« Ce qui d’abord fait prendre la route — l’esprit de liberté. » (Claude Dourguin)

04/0/5/2011 — Claude Dourguin, Maurice Nadeau, Jean-Pierre Salgas (Witold Gombrowicz), Álvaro Oyarzún


« Tout le problème de la lecture se résume à cela. Est-ce que j’accepte de pénétrer quelque peu dans un autre que moi-même ou est-ce que je cherche des échos à ce qui m’intéresse ? »
François Roustang [1]

Aller vers un autre, attendre quelqu’un d’autre en pensant que lui, peut-être, répondra aux exigences du désir : c’est ce passage qui assure la capacité de créer, c’est-à-dire de trouver du différent, là où on risque d’attendre le même.
Catherine Chabert [2]


Claude Dourguin, Ciels de traîne

C’est avec Enez Eussa [3], un texte paru en 1997, dans la revue Théodore Balmoral [4], que j’ai été, je me suis, embarqué un jour dans la lecture des livres de Claude Dourguin [5]. Au surplus presque aussitôt retrouvée dans la revue Conférence [6], à laquelle elle a confié régulièrement d’autres textes, jusqu’à ceux parus récemment aux éditions Isolato [7]. Aujourd’hui, c’est aux éditions José Corti, ce qui ne m’étonne pas de la part de cette plus qu’empathique lectrice de Gracq [8], qu’elle donne Ciels de traîne [9], un ensemble de notes, de réflexions, sur un certain nombre de thèmes que reconnaîtont vite les familiers de l’oeuvre — car une oeuvre s’est constituée, avec notamment les ouvrages parus aux éditions Champ Vallon [10] — la marche, les voyages, les tableaux, l’écriture, autant dire qu’il s’agit une fois encore d’accompagner des explorations tant intérieures que sensibles, avec quelques arrêts, qui sont autant de points de vue, de mises au point relatives à la création et à l’esthétique.

Ce que disent parfaitement les avant-pages du livre, en italiques, mais à lui organiquement liées, comme leur clé :

« [...] Fil des événements, des œuvres rencontrées, fréquentées — chocs qui inquiètent, bousculent les jours, perturbent la vie et sur quoi elle se construit —, des lectures, des images, des mélodies, des pensées mûries au bord des rivages, sur les sentiers, demeurent dans le souvenir, par fragments reviennent hanter l’esprit merveilleusement détachées, pièces isolées, vagabondes, buissonnantes —non qu’elles aillent à l’aventure égarées ou désemparées ou défaites, mais, manière de flânerie, surprises elles-mêmes de se découvrir là. Elles forment bouquets, touffes, nébuleuses, trouvent à se rejoindre, petite escapade, font signe à d’autres. Elles se répondent parfois, se reprennent, s’isolent, font dissidence, vont leur cours, solitaires, impromptues. [...] Autant dire que le mouvement est leur nature, la brièveté leur chance, l’allégresse leur attrait. Elles ont un pouvoir, précieux, irremplaçable - sous leur lumière, quelques moments on voit mieux.
Sur le paysage intérieur elles composent mes ciels de traîne - c’est dire leur peu de prétention et qu’elles n’édifient nulle esthétique. Elles qualifient un régime de l’esprit (par là distinctes des humeurs), dessinent, établissent toujours animé un champ vaste de rêveries, par dérives et rebonds forment et reconduisent les songes. Entendons qu’elles font vivre. »

En effet quoiqu’il fourmille de noms, d’écrivains, d’artistes, le livre n’est pas premièrement un document de culture - ce qu’il peut apparaître en un second temps, secondairement ; il s’adresse au compagnon secret (le livre de Conrad est d’ailleurs cité [11]), celui qui fait écrire, et telle ou telle anecdote, telle formule, telle réflexion même lorsqu’elle peut avoir valeur de rugueuse mise en garde, d’interpellation passionnée, voire partiale, ne sont que pour aboutir à cette ligne :

« Ce moment où l’art décide d’une vie. » (47)

A partir de ce point — « Chacun a son point de simplicité, situé assez tard dans sa carrière » (Valéry) relève-t-elle également — et il faudra corréler avec : « On ne part pas sans espoir » (199), le lecteur aura tout le loisir d’une exploration à la fois savante (se prêter, se plier au pays), mais surtout sensible (se donner au paysage) des ciels de traîne de l’auteure. Et c’est par exemple partager une admiration pour Bernard Berenson (pp. 129-130) [12], cheminer souvent avec Larbaud, s’interroger sur ce qu’aurait été la poésie d’un Hopkins s’il eut embrassé un ordre différent, songer à relire Benito Cereno ou célébrer Bosco (Le Mas Théotime) face à Giono, faire provision - centralement - de notations relatives à des peintres (des réévaluations : Boudin, Signac, Marquet), questionner « la science des textes », rire avec Debussy, perspicace quoiqu’un peu vachard en tant que critique musical... D’aucuns noteront la fermeté assertive de certaines formules :

« L’art n’est nullement une « création » - enfin de nos jours -, mais à coup sûr, s’il est dans sa vérité, une incarnation, une manière de donner forme, existence, présence. (Delacroix faisait heureusement justice au terme de « création ».)
« Arts plastiques », dans la majorité des cas : des techniques au mieux, des manipulations de procédés le plus souvent. On espère sans doute que de là naîtra un monde. Quand c’est depuis toujours le contraire - une vision du monde s’invente une technique. » (37)

Une manière de reformuler : « Focillon [13] : « Disons, si l’on veut, que l’art ne se contente pas de revêtir d’une forme de la sensiblité, mais qu’il éveille dans la sensibilité la forme. » Voilà qui est parfait » (49)

Comme l’exprime la quatrième de couverture :

« Car le mouvement, l’élan, davantage, le pouvoir germinatif c’est à l’extérieur de soi qu’il se trouve, presque toujours c’est à d’autres que nous le devons. Aussi vers, réflexions, nulle lassitude jamais à les faire revenir, les écouter, se laisser habiter par leurs « petite(s) phrase(s) ».

Le ciel de traîne est une fête. »

Et en effet l’écriture est belle, travaillée, la pensée stimulante, et le désir, d’ouvrir des chemins.

