17/07/2012 — Les notes manuscrites de Benveniste sur la langue de Baudelaire ; chantier ouvert après invention et transcription. Semen 33 : une étape décisive — Christian Bernard : poète, c’est maintenant.
« En effet, les œuvres ont ceci de “ littéraire " qu’elles inventent des manières de dire excédant la capacité d’analyse des protocoles qui se sont constitués en dehors d’elles » [2].
« Tôt, dans des salles d’attente, sous la protection du salpêtre, je fus lecteur. Un lecteur de revues hachant menu — dent contre dent — la matière indulgente de l’amour.
L’une d’entre elles émergeait — tenace et péremptoire : NOUS DEUX.
Elle était, me semble-t-il, la référence dans ce domaine clair obscur où tout se résout sur un parterre assassin de fleurs ; à défaut d’être kantienne pour les bruissements du pas grand-chose et les bouderies du bonheur.
Je l’ai retrouvée — cet été — dans sa nouvelle formule. Elle avait pris des couleurs » [3].
« Ainsi en va-t-il du sujet, cette « émergence liée au langage comme activité » – sujet aussitôt pluraliste, historié, abolis tous les garants méta-sociaux de l’ordre social » [4].
Avec le dernier numéro de Semen, savante revue de l’université de Franche-Comté, agrandissons le c(h)œur [6] !
SEMEN n° 33 ; Les notes manuscrites de Benveniste sur la langue de Baudelaire [7]
Il pourrait paraître extravagant au temps (prétendument propice) où les revues explorent infatigablement la matière indulgente de l’amour, de donner en guise de conseil de lecture de se précipiter toutes affaires cessantes, sur celle-ci, qui se désigne comme « Revue de sémio-linguistique des textes et des discours ».
Elle est, je ne le soulignerai jamais assez, passionnante, à plus d’un titre, lecteur, amoureux de poésie, pourquoi pas amoureux simplement, puisque c’est tout un. Et c’est dans la lumière de la lecture de quelques autres, qu’aimerait se situer la nôtre, avec le vœu d’ouvrir sur toutes celles qu’elles auront suscitées.
En effet, lecteurs de longue date, assidus des travaux d’Émile Benveniste, et de toute manière, lecteurs et lectrices de près, Jean-Michel Adam, Gérard Dessons, Chloé Laplantine, Jean-Claude Coquet, Jean-Marie Viprey, Irène Fenoglio (dans l’ordre des contributions) constituent, dans cet esprit, un collectif de travail rare, avec des points de vue complémentaires et parfois contradictoires, pour accompagner un travail de recherche d’une belle ampleur soutenu par un grand courage éditorial.
Par quoi commencer ? Chloé Laplantine, qui a coordonné le numéro de cette revue, avec Jean-Michel Adam, a fait paraître en mai 2011 aux éditions Lambert-Lucas, la transcription et la présentation de manuscrits inédits d’Émile Benveniste, sous l’intitulé Baudelaire. [8].
Cet événement considérable — la remise des inédits à la Bibliothèque nationale — dont il y a très certainement à s’étonner qu’il n’ait pas eu lieu plus tôt [9] n’aura pas été sans conséquences sur la rédaction de sa thèse [10], ni sans mobiliser l’attention des chercheurs (de plusieurs générations), disons de façon sans doute trop brève, outre ceux que l’œuvre de Benveniste requiert directement (linguistes), ceux qu’a éveillés ou inspirés l’œuvre de Meschonnic [11], ainsi que le groupe de recherche vincennois Polart autour de Gérard Dessons [12].
À cet égard, Chloé Laplantine est tout à fait fondée à raviver le terme culturologie qu’avait risqué Benveniste, et c’est l’objet de l’une de ses contributions à la revue : « La langue de Baudelaire, une culturologie » [13], l’autre étant un indispensable dossier bibliographique, comportant l’actualité récente d’Émile Benveniste, et une chronologie documentée [14].
Pourquoi Baudelaire ? la question se pose au point 3 de l’article de Chloé Laplantine comme une réponse (nécessitant une conversion du point de vue) aux objections — fondées — tant d’Irène Fenoglio que de Jean-Marie Viprey, en ce qui concerne le titre donné à l’ouvrage paru aux éditions Lambert-Lucas.
