déluge et la géométrie ; Lueurs, mouvements ; Dessins d’écrivains ; Le peintre amateur. Tout un art du regard, tout un art du vivre.
[8] Pierre Gibert, dans Etvdes, avril 2011 - tome 414/4, retient surtout cet aspect du livre — on ne peut réduire celui-ci à cela, même à n’avoir rien lu de l’auteur, et concernant la dimension autobiographique, le précédent — qu’il décrit ainsi : « Nous nous sommes donc plongés dans ce tremblement de terre, pour découvrir le souvenir d’un bouillonnement d’adolescent soldant ses comptes avec un christianisme puéril aux relents de dégoût. Et la « mise en images » de ce dégoût, avec notamment la Crucifixion de Grünewald et l’une ou l’autre oeuvre de Rembrandt, nous a, à notre tour, plongés dans le dégoût : celui de voir une religion et une culture réduites aux acquêts d’un adolescent jetant sa gourme. » [ici le presupuesto, qui est la marque revendiquée de « la noble compagnie », semble faire défaut à l’éminent bibliste, pourtant familier de l’inconnue du commencement et de la psychanalyse.]
Certes, Jean Louis Schefer n’y va pas de main morte, comme par exemple, ce passage, dont il est de nombreuses récurrences, relativement aux tableaux mentionnés :
« Mais après avoir oublié l’image du Christ de Grünewald et l’idée de sa torture que représentent deux tarentules épinglées sur une traverse de bois, un hurlement de chair, jusqu’à ces deux pieds saisis d’une effroyable crampe, je rapporte d’Allemagne une rêverie généalogique alourdie par le Christ de Rembrandt, un sac chargé d’odeurs, une charogne décrochée et gonflée de gaz, un paquet de putréfaction qui met fin à mes séjours de château bavarois, à l’amusement que j’y prends, au rôle de jeune gentilhomme enfin revenu au milieu des sourires, des promenades, des sapins, des chevaux attelés et si près des camps où l’on avait fabriqué des fantômes. » (72-73)
Ce qui est évoqué en finale de ce paragraphe, c’est, en 1957, la découverte l’existence de Dachau. 1957, l’année de la publication de L’Espèce humaine, de Robert Antelme dont Jean Louis Schefer deviendra l’ami.
Les éditions Hermann ont récemment réédité Vengeance ? paru précédemment aux éditions Farrago [cf. notre recension en 2005.] , les textes sont accompagnés, d’une postface de Jean-Luc Nancy. J’en extrais ces phrases essentielles :
« Devant des violences infligées à des prisonniers allemands après la guerre, Robert Antelme, tout juste lui-même revenu d’un camp allemand, déclare l’exigence absolue du droit – car en vérité il ne s’agit de rien d’autre que du respect du droit de la guerre – contre l’instinct de vengeance. Il sait qu’il va choquer certains rescapés des camps de concentration, il sait qu’il rencontrera plus largement la réticence d’une opinion que cet instinct ne manque pas de travailler. Au nom de quoi parle-t-il ?
Il parle au nom des « notions simples de justice, de liberté, de respect de l’homme ». Elles ne sont simples que si on les considère dans leur contenu : la dignité égale de chacun, l’ « homme » comme une valeur en soi, qu’on ne peut subordonner à rien ni rendre équivalente à aucune autre espèce de valeur. Mais cette simplicité est d’accès difficile : elle demande qu’on sorte de la croyance dans les puissances de bien et de mal – c’est-à-dire de la croyance en général. Or cette sortie est difficile – elle est le long chemin de la « culture » et ce chemin n’a pas de terme car « l’homme » dont on veut assurer le respect n’est rien de donné, rien de déterminé. »
De Jean-Luc Nancy, il est donné de lire, avec intérêt, sa réflexion politique continuée dans une entretien publié par les éditions Galilée : Politique et au-delà, avec Philip Armstrong et Jason E. Smith. Son post-scriptum (49-53 ), qui prend en compte un certain nombre de circonstances, l’amène, entre autres donc, à celle-ci (m’amène à la relever, incidemment) :
« Le concours de circonstances me met en même temps sous les yeux une phrase prononcée par Derrida il y a environ vingt ans : « Le "politique" lui-même est un philosophème et finalement très obscur. » Elle figure dans un entretien avec Michael Sprinker [ V. cette recension.]. L’obscurité ainsi désignée éclaire, si j’ose dire, les réticences de Derrida à manier la déclaration politique et plus encore à fonder une pensée politique qui eût été « sienne ». Pour autant, il a laissé en filigrane la tâche de dissiper cette obscurité. Il l’a laissée sans doute parce qu’il expérimentait quelle domination sourcilleuse (pour ne pas dire policière !) pouvait exercer l’impératif latent d’« être politique » à tout prix, impératif appuyé sur la conviction que « tout est politique » ou que tout doit l’être. Non : tout doit être tout, c’est-à-dire multiple. »
Pour achever de dévider la pelote, mentionnons pour y revenir au temps voulu, les déconstructions de l’esthétique, rassemblées par Adnen Jdey, aux éditions Cécile Defaut, plus d’une vingtaine de contributions à Derrida et la question de l’art, et qui s’ouvre par d’Eloquentes rayures de Jean-Luc Nancy, un très beau texte, où les rayure devenues rayons, Derrida devient Silesius, ce qui est fort éloquent.