Maurice Nadeau, Le chemin de la vie

Les auditeurs de l’émission « Hors-champs » [14] menée par Laure Adler sur France-Culture auront bénéficié dès la rentrée de septembre 2010 des échanges de Maurice Nadeau avec l’animatrice de l’émission, auxquels auront également participé Tiphaine Samoyault [15] et Ling Xi [16]. Les éditions Verdier [17] en donnent aujourd’hui, façon de célébrer le centenaire de l’écrivain, critique, éditeur, fondateur de la Quinzaine littéraire (1966), la mise en forme écrite : cinq émissions « Maurice Nadeau, l’amoureux des livres » donnant sept chapitres [18], augmentés de textes critiques [19] significatifs du parcours d’un des plus grands lecteurs de ce temps (« Le chemin de la vie » est le titre d’une collection qui fut dirigée par Maurice Nadeau aux éditions Corrêa).

Belle façon de rendre hommage, sous cette forme, à ce qui aura formé l’axe de toute une vie. Pour rendre la tonalité de ces entretiens, j’irai chercher dans les écrits de Maurice Nadeau (il y aurait mille autres exemples), ce qui m’apparaît comme deux points forts (et liés entre eux), saillants, de ce parcours :

1. A propos de Naked lunch : « La littérature moyen d’expression n’est qu’une partie de la littérature, et pas la plus intéressante : elle noue trop souvent des faveurs (roses ou noires) autour de ce qu’elle montre, elle se confond trop souvent avec l’art du décorateur et du tapissier. Le grand écrivain s’en sert différemment : comme d’un instrument de découverte qui s’annihile dans son objet, au bénéfice exclusif de cet objet. Elle n’existe, en somme, que quand elle est absente.
A ce compte, l’horreur pourrait être belle ? A condition qu’elle soit vraiment insupportable. Dans la mesure où, la voyant se coller à nous et s’inscrire dans nos fibres, nous la rejetons de toutes nos forces loin de nous.
Le livre « obscène », « répugnant » de Burroughs est un ouvrage hautement moral. C’est ce qu’il n’était pas difficile de démontrer. »

2. Concernant Maurice Blanchot (La part du feu) : « La critique est une activité superflue tant qu’elle se borne à décrire, analyser, expliquer, et le critique un intermédiaire inutile tant qu’il veut faire s’affronter sur le terrain neutre qu’il occupe deux puissances préalablement désarmées par lui : l’auteur, le lecteur. Il voudrait être un écran où se réfléchissent en clair les intentions débusquées du premier, les appétits obscurs du second, et de telle sorte que s’établisse par lui une communication sans malentendu. Mais sa présence même est un malentendu, car si l’auteur a besoin du lecteur, il veut le toucher par son œuvre dont la moindre virgule signifie, tandis que, de son côté, le lecteur veut avoir affaire à une œuvre et non à ce qui entend tenir lieu d’elle. »

Ce qui m’amène à ces lignes de l’ouvrage paraissant chez Verdier :

« Tu es toujours éditeur !

— Oui, mais je continue à perdre de l ’argent avec ce que j’édite, et vu le bilan de 2009, je me demande où je vais pouvoir trouver de quoi continuer. Mais paradoxalement, le fait qu’on veuille m’en empêcher me donne du ressort ... Si les dernières années je publiais plutôt deux livres par an, maintenant j’en publie un tous les mois. En février sort le premier roman d’un jeune homme, Yann Garvoz [20], qui vit à Toronto, un livre au style sulfureux, digne du XVIIIe siècle, du Sade moderne. Il risque de tomber à plat, et de me coûter cher, il fait plus de trois cents pages ... Mais ça me fait plaisir de jeter de temps en temps des pavés dans la mare avec de nouveaux auteurs.
L’édition réclame des gens qui ont envie de découvrir des écrivains. Heureusement, il y a quelques petits éditeurs, surtout en province, qui essaient de publier ce qui leur plaît, et c’est cela le plus difficile. Les grands éditeurs, eux, publient ce qui plaira au plus grand nombre, en vue, surtout, du profit. Nous ne faisons pas le même travail. » (106)

Qu’ajouter ? On trouvera dans la Quinzaine de ce début mai, qui pour le coup a pris quelques couleurs, un cahier spécial (pages 17 à 22) introduit par Omar Merzoug, disant le sens d’un centenaire [21]. Une quinzaine d’auteurs s’y expriment, ce qui les singularise, autre chose que l’hommage convenu ou de circonstance, mais bien plus une manière d’éclairer de différentes manières ce que nous a apporté [22] celui qui « de sa passion a su faire un métier ». Je retiens les textes de Claudio Magris soulignant que chez Nadeau « l’amour pour l’authenticité de la vie quotidienne se double d’un profond et douloureux amour pour différentes expériences - Sade, Michaux et d’autres - qui vont tellement à fond du Moi qu’elles le réduisent en miettes » et le retour réflexif de Jean-Marie Goulemot, sur Exploration de Sade ; ce retour critique, appartient à ces exemples de rigueur dont il crédite Maurice Nadeau, et je le salue comme tel.

Jean-Pierre Salgas, Gombrowicz, un structuraliste de la rue

« Le Journal de Gombrowicz, ce faux journal lui aussi, son œuvre, pourquoi me font-ils penser à Alfred Jarry ? A cause de leur polonité ou polonitude dont Gombrowicz n’a jamais pu se débarrasser ? Ou de ce "la scène se passe partout, c’est-à-dire nulle part" ? En Pologne, en Argentine, à Berlin, à Vence Alpes-Maritimes. Elle a un acteur unique : Witold. Jean-Pierre Salgas a mis quelques années à rédiger l’essai qu’il consacre à l’auteur de Ferdydurke. On pensait, étant donné la complexité du sujet, les multiples façons de l’envisager (biographie ? L’homme et l’œuvre ? Romans, théâtre, Journal, La place de Gombrowicz dans la littérature d’hier et d’aujourd’hui) et la nonchalance bien connue de notre ami, qu’il n’y arriverait jamais. On s’est trompé, Salgas n’a pas perdu son temps. Tant de science est incluse dans son ouvrage, tant de références, de citations, de rapprochements, d’allusions à tant d’autres œuvres et d’autres écrivains, qu’il faut un solide tempérament pour venir à bout d’abord d’une lecture du texte, ensuite de la lecture des notes encyclopédiques de bas de page. La figure de Witold Gombrowicz en devient elle plus nette ? Lui aussi fut un homme aux multiples masques, plein de ruse et habile à déconcerter. Jean-Pierre Salgas voudrait rassembler une œuvre multiforme (ou cherchant sa forme) dans une théorie de "l’athéisme généralisé" [23] qui tient si peu la route qu’il l’oublie chemin faisant. Mais quel voyage ! A donner le tournis. »