Un feuillet le dit :
Se demandant, in fine, si Benveniste ne fait pas que reprendre les vieilles oppositions traditionnelles du langage-concept et du poème-affect, s’il n’est pas seulement lui-même pris dans le lieu commun ? Chloé Laplantine s’engage ainsi :
« À mon sens il fait tout autre chose, car ce qu’il dit, il le dit avec la distance d’une analyse linguistique de la culture, d’une culturologie. De ce point de vue, il étudie le « langage poétique » et le « langage ordinaire » comme des institutions, comme il travaille sur les institutions indo-européennes. En même temps, il y a une dimension critique à ne pas perdre de vue. Comme dans l’article sur le rythme, où il attribue davantage de beauté et de portée de vue à la conception d’un rythme comme « la forme dans l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide » plutôt qu’à la conception métricienne héritée de Platon, ici Benveniste veut un langage poétique. Et, le langage qu’il définit comme le propre de l’homme tout au long de ses écrits est poétique : " c’est dans et par le langage que l’homme se constitue comme sujet " ».
Ce résumé peut sembler abrupt, mais il va à l’essentiel de ce que l’on peut éprouver si on est à la fois lecteur de Baudelaire, des Problèmes de linguistique générale, pour comprendre que c’est le regard sur Baudelaire qui est classique, ce n’est pas Baudelaire. Tout est dit et relève aussi de ce que Benveniste souligne dans « Sémiologie de la langue » : « La signifiance de l’art ne renvoie donc jamais à une convention identiquement reçue entre partenaires. Il faut en découvrir chaque fois les termes, qui sont illimités en nombre, imprévisible en nature, donc à réinventer pour chaque œuvre [15], bref inaptes à se fixer en une institution. La signifiance de la langue, au contraire, est la signifiance même, fondant la possibilité de tout échange et de toute communication, par-là de toute culture ». Le lecteur averti y reconnaît les problématiques de Polart, des ouvrages sur la manière de Gérard Dessons. On y ajoutera que "transsubjectivement" passe un bel enthousiasme pour ces thèses, que vient étayer l’invention d’un trésor.
Si Irène Fenoglio [16] considère celui-ci avec une rigueur toute professionnelle — les PAP OR (Papiers orientalistes) n’auront plus de secrets pour vous — soulignant : Benveniste auteur d’une recherche inachevée sur « le discours poétique » et non d’un « Baudelaire », et disons-le, il est très excitant de suivre l’exposé en sa démarche, de cerner ce qu’est une note, de ne pas confondre textualité et scripturalité, d’être attentif à la rigueur de Benveniste savant, ses infinies corrections, je m’interroge sur cette conclusion : « L’intérêt de Benveniste pour le littéraire, n’est pas lui-même "littéraire" ». Elle-même ne prouve-telle pas avec la citation des folios pp. 423 et 425, que si Benveniste est avant tout un savant linguiste, « en analysant, je la cite, une langue d’un poète, Benveniste cherche à découvrir les propriétés du discours poétique, par lequel l’être au monde du poète comme celui du lecteur de poésie se dévoile », ne touche-t-il pas précisément au littéraire, faisant lui-même œuvre de poésie, la science ne pourrait-elle être sensible au cœur ? le débat est à poursuivre... à chacun de se faire le poète de sa propre réflexion.
Les observations matérielles préliminaires de Jean-Marie Viprey (point 2) :
« D’autres ici l’écriront sans doute aussi », — on l’a lu ci-dessus — « Chloé Laplantine a réuni 361 feuillets selon un ordre dont la cohérence est archivistique. On peut se demander si le titre d’un tel volume est approprié, en ce qu’il laisse entendre d’une part que Benveniste aurait eu un projet de livre, et d’autre part que ce livre aurait eu pour sujet Baudelaire. Or force est de constater que l’ensemble est dominé par une réflexion sur la poésie, qui le traverse de part en part et le travaille profondément » sont l’amorce d’analyses très précises, une manière de relire les feuillets, mettant en évidence le mot en poésie (l’invention continuée des mots), et là où Irène Fenoglio interrogeait la note, Jean-Marie Viprey [17] en décrivant les listes, en les examinant avec science, nous laisse espérer de futures analyses des réseaux lexicaux, révélant une claire ouverture de Benveniste à la perspective lexicométrique. De quoi susciter des vocations !