[9] Le Choral du veilleur est plus qu’une ritournelle de ce livre, il est adresse constante à soi-même, et vraisemblablement au lecteur, compagnon secret.
[10] Roland Barthes, « La peinture est-elle un langage ? » Quinzaine littéraire, n° 68, 01-03-1969
[11] Quinzaine littéraire, n° 520, 16/01/1988.
[12] Citons avec allégresse :
« On sait que dans "L’homme Moïse et la religion monothéiste", Freud ouvre, sur un mode programmatique, l’espace d’une recherche qui, sollicitée par la théorie psychanalytique, s’avère en dépasser les possibilités et, donc, en désigner une des limites structurelles, Il s’agit, en effet, de reconstruire la logique d’une séquence "historique" dans laquelle s’articulent la constitution du monothéisme, le "sujet" de la religion, la transition au système alphabétique, le passage à l’abstraction, la scène de la représentation, l’interdit des images et la "fixation scripturale", la mémoire et l’histoire comme "inscription".
"L’invention du corps chrétien" est à lire comme la reprise d’un tel projet ; plus, comme sa radicalisation et son extension. Car, dans le savoir qu’il mobilise comme dans son écriture "double", dans la refonte des champs qu’il opère comme dans les "objets" qu’il donne à lire, ce texte entame et inaugure un travail dont le vecteur le plus général se désigne en tant qu’ "histoire du symbolique".
Entendez par là, d’abord, qu’une écriture est ici exposée, devant vous, risquée, qui ne cesse de redoubler ses parcours conceptuels d’une ponctuation "subjective" sous la forme d’un "journal" (aphorismes, miettes, "souvenirs", remarques, suppléments). Or cette implication plurielle du sujet dans l’écriture de son texte représente le "travail" de la mémoire ("culturelle") et désigne dans le même temps l’impossibilité de "s’installer dans l’écriture" : cela même qui très précisément est à l’oeuvre dans le texte de Saint Augustin, c’est à dire dans une écriture qui déplace la fonction du sujet et qui défait les figures du savoir ». (Quinzaine littéraire, n° 213, 01/07/1975.
[13] « A le lire donc on verra qui est cet homme ordinaire. Cet homme qui apprend à chaque fois, dans cette parenthèse que forme un film, dans "l’expérience de cette nuit expérimentale", que ce qu’il voit projeté sur l’écran c’est la manière dont son enfance continue de résonner en lui, d’orienter son regard. Cet homme qui, pour parler de ce qu’il voit, doit quitter l’ordre de la démonstration cette pratique d’un artefact qui dissout l’objet et montrer ce processus interminable qui le fait spectateur. Celui là même qui énonce cette expérience cruciale par laquelle ces objets de plaisir, ces porteurs d’affects, que sont les images peuvent se convertir, d’un coup, en lieux de savoir, peuvent nous investir, nous déborder, ébranler même nos croyances. » (Quinzaine littéraire, n° 343, 01/03/1981
[14] A lire le propos sans la moindre fausse note du regretté Christian Delacampagne, Le Monde, du 11/02/2000
[15] Sublime, forcément sublime, dirait l’auteure de L’été 80, et il n’y a pas ici, la moindre trace d’ironie, juste de l’émotion. La revue de presse, sur le site des éditions de Minuit, passe à côté de l’essentiel, omettant la jeune fille et l’enfant aux yeux gris.