Vous aurez reconnu Maurice Nadeau, son « Diario in pubblico » [24] du 01-10-2000 (n° 793).
Le lecteur de Witold Gombrowicz, vingt ans après [25] lira avec intérêt « La bataille de Ferdydurke », une correspondance entre Constantin Jelenski (Kot) et Witold Gombrowicz, de janvier 1958 (p. 222), soucieux de s’assurer un appui décisif en la personne de Maurice Nadeau en vue de la publication française [26].

Gombrowicz, un structuraliste de la rue [27], ce titre, que nous donnent aujourd’hui les éditions de l’Éclat, fait allusion à un « entretien imaginaire » de et avec Gombrowicz (c’est à dire un auto-entretien) dans la Quinzaine littéraire (01/05/1967) [28].

Le livre est en deux parties. La première est faite de versions remaniées d’interventions diverses entre 2002 et 2007, dans lesquelles s’inscrit l’exposition Les Trois mousquetaires (Witkacy, Schulz, Gombrowicz, Kantor) à Nancy en 2004. Toutes brillantes, documentées, d’une énergie communicative. [29] La seconde intitulée annexes rassemble quelques textes peu connus de Gombrowicz ainsi que la biographie qu’il avait dictée lui-même. [30]
Une préface très dense : « Lundi Gombrowicz, mardi Gombrowicz... », sinon unifie le tout, du moins établit comment le Gombrowicz qui est ici proposé est le Gombrowicz de Jean-Pierre Salgas, mais qu’il s’emploie avec vigueur, talent et arguments à faire nôtre.

A cet égard son point de vue d’historien (de la période contemporaine, tant en ce qui concerne les arts que la littérature) et de critique (rappelons le Panorama de France-Culture, La Quinzaine, Vient de paraître, Art press etc.) a de quoi appeler l’attention du lecteur. Si au surplus, celui-ci a eu la chance de se rendre à l’exposition « regarde de tous tes yeux regarde », l’art contemporain de Georges Perec (à Nantes ou à Dole en 2008), d’y lire dans le catalogue publié par les éditions Joseph K. [31] « Le Centre Georges Perec » (pp. 9-25) [32], de prendre connaissance des autres travaux (le film Boltanski, signalement, l’exposition Romans mode d’emploi), c’est toute une perception du contemporain qui se dessine, et celle-là, on peut dire qu’elle a de la gueule, pas celle que les bonnes tantes culturelles, les Pimko et autres cuculisateurs s’emploient journellement à nous faire. Contemporain à ressaisir dans sa généalogie, ponctué par ses événements, auxquels le parcours de Gombrowicz est significativement adossé, Jean-Pierre Salgas sait se montrer convaincant, lui qui relève ce que Sollers avait décrit dans Gombrowicz, vingt après :

« Ce qu’il cherche — comme Wittgenstein — en un sens c’est cet état libre par rapport à la rhétorique, c’est à dire un état de de totale disponibilité par rapport à toute formulation. » (pp. 88-89)

J’entendrais volontiers que c’est là que se situe l’athéisme tel que le comprend Jean-Pierre Salgas qui répète volontiers — par exemple, sa réception d’Objet Beckett, le livre de l’exposition au centre Pompidou — « Autrement dit (c’est J.-P. S. — il le précise — qui parle) : si Dieu est mort, que deviennent les formes littéraires ? » ou encore la présentation de ses deux premiers essais revenant « sur l’athéisme qui (derrière cet ultime « structuralisme de la rue » [lui] semble la colonne vertébrale de l’œuvre et qui ne se résume évidemment pas à une banale non-croyance en Dieu. Athéisme généralisé : Dieu est mort et avec lui la société, l’homme ... de proche en proche le « réel » tout entier ... Dieu, c’est-à-dire la Forme des formes. « Le fait d’avoir cinq doigts à la main me fait peur », écrit-il dans Testament). À l’occasion de l’entrée du Mariage au répertoire de la Comédie Française (Jacques Rosner) en 2002, puis de la mise en scène d’Yvonne à La Monnaie de Bruxelles par Philippe Boesmans et Luc Bondy en 2010, [J.-P. S.] montre que cet athéisme est un athéisme chrétien. Le deuxième essai concerne Contre les poètes, cœur de l’œuvre, et sa convergence avec la sociologie de la littérature de Pierre Bourdieu (Les Règles de l’art, 1992) : l’athéisme est la clé de l’esthétique, l’esthétique est le fond de l’athéisme [...]. Dieu mort, la comtesse Fritouille (« Le festin chez la comtesse Fritouille » dans Bakakai) ne pourra peut-être plus sortir de table à cinq heures. » [33]

En ce qui concerne notre « contemporanéité », on lira sans doute avec beaucoup d’intérêt, l’essai « De la filistrie » qui fait écho au dernier chapitre Autres rivages du précédent ouvrage sur Gombrowicz de Jean-Pierre Salgas, et notamment Filistrie et créolisation où s’écrit que : « Face à la tenaille mondialisation-nationalisation, universalité empruntée-racines fantasmées , le problème n’est plus celui de l’universel abstrait (historiquement construit) selon Goethe, Hugo, Conrad, Borges ou Sartre, mais celui d’une créolisation des formes, sur fond de langue créole, telle que la pense des écrivains aussi divers qu’Edouard Glissant (Le Discours antillais, Introduction à une poétique de la diversité), ou Salman Rushdie (Patries imaginaires) et d’autres... »

Gombrowicz est des leurs, citoyen d’Europe Centrale et d’Europe périphérique à la fois. « Universel non ratifié par Paris », « rapport juif à la forme » : son jeu avec les formes invente une nouvelle possibilité. Que cerne cette consigne en forme de double-bind, qui forme le cinquième point du programme pour la littérature polonaise énoncé dans le Journal : « En faire une littérature européenne ; mais profiter de toutes les occasions pour l’opposer à l’Europe » Autrement dit, faire de la domination une force ... « Je voulais arriver à ce qu’un Polonais puisse dire avec orgueil : J’appartiens à une nation mineure. Oui, avec orgueil » (78) [34]

Álvaro Oyarzún, « La peinture n’est autre que la pensée distillée »

C’est une note [35] de cette même page 78, la 38 qui m’offre opportunément de dire quelques mots de la rencontre avec l’oeuvre d’Álvaro Oyarzún, artiste chilien francophile, autodidacte.