Moins longuement détaillées, les remarques de Jean-Claude Coquet sur le langage iconique (cf. le folio 258), n’en sont pas moins riches de signification, avec ce qu’il dessine comme champs des prédicats cognitifs et des prédicats somatiques : une table, p. 96, en visualise les procès ; apparaît alors la cohérence du projet benvenistien, tenter de découvrir le mode de fonctionnement de la langue poétique, et pour cela s’engager dans le travail de recherche qui amène à l’élaboration d’une "toute nouvelle théorie".
Dans l’introduction du numéro de cette revue, rédigée conjointement par Jean-Michel Adam et Chloé Laplantine, on lira concernant la contribution du premier :
« Repartant des articles « Sémiologie de la langue » et « L’appareil formel de l’énonciation », Jean-Michel Adam propose un parcours des notes de Benveniste dominé par une hypothèse partagée par Chloé Laplantine et Gérard Dessons : le programme de la « translinguistique des textes, des œuvres » avancé à la fin de « Sémiologie de la langue » est en œuvre dans les notes. Il explore les propositions de Benveniste qui vont dans le sens de cette « métasémantique » construite sur la « sémantique de l’énonciation », en particulier la façon dont Benveniste définit la langue poétique comme « métabasis de tous les facteurs de la langue » (f°203) et théorise les paramètres énonciatifs de la langue de Baudelaire : référence, statut du signe et la « langue de sentiment ». En raison de son projet résolument introductif, cet article, qui tente une relecture continue des feuillets 300 à 323, a été placé en premier ».
C’est ainsi que nous l’avons lu, mais que nous l’avons néanmoins réservé pour la fin de cette manière de recension, ainsi que l’article de Gérard Dessons.
Notons aussi que l’introduction, rend hommage à la mémoire de Claudine Normand, qui avait découvert dans les feuillets manuscrits « une image étonnante et tellement différente de l’homme Benveniste et même du chercheur » ; qu’on y trouve aussi deux lettres de Jean-Pierre Richard, dont : « [...], je suis sensible surtout, peut-être, au caractère personnel, un peu aventureux de ces feuillets, à leurs tâtonnements multiples, leurs éclats soudains, leur caractère de recherche en somme, leur nature inaboutie, (si bien adaptée à la flottance, au style éparpillé de tout ce feuilletage) ». [18]
Reprenons donc « Le parcours de lecture », de Jean-Michel Adam (il précise bien les raisons de son choix, et celui-ci est tout à fait séduisant, son hypothèse étant que Benveniste n’a pas remis son article sur « La langue de Baudelaire », promis à Barthes pour le n° 12 de la revue Langages (1968), par ce que sa recherche l’engageait beaucoup plus loin : Adam lui donne ce titre de rêve : Problèmes du discours poétique, et à propos de l’invention des manuscrits, y voit le chantier d’un travail en cours dont l’ampleur surprendra autant que les Cahiers d’anagrammes de Saussure en leur temps...
Je ne retiendrai que deux points de ce parcours extrêmement rigoureux : « Une énonciation poétique fondée sur l’émotion » (3) ; « Les feuillets 300 à 320 : synthèse de la théorie du discours poétique de Benveniste ? » (4). Dans chacun d’eux une allusion à William Carlos Williams (les mots organisés rythmiquement, un langage chargé d’émotion) n’ont pas manqué en ce qui me concerne de faire resurgir une recension d’Iris [19], s’y disait (Isabelle Lebrat [20]) : « La syncope temporelle éblouit alors le sujet qui est saisi par une parole qui soudain le précède, et le dépossède, disant toujours plus qu’elle ne peut dire. Car le vers est toujours en avant de la parole, il est son projet même. La métrique de William Carlos Williams révèle une fluidité à la fois brisée et ininterrompue, le rythme en tant qu’il est « la forme dans l’instant qu’elle est assumée par ce qui est mouvant, mobile, fluide » (Benveniste) ».
Ce qui me conduit à conclure avec Gérard Dessons qui prend pour exergue à « Le Baudelaire de Benveniste entre stylistique et poétique » : On lit le poème pour répéter les syllabes enchantées, il en sera question, avec la référence à « Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala » (Hugo) - intuition de la fonction sémantique (et non esthétique) de la répétition prosodique, est-il souligné.