Voici cette note : « Plutôt que selon le modèle identitaire latino-américain en général (les romanciers du boom), il faut peut-être penser Gombrowicz selon le modèle brésilien anthropophagique. Poétique de la morsure. » [36]

Le visiteur de l’exposition « Tous cannibales ? », à la Maison Rouge [37], aura peut-être remarqué deux oeuvres côte à côte, de format carré (110*110), qui requièrent de s’approcher (de s’éloigner et de s’approcher à nouveau) de très fins dessins au rotring (à l’encre de Chine noire). Examinant Autoportrait, que verra-t-il ? des formes et de l’informe, des formes qui (s’)échappent et d’autres qui se reforment. De plus près : comme des cartilages, des innervations, des fibres, racines, rhizomes, stries musculaires, courbes de niveau, vues au microscope, cratères lunaires, gribouillages, squiggles, l’universelle entre-dévoration. Et du texte, et pas n’importe lequel, celui de l’entre-déchirement, fût-il policé : les lieux communs de la désunion, du désamour, numérotés, comme des abattis. Des listes. Ici, une Sei Shônagon eût inscrit : Choses qui font du mal. Et toutefois, quelle placidité, quels éclats de rire (jaune, c’est selon), la palme revenant à un : « Soyons au moins honnêtes. » (détail). Celle que l’on retrouve dans le dessin de la série « Amor a primera vista » retenu par la galerie Catherine Putman pour son communiqué de presse [38] de l’exposition d’Álvaro Oyarzún du 29 janvier au 19 mars 2011.

Je ne saurai dire mieux que Christine Frérot :

« En effet, la spécificité d’Oyarzùn, c’est l’application d’un système de correspondances, de fusion et de dialogue entre texte et image, et entre texte et dessin. Pour obtenir cette netteté discrète de la forme, il utilise le rotring (à l’encre de Chine noire) avec une liberté et une virtuosité d’exécution qui lui permettent de couvrir son espace de dessins délicats et légers, dans un tourbillon obsessif et sans fin dans lequel il y a autant à lire qu’à voir. Sens et forme sont donc indissociables chez lui, imprégnés d’un humour où se mêlent autant l’émotion (tristesse, désespoir, angoisse... ) — avec toute une phraséologie des sentiments quotidiens —, que l’érudition avec les nombreuses références littéraires et artistiques dont il se sert, par personne interposée, pour énoncer ses goûts, ses dégoûts, ses choix et sa réflexion permanente sur l’art ("La peinture n’est autre que la pensée distillée" ). » [39]

© Ronald Klapka _ 4 mai 2011

[1François Roustang, « Toute vraie lecture est chose rare », entretien pour l’e-zine L’affûteur d’idées (09/12/2009).

[2Catherine Chabert, L’amour de la différence, PUF, petite bibliothèque de psychanalyse., p. 35.
L’ouvrage réordonne un certain nombre d’articles donnés à divers livres ou revues par la psychanalyste (entre 1993 et 2008), en en faisant un ensemble très cohérent (l’argument) et très plaisant à lire (l’écriture).
Dans Ciels de traîne, Claude Dourguin — qui note : La condensation et la contrainte des impressions et sensations mènent à écrire (136) — relève volontiers quelques « bons mots » (Bachelard, p. 52 ; Thomas Mann, p. 169.) à l’égard de ce qui n’est pas moins un voyage parmi les voyages au sein de la retirance, aux découvertes (in)attendues, dans lequel se rencontre également une "information poétique" du "monde", et que signale cette citation de conclusion du chapitre Entre-eux-deux (p. 35).

En écho bibliographique, juste dire que Penser/rêver n° 19, vient de paraître ; « C’était mieux avant », est le fil directeur des réflexions de ses contributeurs, je n’en signale — pour le moment — que celle de Christian Doumet, Le temps n’est plus, à partir d’une crainte exprimée par Valéry en 1937 (et glosée par anticipation en 1928 !) : « Les conditions de la création littéraire et de la formation des lecteurs sont aujourd’hui menaçantes pour la qualité des ouvrages. »...
La revue fera l’objet de l’émission La fabrique de l’humain, Philippe Petit, 12/05/2011, 21h.

Puisqu’il sera question de la Quinzaine littéraire, je ne prive donc pas de pointer la recension de Michel Plon (des lecteurs se portent bien !) de deux ouvrages dont la lecture peut très certainement accompagner le livre de Catherine Chabert :

— Sandrine Garcia, Mères sous influence, De la cause des femmes à la cause des enfants (qui pose la question de l’« orthopsychanalyse »), aux éditions La découverte

— Markos Zafiropoulos, La question féminine de Freud à Lacan, La femme contre la mère, PUF.
La Quinzaine littéraire, n° 1037, 1-15 mai 2011, pp. 28-29.

[3Quelques lignes auront suffi au non-bretonnant pour reconnaître l’île :

« ON SENT L’ILE — sensation et conscience —, son insularité violente, au bruit de fond de la mer, qui ne vous quitte jamais, nulle part. La nuit, lorsque l’on s’éveille, c’est à sa basse continue que la conscience se réaccorde, comme ailleurs à la lumière ou au décor familier. Immensi tremor oceani, en effet ... Par beau temps on perçoit un froissement ample, régulier, sans source repérable, qui se confond avec le ciel alentour, si vaste. Dès que le vent forcit la rumeur se recentre, précise ses composantes, mélange d’eau et de grenaille inlassablement projeté contre une matière dure. D’autres fois c’est un grondement sourd, monumental et mat, bruit de linge battu amplifié jusqu’à l’outrance. La mer, ici, est d’abord ce milieu sonore dans lequel on respire. Nul besoin de l’approcher, de la voir pour la reconnaître. Il s’agit d’autre chose : sur l’île on est sous sa tutelle. » (83)

Et cela se déroule ainsi sur six pages pour aboutir à :

« Promenade sur la côte Nord où la croûte d’herbe s’arrête net sur les rochers. C’est temps calme, pourtant sur cette chaussée d’écueils la mer bondit, lance ses geysers crémeux, dégringole en cataractes. Quand les nuages obscurcissent le ciel, la lumière d’un coup baisse de plusieurs tons et sur sa surface de ténèbres violettes, la mer pousse pour les déchirer aussitôt, de grands ronciers éclaboussés de blanc. » (89)

Et vous aurez donc passé par le Stiff, la corne du Creac’h, l’île Keller de loin, la pointe de Pern, l’îlot de Youc’h Korz, les criques miniatures de Roc’h al Leac’h, Nividic, La jument, Kéréon... et même si vous n’y avez jamais mis les pieds, vous étiez à Ouessant...

[4Le n° 26/27 Printemps - Été 1997 de Théodore Balmoral- confié à François-Marie Deyrolle avait pour sommaire : José Bergamín, Le Brûloir de Don Patricio ; Jean-Baptiste de Seynes, Trois Poèmes ; Erri de Luca, Les Pages ratées ; Michaël Glück, Impératif ; Xavier Poupard, Observations du désordre ; Robert Marteau, Séjour ; Jean-Luc Parant, L’homme qui regardait le ciel ; Frédéric Wandelère, La Compagnie capricieuse ; Jude Stéfan, Sept Poèmes de Grenier ; Marc Wetzel, Bègue ; Claude Dourguin, Enez Eussa  ; François Solesmes, Marée montante ; Henri Raynal, Office de la crique  ; Hubert Voignier, Les Hautes Herbes ; Jean-Patrice Courtois, Par une sorte d’emballage de la voix (sur Jean-Louis Giovannoni) ; chronique « Ce qu’il reste des livres » : Jean-Pierre Abraham, « Du temps que j’étais étudiant » ; Pierre Autin-Grenier, Camarade Bardamu ; Baptiste-Marrey, La Mémoire romanesque ; Pierre Bergounioux, «  Un vrai livre… » ; Yves Bichet, Castaneda ; François Boddaert, Victor Hugo sur cette mer biblique ; François Bon, Revenir à Edgar Poe ; Pierre Chappuis, Bannir toute ombre ; William Cliff, L’Île de Saint-Pierre ; Marcel Cohen, Cul-de-sac ; Pascal Commère, Un Miroir en feu ; Claude Esteban, Une odeur de chèvrefeuille  ; Alain Fleischer, Île-lit ; Christian Garcin, Sur Borgès, et quelques autres ; Guy Goffette, « J’ai beau vouer aux livres… » ; Jean-Paul Goux, Quelques Propriétés des objets aimés ; Yannick Haenel, Le Paradis de Pascal  ; Philippe Jaccottet, « Lausanne, printemps 1942… » ; Caroline Lamarche, Mon Sang sur un rythme de valse  ; Pierre Lartigue, « Le répétiteur avait du mérite… » ; Emmanuel Laugier, La Bouche pleine de terre  ; Camille Laurens, « Le livre auquel je pense… » ; Alain Lercher, L’Âme errante ; Claude Louis-Combet, Un Reste de cœur nietzschéen ; Gérard Macé, Un Roi sans couronne ; Claude Mettra, « William Goyen m’a conduit jusqu’au grenier de La Maison d’haleine… » ; Marcel Moreau, L’Intensité  ; Jean-Claude Pinson, Russe seconde langue ; James Sacré, « Il me reste si peu des livres ! » ;

La mention de cete revue, de ce numéro, une pièce à verser au dossier « enfances magdelaine ».

[5Portrait.

[6Numéros 7 (A perte de vue), 17 (Laponia), 22 (Parcours), 24 (En chemin), 26 (Chants sérieux), 28 (Chemins et routes, I & II), 29 (Chemins et routes, III), avec des extraits.

[7Laponia, Les nuits vagabondes, Chemins et Routes (lecture de Tristan Hordé pour Les Carnets d’Eucharis), La peinture et le lieu (à paraître)

[8On y lit par exemple à propos des Eaux étroites cette citation :
« Ainsi découvre-t-on, en ce mince volume – le plus transparent, le plus léger qu’ait écrit Julien Gracq, dont l’eurythmie exerce aussitôt un charme sur le lecteur–, à la fois un livre du "je" et des lieux, une rétrospection, un itinéraire où se mêlent une théorie de la rêverie et une poétique de la lecture ; — je poursuis — c’est-à-dire, par tout son engagement, sous le signe du lyrisme et sous la forme du récit, comme un coeur de l’oeuvre, littéraire et intime. » Claude Dourguin, in Œuvres complètes de Julien Gracq, La Pléiade, T2, p. 1459.
En effet, celle y a présenté non seulement le texte des Eaux étroites (pp. 1458-1471), mais encore celui non moins élu des Carnets du grand chemin(pp. 1622-1637) ; elle conclut sa notice ainsi :
« et nous savons que sa seule pérennité, la route la doit à ses voyageurs » après avoir affirmé un peu plus haut :
« Le “grand chemin” est un enjeu d’écriture qui recouvre l’engagement d’un homme, quelque chose comme une éthique heureuse. »

[9Claude Dourguin, Ciels de traîne, éditions José Corti, 2011

[10Voir les sept ouvrages publiés chez cet éditeur, dans la collection Recueil : La Lumière des villes (Londes, Vienne, Amsterdam, Prague, Venise) ; Lettres de l’Avent ; Recours (Patinir, Lorrain, Segers) ; Écarts ; La forêt périlleuse ; Un Royaume près de la mer ; Escales ( New York, Dublin, Naples).