Je ne m’étonne pas de lire ceci qui est très dessonien (et que je partage) : Dans les notes manuscrites, l’enjeu du poème est clairement, au sujet du langage, la question de l’art. Ainsi, à propos de la « langue poétique » : « L’art n’a pas d’autre fin que celle d’abolir le "sens commun" et de faire éprouver une autre réalité, plus vraie, et que nous n’aurions su découvrir sans l’artiste » (f° 304). L’art, entendu comme création, est une pratique du langage dont la spécificité échappe à la linguistique de l’énonciation, et qu’il faut approcher différemment [21].
Et je termine par cette longue citation, autant profession de foi que programme, quaesio chère à Émile Benveniste :
« Le point sensible, et sans doute le plus important de ce travail, est la notion de spécificité, distincte de la notion d’unicité, et qui désigne la valeur générale d’une œuvre qui reste particulière : « En poésie nous avons affaire ensemble à la poésie et à un poète » (f° 275). Cette idée que la poésie n’existe que d’être toujours chaque fois un poète est au centre de la théorie sémantique de l’art développée dans « Sémiologie de la langue » : « L’art n’est jamais ici qu’une œuvre d’art particulière ». C’est toute la portée du travail sur Les Fleurs du mal : « La poésie a ici le visage de Baudelaire ; je parle d’elle ou de lui, sans pouvoir toujours les distinguer. La poésie, c’est la poésie plus un certain poète, puisque chaque poète a sa langue poétique ». Benveniste a compris que dans le champ anthropologique toute recherche d’ordre général ne peut s’effectuer que par une recherche sur des objets particuliers, parce que ces objets sont d’abord des sujets. Le « langage poétique », dans sa portée générale, implique sa non réduplication : « N’ayant pas de référence, le langage poétique n’est jamais répétable, [...] il est tout entier dans ce poème, dans ce vers, instances chaque fois uniques » (f° 260-261). C’est la conviction que toute vérité sur l’homme est historique, et que le poème est ce qui, dans le langage, est le plus historique, (et donc que le poème dit le maximum sur l’homme en tant que devenir). Ce à quoi Benveniste a été le plus sensible chez Baudelaire dans ce qu’il appelle sa « mission poétique », c’est à cette anthropologie de la modernité, qui a consisté à « révéler l’homme de son temps » (f° 313). La conclusion du travail de Benveniste sur la « langue poétique » à partir de l’étude des Fleurs du mal est finalement que l’homme, étant l’homme de son discours, est toujours l’homme de son temps, et que l’activité poétique est ce qui le montre le mieux ».
Un exemple ?
Chapeau !
J’ai grand plaisir à saluer ici, la naissance des éditions Sitaudis et de la première parution Petite forme [22], une cinquantaine de sonnets de Christian Bernard, que d’aucuns connaissent surtout comme directeur du MAMCO [23] (Genève).
Voici donc le "hat trick" :
Tout ce fatras ce foutu petit tas
de secrets misérables en faire un feu
de joie pleurer deux larmes de lait caillé
compisser dru les pommiers du jardin
d’Eden charcuter chaque sentiment
chaque centimètre de notre peau de chagrin
compter sur nos propres faiblesses
pour inverser la vapeur chalouper chavirer
debout Cras ingens itinerabimur aequor
réséquer phrase après phrase triturer
la même ritournelle retourner à monticule
passer Don Quichotte au Tipp-Ex avec la
patience veule d’un joueur de bingo et manger
son chapeau — Là où je vais je suis déjà
[1] « J’ai rarement lu sur les plages ou dans les jardins. […] On lit dans la lumière électrique, la chambre dans l’ombre, seule la page éclairée. » (Marguerite Duras, « La lecture dans le train » [1985], Le Monde extérieur. Outside 2, Paris, P.O.L., 1993, p.138).
Reconnaissance à Maïté Snauwaert, pour avoir recueilli cette lumineuse expression dans sa contribution à « L’écrivain préféré », n° 4 de la revue LHT (Littérature Histoire Théorie) - Fabula, sous l’intitulé « Vivre avec l’écrivain ».
[2] Gérard Dessons, « La manière critique », La Quinzaine littéraire n° 997 —01/08/2009 — (La critique littéraire en question) ; la formule clôt le chapeau de l’article, augmenté de la phrase d’incipit :
« Le point de vue d’une poétique critique reprend à Mallarmé l’idée de " poéme critique ", dans laquelle sont indissociables l’invention de l’œuvre et l’invention des modalités de sa lecture. Ainsi, une approche méthodologique de la littérature qui ne se met pas en situation de déplacer les conditions dans lesquelles on peut parler de littérature et, dans le même temps, les conditions de la lecture des œuvres, une telle approche n’est pas critique et se réduit à un exercice d’application et d’auto-vérification. »
« Dans cette perspective, la notion de “ critique littéraire" - quand elle ne désigne pas la pratique (journalistique en général) consistant à porter un jugement sur les œuvres - est porteuse d’une certaine ambiguïté. Elle dit que la littérature est un objet de critique, mais ne dit pas que la littérature elle-même est critique, critique de la critique.
En effet, les œuvres ont ceci de “ littéraire" qu’elles inventent des manières de dire excédant la capacité d’analyse des protocoles qui se sont constitués en dehors d’elles ».
[3] Philippe Denis, « Feuilles volantes », in Rehauts n° 28, octobre 2011, p. 9.
[4] Daniel Vidal, Pascal Michon, Fragments d’inconnu. Pour une histoire du sujet, Archives des sciences sociales des religions (EHESS), octobre-décembre 2010, document 152-88, recension en ligne, 06 mai 2011.
[5] Roland Barthes : « Pourquoi j’aime Benveniste », Quinzaine littéraire, numéro 185, 15/04/1974. Ce texte (pas un article) à lire in extenso dans Le Bruissement de la langue, Essais Critiques IV, Seuil, 1984, p. 196. J’y entends bruire la source : "Les dons intellectuels d’un savant (non ce qui lui est donné, mais ce qu’il nous donne) tiennent, j’en suis persuadé, à une force qui n’est pas seulement celle du savoir et de la rigueur, mais aussi celle de l’écriture, ou, pour reprendre un mot dont on connaît maintenant l’acception radicale : de l’énonciation".
[6] Stéphane Mosès, dont on sait qu’il s’est souvent référé aux travaux de Benveniste, cf. sa lecture d’Entretien dans la montagne (chez Verdier), avec « L’appareil formel de l’énonciation », comparant la philosophie du langage de Rosenzweig à la linguistique de Benveniste, ajoute la dimension du chœur à celle du dialogue. Voir Stéphane Mosès, « Émile Benveniste et la linguistique du dialogue », Revue de métaphysique et de morale, 2001/4 n° 32, p. 509-525.
[7] SEMEN n° 33 ; Les notes manuscrites de Benveniste sur la langue de Baudelaire, aux Presses universitaires de Franche-Comté, collection Annales Littéraires, Avril 2012 (Sommaire et Présentation accessibles).
[8] Baudelaire, par Émile Benveniste (édition, présentation et transcription de Chloé Laplantine), éditions Lambert-Lucas, 2011. La transcription diplomatique* établie par Chloé Laplantine, constituait les annexes de sa thèse de doctorat, en ligne, sur le site de la bibliothèque de l’université de Paris 8 : « Emile Benveniste : poétique de la théorie : publication et transcription des manuscrits inédits d’une poétique de Baudelaire »**.
* bref exemple ceci :
BAUDELAIRE, 6, f°3
Verso de papier à en-tête de la Société de Linguistique de Paris, 21x27, plume bleu nuit.
Parlant de lui seul, parlant pour lui seul, cel
poète peut embrasser d’un vers le monde
entier, le posséder sans partage, le saisir
sans avoir à le détailler ni à le décrire, le
monde est ce qu’il lui plaît d’en faire.
traduit le folio 3, beau comme du Jean de la Croix : « miens sont les cieux, etc. »
** de l’avant-propos, je retiens : En août 2004, les manuscrits de Benveniste sur Baudelaire sont arrivés à la Bibliothèque nationale. Le premier sentiment que j’ai eu et qui est resté longtemps, c’était que je ne les comprenais pas. Benveniste parlait de poésie comme « image » et « émotion », de « langage poétique » et de « langage ordinaire ». C’était surprenant. J’ai transcrit tous ces manuscrits très vite, mais je me sentais encore très incapable d’en parler. [...] Au bout de quelques temps j’ai compris qu’il s’agissait de la recherche la plus risquée, la plus avancée, la plus engagée que Benveniste ait écrite.