Un court florilège pour esquisser une poétique (un autoportrait ?) :

Elle n’était bien, ne se retrouvait, que dans les villes étrangères. A la fois justement et improprement dites telles.
Changeant de ville elle devenait autre. Ou, plutôt, elle-même autrement. Comme si chaque ville eût permis le développement, la libre circulation de chacun des êtres qui la composait. Peut-être les villes tenaient-elles lieu d’ habits - divers qui lui offraient la possibilité d’être diverse - c’est-à-dire chaque fois démasquée.
(La Lumière des villes, 1990, p. 9)

Aussi le mode que conjuguent invariablement et à n’en plus finir ces tableaux, est-il l’irréel, le seul irréel. Le peintre a choisi celui du passé, le spectateur penche pour le présent : « Ce serait un port où la mer baignerait les églises, où les navires accosteraient au pied des colonnades ... »
Fixation de l’instant et du lieu éphémères, pour toujours offerts à notre désir, mais immobiles - mirages d’immortalité. Œil et âme s’enchantent de ces conjonctions inespérées, site, lumière, constructions et vaisseaux sans rapport dans le temps mais réunis sous le signe d’une commune splendeur,. avant de découvrir le secret principe qui au bout de peu les rend déconcertants. Non, nul ne s’embarquera plus, ni la Reine de Saba, ni sainte Paule, ni d’Ostie ni d’ailleurs, tout cela a déjà eu lieu, est définitivement impossible, mais nous pouvons, à l’infini, offrir à nos regards les images qui reconstruisent nos mythes, et finir par entrer vivants dans le fantasmatique univers qui ayant donné à l’histoire son congé a aboli la mort, et nous tient, par la seule grâce d’une magique lumière et de « l’atmosphère des grands-jours » chère à l’auteur des Fleurs du Mal, dans le rayonnement immobile de l’éternel : le Lorrain nous y a initiés.
Allégeance soit faite à ce dont nous convainc l’ultime lecture, venue comme chacune se superposer à celle qui précédait sans que nulle vraiment fût effacée, allégeance donc à ce rêve, à ce plan-fixe d’immortalité en paysage. (Recours, 1991, pp. 54-55)

Je vous ai aperçu dans la ville - j’aime à le croire -, cet autre jour de vent du Nord, et j’ai fait attention à ne pas vous rencontrer.
Vous regarder de très loin perpétuait l’idée que je me fais de vous - tendre, légère et noyée.
M’enchantait la distance, et je vous laissais dans la liberté que je vous veux, dans cette aisance déliée dont je ne veux pas savoir si elle est celle de l’oubli d’un certain oubli qui vous aurait aboli ou inventé ou du souvenir.
Aujourd’hui je vous écris afin que vous ne restiez pas dans l’ignorance de ce qui s’est passé entre nous ce jour-là, que vous sachiez aussi que l’absence dans laquelle je me tiens parfois, est la forme singulière de mon attachement.
Vous parler, voyez-vous, ç’aurait été comme attenter à votre vie.
Et je ne veux plus que la parole serve à s’assurer de la vie : me fait mal cette trivialité fatale à l’une et à l’autre.
Je me suis retirée ce soir au fond de la maison, dans l’ultime pièce de cette grande demeure. S’étend autour de moi la quiétude des repaires assurés et me comble de bien-être l’espaçe docile à mon désir.
Je demeure immobile, à veiller la patience du temps, jusqu’à ne plus avoir de visage.
On n’entend même plus le chien lointain au fond de la cheminée.
De l’autre côté des mers je vous fais signe.
(Lettres de l’Avent, 1991, pp. 69-70)

La passion de la langue fit écrire Jérôme. On sait que les anges le rouèrent de coups pour avoir lu et relu tout Cicéron ; ce chrétien ne pouvait se résoudre à lire la Bible tant la langue des prophètes le blessait. Ainsi vrai écrivain. Ne méconnaissant pas le monde, dans l’attention à ce qui le fait multiple, varié, mais des livres allant aux livres. (La tradition le présente lecteur fervent, curieux de tous les écrits, vérificateur scrupuleux.) Le menu désordre de volumes autour de lui : la circumnavigation de l’écriture.
Pas à pas, en retrait labeur efficace, et cette exigence minutieuse qui le caractérisa - dans son décor familier le goût du détail le révèle : Jérôme est d’abord un artisan. Qui se souciait de la chose faite, et si possible bien faite. Celui pour qui l’écriture est une tâche. Jérôme, loyal patron des écrivains. Et cette profondeur, ce mystère, cette évidence pourtant, ce qu’on éprouvait sans pouvoir l’expliquer comme l’une des formes les plus attachantes de la beauté, ne serait-ce pas, qui a touché le lieu, le surcroît d’être et d’intensité quand on écrit le monde ? (Écarts, 1994, p. 91)

Et en ce qui concerne Un royaume près de la mer (1998), je renvoie à cette recension de Thierry Guichard (Matricule des anges,) et à celle de Michel Collot, pour la revue Nouveau recueil n° 47, juin-août 1998, qui indique très bien : « Tantôt elle nous donne à voir les sites qu’elle arpente, tantôt elle nous fait pénétrer dans les tableaux qu’elle aime. Tout l’art de l’ekphrasis consiste alors à nous plonger dans un espace dont nous ne savons plus s’il est peint ou perçu in situ, réel ou imaginaire. » Et ajoute : « L’estran, souvent évoqué, illustre exemplairement le caractère transitionnel et transitoire de tout paysage, intermédiaire entre le ciel et la terre, le proche et le lointain, l’intérieur et l’extérieur. Le paysage est pour Claude Dourguin“ un dehors intime”, avec lequel “elle se sent liée” par “une profonde complicité”. » Comme un Zwischenreich en quelque sorte, le royaume intermédiaire, cher à J. B. Pontalis (v. ce livre en folio).

[11Ce que nous souhaitons, qui donne aux êtres leur saveur propre, force et fragilité émouvantes comme pulsations du cœur, des convictions, plutôt que des idées. Le même idéal vaut en littérature. Les héros de Conrad comblent, sont fraternels de ne nous offrir, par leur seule vie, autre chose. C’est toute la fascination de UN COMPAGNON SECRET. (154)
La finale de ce livre, en anglais, la note 2, de ce texte d’explication.