quelques mérite en effet son pluriel.
je transcris non diplomatiquement la table des matières pour la signifiance de son économie :
Avant-propos — Introduction
PREMIERE PARTIE : L’inconscient : une théorie du langage
1. Benveniste est-il psychanalyste ? — 2. L’inconscient : une anthropologie — 3. L’inconscient : Saussure — 4. Une volonté obscure, mais persévérante : Bréal — 5. La science intuitive de l’expérience : Sapir — 6. Benveniste, Derrida et les catégories — 7. Les structures inconscientes : Lévi-Strauss — 8. Freud chez Benveniste
DEUXIEME PARTIE : Le langage poétique
1. Benveniste et le poème — 2. « C’est une remise en question de tout le pouvoir signifiant traditionnel du langage » : la poésie contre un réalisme du langage — 3. C’est un monde particulier, personnel, qu’il faut d’abord décrire, comme un cosmos nouveau et spécifique — 4. La poésie est une langue intérieure à la langue. Elle est dans le langage ordinaire — 5. En poésie le syntagme s’étend plus loin que ses limites grammaticales — 6. Le langage poétique est un langage iconique
Conclusion —Documents — Index des noms — Index des notions — Bibliographie.
[9] Les manuscrits que je présente ici, déclare Chloé Laplantine, datent pour l’essentiel de 1967. Ils auraient normalement dû prendre place parmi les collections de la Bibliothèque nationale de France dès 1976. Ce n’est qu’en août 2004, et à ma demande auprès de Georges Redard, qu’ils ont pris ce chemin souhaité par Benveniste.
[10] Une version remaniée a été publiée sous l’intitulé Émile Benveniste, l’inconscient et le poème aux éditions Lambert-Lucas.
[11] Je n’évoquerais que quelques événements récents :
— Le numéro de la revue Europe n° 995, de mars 2012, coordonné par Serge Martin. Pour demeurer avec Chloé Laplantine, je signale sa contribution Point aveugle, point vital, pp. 89-94.
— La parution chez Verdier de Langage, histoire, une même théorie, avec une préface de Gérard Dessons.
— L’hommage de la Maison des écrivains et de la littérature, le 21 avril 2012 (enregistrement Plateformes, France-Culture).
Enfin, je mentionne Avec Henri Meschonnic, les gestes dans la voix, sous la direction de Pascal Michon, aux éditions Himeros/Rumeur des Âges, La Rochelle, 2003.
[12] J’ai lu, découvert avec étonnement, il y a quelques années, de Gérard Dessons : Rembrandt, l’odeur de la peinture (Éditions Laurence Teper, 2006). Serge Martin (Europe, n° 975, mai 2006, pp. 377-378) mettait alors les mots sur le ressenti de lecture, qui éclairèrent pour moi l’entreprise « Polart », et la question reprise à nouveaux frais de la manière. Je cite un extrait significatif :
Car, aux XVII° et XVIII° siècles, « Rembrandt fut génial malgré » - tout comme, aventure Dessons, l’écriture de Descartes qui fait entendre un « chant du corps » sous « la logique du signe, vers laquelle tend pourtant l’essentiel du cartésianisme ». C’est que chez Rembrandt, ce conflit est ouvert et général et traverse la peinture pour faire accéder le discours à l’anthropologique : il « donne à voir, en même temps que le représenté, et contre lui, le rapport qu’entretient l’acte de peindre avec l’historicité de la peinture. Et ce rapport, qui est à la fois une dynamique d’invention et l’affirmation d’un vivre », la critique l’ignore presque toujours jusqu’à aujourd’hui.
« Redéfinition en acte de la peinture », ces tableaux opèrent des retours de vie : contre le règne du signe qui soumet la peinture à la représentation, ils font voir la peinture de la peinture ou voir qu’on ne la voit pas ; contre les facilités d’une parole tenue à vérifier trop vite la ressemblance, ils ouvrent un statut indéfini à la matière qui oblige à laisser faire l’inattendu dans toute parole qui veut accompagner l’œuvre ; contre les schizes du voir et du dire, ils posent une interaction maximale qui oblige à inventer son discours autant que sa vue : une historicité qui est aussi une transsubjectivité parce que ces œuvres continuent de porter nos discours à hauteur de nos vies et l’inverse.
Critique du signe, anthropologie, historicité, transusubjectivité, invention, affirmation du vivre, ce sont bien les mots de la tribu Polart, (poétique et politique de l’art) ; elle « réunit des chercheurs qui se reconnaissent dans le questionnement des rapports entre art, langage et société, et qui considèrent que ce questionnement est une réflexion sur la vie ». Employé d’emblée, le mot problème, l’est dans l’acception benvenistienne.
L’art et la manière — Art, littérature, langage paru chez Champion, en 2004, pourrait en figurer le manifeste. A titre tout à fait personnel, je demeure ébloui par le questionnement de sa quatrième partie « Le savoir du je-ne-sais-quoi ». D’excellentes recensions en donnent l’économie générale ( Arnaud Bernadet, Revue canadienne d’Esthétique, ou Olivier Kachler pour Fabula).
La manière folle, Manucius, 2010, en est comme une exemplification. Là encore de parfaites recensions (Jérôme Roger, Le Français Aujourd’hui). A écouter, Gérard Dessons s’entretenant avec Antoine Perraud (émission Tire ta langue, 6 février 2011). Comme si Gherasim Luca avait d’avance mis en poème le questionnement, et que Beckett le confirmait.
[13] Lire l’argument de cet article « La langue de Baudelaire », Une approche de Baudelaire et du langage poétique avec Benveniste :
L’article a pour objectif de distinguer la manière dont certains linguistes (Saussure, Sapir, Benveniste) approchent le texte littéraire, d’observer quel objet particulier ils en font, et aussi ce que le texte littéraire leur permet d’avancer dans leur recherche sur le langage en général. On y réfléchit particulièrement sur le travail de Benveniste, et sur sa recherche restée manuscrite sur Baudelaire, qui appelle à une « conversion du point de vue ». Dans un projet d’article intitulé « La langue de Baudelaire », écrit en 1967 pour la revue Langages, on trouve une importante archive manuscrite (370 feuillets) contenant tout le laboratoire du chercheur : des relevés de termes, de vers, de fréquence, de temps verbaux, et des tentatives d’écriture, débutantes ou plus abouties, d’une théorie générale du langage poétique. L’analyse de ces matériaux montre que la linguistique peut être autre chose qu’une boite à outils pour l’analyse des textes littéraires. Et que, pour certains linguistes, la réflexion sur les langues et le langage n’est pas séparable de la réflexion sur la littérature.
Article de Chloé Laplantine, in Le Français Aujourd’hui, n° 175, 2011/4, Armand Colin, pp.
47-54.
[14] Qui nous porte jusqu’en 2013 : Bayonne, les 2 et 3 Avril 2013 : Benveniste et la littérature. Organisé par Sandrine Larraburu-Bédouret et Chloé Laplantine.
On lira aussi avec intérêt la recension de Vincent Capt (185-192). Qui écrit en substance pour introduire son propos :
Relire Benveniste (dir. Emilie Brunet et Rudolf Mahrer), est le fruit de la journée d’études de l’association Conscila « Regards croisés sur l’énonciation : actualité de Benveniste dans les sciences du langage », tenue à l’ENS de Paris le 6 juin 2008, qui s’inscrit dans « l’actualité inactuelle » de Benveniste : ainsi, le présent volume de Semen (2012), les parutions de Émile Benveniste, pour vivre langage (2009), dirigé par Serge Martin, Baudelaire (2011), feuillets édités, présentés et transcrits par Chloé Laplantine, Émile Benveniste, l’inconscient et le poème (2011) de Chloé Laplantine, Dernières Leçons, Collège de France (1968-1969) — lire le témoignage de Julia Kristeva —, d’Émile Benveniste lui-même, l’actualité éditoriale (autour) de l’auteur des Problèmes de linguistique générale ne fait aucun doute.