[12Dans L’humeur indocile, Judith Schlanger, brosse de l’historien d’art et expert un portrait mémorable (écho de ce livre-compagnon, lui aussi, ici.

[13Focillon encore :
« L’extraordinaire amnésie dont tout un chacun - critique, artiste, spectateur, lecteur - fait preuve aujourd’hui a quelque chose de navrant, au mieux d’agaçant, d’insupportable parfois dans les injustices qu’elle commet froidement. Sans doute d’ailleurs s’agit-il plutôt d’inculture. Ainsi ce dont s’extasiaient récemment les panneaux didactiques de la rétrospective Soulages à Beaubourg, concernant l’utilisation méthodique que fait le peintre de la matière pour transfigurer le noir en se servant de la lumière, n’ont rien d’original. Ou plutôt les propos qu’ils reprennent comme une découverte extraordinaire, Focillon en a donné voici soixante dix ans l’analyse parfaite. Mais qui a lu Focillon ? Entre autres : “Or la lumière même dépend de la matière qui la reçoit sur laquelle elle glisse par coulées ou se pose avec fermeté, qu’elle pénètre plus ou moins, qui lui communique une qualité sèche ou une qualité grasse.” »

[14Hors-champs
Maurice Nadeau : l’amoureux des livres, du 6 au 13/09/2010.

[15Universitaire (Paris 8), critique (La Quinzaine), auteur (Maurice Nadeau, Verdier)

[16Été strident, chez Actes Sud et La Troisième moitié, chez Maurice Nadeau.

[17Maurice Nadeau, Le chemin de la vie, éditions Verdier, 2011.

[18Avant-propos par Laure Adler I. Les années d’insoumission II. La naissance de l’amour III. Les années de guerre IV. Lecteur V. Découvreur VI. Qu’ est-ce qu’un auteur ? VII. Éditeur.

[19La Belle Lurette d’Henri Calet ; Les Fleurs du Mal ; Balzac et la presse ; Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry. Pour ce qui est de "l’itinéraire critique à travers livres et auteurs depuis 1945" se reporter à Serviteur ! , aux éditions Albin Michel, 2002, qui rééditent Grâces leur soient rendues.

[20Yann Garvoz, Plantation Massa-Lanmaux, éditions Maurice Nadeau, 2011. Ouvrage chroniqué dans la Quinzaine (1033, 1/15 mars) par Maurice Mourier, "L’art de la démesure" qui fait une analyse aiguë du syndrome esclavagiste, et dont le n° 1037 publie les extraits d’un très intéressant entretien (filmé) avec Gilles Nadeau, dont j’extrais, pour poursuivre :
« Ce que je trouve parfois terrible, parfois admirable, c’est que l’être humain a un désir de vivre irrépressible, un désir d’aimer, un désir de poursuivre ses pulsions, incoercibles. La situation esclavagiste fait que certains ont tout pouvoir ou presque. Et il y avait de très grands abus de pouvoir. Ils établissaient des lois sur mesure dans les plantations. D’un côté une très grande domination, de l’autre une très grande sujétion. Mais le désir circule dans tous les sens. » (a lire : « bonnes feuilles »)

[21Le voici.

[22Ce qui emporte l’admiration, c’est aussi la constance et la fidélité, à des auteurs, à des enthousiasmes. Il y a peu encore, Maurice Nadeau (La Quinzaine, n° 985, 1 au 15 février 2009 ) saluait la parution des Lettres à Georges de Veza et Élias Canetti (Albin Michel). Et pour une fois, Ils furent trois à s’aimer d’amour, titre que l’on ne s’attendrait pas à trouver dans la Quinzaine, tenait ses promesses. Quel livre en effet ! Et ce chapeau : « Point n’est besoin de savoir qui étaient Veza et Elias Canetti
– adresse à nos jeunes lecteurs – pour savourer ces Lettres à Georges.
Comme de connaître l’identité complète de ce Georges. On voit tout de
suite qu’il s’agit d’êtres hors du commun et leurs rapports, si extraordi-
naires qu’ils nous paraissent parfois, nous passionneraient même s’il
s’agissait d’anonymes. » comme cette conclusion : « Il y aurait encore beaucoup à dire. Lecture dont je ne peux me détacher, que je reprends depuis le début, cette correspondance d’une intimité qui fait désormais partie de moi, dans laquelle je replonge. Quelles lettres ! Quels êtres que ces trois-là ! Un livre de hasard et qui en rend anodins bien d’autres ! »

Et âne que je suis, pourtant passionné de l’oeuvre de Canetti, je n’ai jamais fait attention que :
Une première édition d’Auto-da-fé avait paru, chez Arthaud en 1949 sous le titre La Tour de Babel, et avait obtenu le premier des successifs prix annuels du roman étranger.
Le « fauteur » : Maurice Nadeau !

Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, Nadeau me donnait de lire par la même occasion La Folie Canetti de Roger Gentis, découvert avec N’être il y a belle lurette, et dont je ne savais qu’il avait été un éminent collaborateur de la Quinzaine : l’heureuse réédition de ses articles, Freudaines aux éditions Érès, m’a offert une opportune session de rattrapage (intensif).

[23Jean-Pierre Salgas, Witold Gombrowicz ou l’athéisme généralisé (sous-titre à l’intérieur) aux éditions du Seuil.

[24Manière de dire l’amitié de Nadeau et d’Elio Vittorini, auquel le « Journal en public » rend hommage, journal en public, oxymore, puisqu’il signifie « Journal
intime en public »

[25Witold Gombrowicz, vingt ans après, suivi de Correspondances, et Une jeunesse, collectif sous la direction de Manuel Carcassonne, Christophe Guias et Malgorzata Smorag, Christian Bourgois éditeur, 1989.

[26A lire également, à l’occasion de la publication du "Journal, tome Il’’, « Un homme fabriqué par une écriture subversive ». Entretien avec Constantin Jelenski, Maurice Nadeau, Roger Dadoun, Pierre Pachet, Rita Gombrowicz, Geneviève Serreau, Quinzaine littéraire, n° 236 parue le 01-07-1976

[27Jean-Pierre Salgas, Gombrowicz, un structuraliste de la rue, suivi de Witold Gombrowicz, « La littérature émigrée et le pays natal » et autres textes, éditions de l’Éclat, 2011.