[15] J’aime ici à me souvenir de Celui qui parle, la présentation par Jacques Ancet de sa traduction des grands poèmes de Jean de la Croix (Poésie/Gallimard, 1997) :
« Oui, par-delà tant de pieuses reconstitutions, tant de témoignages d’une admiration dévote et révérencieuse qui n’ont fait, avec les meilleures intentions du monde, que l’édulcorer et l’affadir, on voudrait que le lecteur retrouve la fraîcheur brûlante et sans âge de ces quelques poèmes — la Nuit obscure, le Cantique spirituel, la Flamme d’amour vive — parmi les plus intenses de toute notre tradition. Pour cela être poète et en exhiber le titre comme une médaille sur un torse bombé ne suffisait pas à garantir la réussite d’une telle entreprise. Il fallait être le poète de sa propre traduction. C’est ce que, dans ces pages, on espère avoir été, chaque fois que la précision, l’exactitude et le savoir qui, on l’aura compris, sont indispensables sans être pour autant suffisants, étaient débordés par ce souffle venu à la fois du plus lointain et du plus proche et qui, dans le mouvement même de l’écriture, est toujours la part improgrammable, imprévisible de ce qui parle en chacun de nous — Esprit, Autre ou sujet : la voix de l’inconnu ».
À l’occasion de la parution aux éditions de l’Amourier, de Comme si de rien, Jacques Ancet s’entretient avec Alain Freixe dans le Basilic, la gazette de l’association (pp. 2-3-4).
Aussi entend-on aussi que le point qui a été fait sur son oeuvre s’est intitulé Jacques Ancet, ou La voix traversée, Atelier du Grand Tétras, 2011.
[16] Irène Fenoglio, responsable de l’équipe "Génétique et théories linguistiques" à l’ITEM, a récemment donné Sur le désir de se jeter à l’eau, avec Pascal Quignard, aux Presses de la Sorbonne nouvelle, est concerné bien sûr le manuscrit de Boutès.
[17] Il faut ici rappeler que Jean-Marie Viprey est l’auteur de Analyses textuelles et hypertextuelles des Fleurs du mal, Champion, 2002.
[18] Ne nous privons pas de :
« Tous les relevé des prégnances (comme l’écrit B.), hermétique et structurelle, ou d’analyse grammaticale, ou d’écoute musicale, tout cela est infiniment précieux, - mais plus encore, il me semble, l’essai de construire une véritable théorie du poème, avec ces étonnantes inventions lexicales (et mentales) : tresse, iconie, intenté émotif, etc. Toute une fécondité de pensée (et d’écriture) à laquelle on se trouve, bien sûr, immédiatement sensible. La notion, en particulier, d’intenté émotif (opposé à cognitif), avec tout le champ d’application que lui découvre Benveniste, me paraît riche, aujourd’hui encore, d’avenir (comme de passé, si l’on accepte de telles, mais un peu mélancoliques réflexions sur la temporalité ... ). C’est que émotion est bien le mot clef de son expérience de Baudelaire, du moins il me semble : cette notion (ou motion ? ) qu’il ressent à la lecture des Fleurs du Mal, qu’il recueille, analyse, puis propage, à travers la forme paradoxale de ces notes, qu’il « évoque » en nous, comme il dit, avec la prégnance soulignée, mais non contradictoire de ces petits feuillets multiples. Plus efficace donc peut-être qu’un long texte suivi (mais nous continuerons quand même à regretter la non-écriture de celui-ci) ».
[19] a burst of iris so that
come down for
breakfast
we searched through the
rooms for
that
sweetest odor and at
first could not
find its
source then a blue as
of the sea
struck
startling us from among
those trumpeting
petals
[20] Recueil n° 26, 1993, recension de William Carlos Williams, Tableaux d’après Bruegel, traduction d’Alain Pailler aux éditions Unes, 1991.
[21] N’omettons pas de noter que Gérard Dessons a donné récemment une version profondément remaniée de Émile Benveniste : l’invention du discours (1ère version : 1993) ; Nathalie Vincent-Arnaud, en a donné un très empathique compte-rendu : "Portrait du linguiste en passeur de frontières".
[22] Christian Bernard, Petite forme, cinquante sonnets, aux éditions Sitaudis, 2012 (distribution Les presses du réel). Reclassés de C à Z, ils n’en bénéficient pas moins d’une table chronologique.
[23] J’en souligne la politique éditoriale, en sus de la programmation qu’il sera loisible d’explorer sur un site plein de ressources.