[28Et la façon qu’avait Gombrowicz « Monsieur Jourdain de la pensée moderne » (Kot Jelenski) d’être existentiellement structuraliste (« [...] je suis structuraliste comme je suis existentialiste [...] mon structuralisme à moi est artistique, il vient de la rue et de la réalité quotidienne, il est pratique. Et parce que pratique, assaisonné d’angoisse et de passion »).
« Structuraliste anonyme et effrayé » se définit-il encore ... « Qu’il me soit permis de dire que cet homme structuraliste m’est apparu déjà avant la guerre : je lui ai fait faire bien des pirouettes dans mes romans. Et, de plus,je lui ai consacré quelques maigres commentaires dans mon Journal et mes préfaces [...] Ce n’est pas nous qui disons les paroles, ce sont les paroles qui nous disent. » (Gombrowicz, un structuraliste de la rue, p. 12)

[291. UNE « NON DIVINE COMÉDIE » : La pornographie chapitre 2. L’homme récite l’homme. Contre les poètes, pour les acteurs. Une trilogie auto fictive. Le Mariage. Un art du théâtre.
II. GOMBROWICZ DANS LES RÈGLES DE L’ART : Une sociologie de la littérature. Contre Jorge-Luis Borges. Une sociologie en apesanteur. « Jean-Paul Sastre sur mesure ». L’anti-Heidegger.
III. L’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE À REBOURS : ...EN SIX CITATIONS ET QUART (jeunesse, style, réalité, sujet-objet, entre, épicurisme). Note sur Michel Foucault, Gilles Deleuze et Witold Gombrowicz.
IV. DE LA « FILISTRIE » Un polonais exacerbé par l ’histoire. Le « roi des juifs ». L’universel non ratifié par Paris. L’utopie de la filistrie. Poétique de la morsure. Polémique avec Cioran. Le rapport juif à la forme. Conseils à la littérature argentine. Filistrie et créolisation.
V. « LES TROIS MOUSQUETAIRES ». DÉSESPOIR, ENGLOUTISSEMENT, RÉVOLTE... Nous-mêmes. Le cheval de Pilsudski. Sur le « terrain de jeu de Dieu ». 1926 : le corps de l’art. Réflexions sur la question Pologne. 1935 : Les jambes des femmes. Le cheval de Kantor.
Cf. la présentation par le Musée des Beaux-arts de Nancy. Et en ce qui concerne l’admiration de Bruno Schulz pour Ferdydurke, son essai paru en 1938, publié dans Correspondance et essais critiques, Denoël, 1991, pp. 345-353, ou Oeuvres complètes, chez le même éditeur, 2004, pp. 442-452.

[30Prologue pour la première édition espagnole de Ferdydurke (1947), « Je défends les Polonais contre la Pologne » (1952), « Mon conseil avant de mourir » (1954), « La littérature émigrée et le pays natal » (1956), Interview pour Radio Free Europe(1963), inédits en français, et Préface à l’édition varsovienne de Trans-Atlantique (1957).

[31« Regarde de tous tes yeux, regarde », l’art contemporain de Georges Perec, catalogue de l’exposition présentée à Nantes, du 27 juin au 12 octobre 2008,
puis à Dole, du 21 novembre 2008 au 21 février 2009, éditions Joseph K.

[32Donner les têtes de chapitre sera parlant : « Je fais partie des artistes comme Klee » ; De L’Espèce humaine à Espèces d’espaces ; 1947 : Exercices de style. 1950 : Lazare parmi nous ; « Mais comment taire [...] » « Ce dont ils se souviennent » ; Les quatre « champs » de l’art contemporain ; De Baudelaire (1859) au Centre Georges Perec (1978). Ce dernier chapitre comme en reprise du tout, démontre qu’il y a bien un Centre Georges Perec strictement contemporain du Centre Georges Pompidou (25) ; le lecteur intéressé pourra se référer aux pages (101-102) que Jean-Pierre Salgas a écrites sur Perec, le « contemporain capital posthume » de la période 1968-2001 dans Le roman français contemporain. (ADPF, 2002, co-auteurs, Michel Braudeau, Lakis Proguidis, Dominique Viart.

[33A cet égard, rien ne vaut sans doute la réponse à l’enquête de Kultura (1956), concernant « La littérature émigrée et le pays natal », qui conclut ainsi :

« Et en plus, ils viennent lorgner dans nos poches ! Comme si, flairant de bons gains, j’étais prêt à céder sur mes principes. Mais vous n’êtes pas assez malins ! Avec de telles inspections et injonctions de papier vous n’aboutirez à rien, l’artiste est insaisissable et aérien spiritus flat ubi vult - et il vous échappera chaque fois qu’il le voudra. Si vous étiez un peu plus sages (mais ce n’est là qu’un vœu pieux), vous sauriez qu’il n’existe qu’un seul moyen d’enchaîner, d’emprisonner vraiment un écrivain : le respecter, comprendre sa signification, sa nécessité. Si vous mettez un peu de ce sel-là sur la queue de l’oiseau, il ne s’envolera pas. De la décence, de l’intelligence et un peu de hauteur voilà la clé de la situation. »

[34Thème deleuzien, s’il en est, cf. Kafka, mais aussi affinités marquées dès l’ouverture de Critique et clinique, par exemple :

« Ecrire n’est certainement pas imposer une forme (d’expression) à une matière vécue. La littérature est plutôt du côté de l’informe, ou de l’inachèvement, comme Gombrowicz l’a dit et fait. Ecrire est une affaire de devenir, toujours inachevé, toujours en train de se faire, et qui déborde toute matière vivable ou vécue. C’est un processus, c’est-à-dire un passage de Vie qui traverse le vivable et le vécu. »

[35J’aurais tout aussi bien pu faire mention de cette précision (je souligne) apportée par Rosine Georgin à son Gombrowicz (Cahiers Cistre n°2, L’Âge d’homme, 1977) :

L’analyse de texte qui fonde cet essai est directement inspirée par la théorie lacanienne. Sans le stade du miroir développé par Lacan, sans l’insistance qu’il met sur le thème du double imaginaire, sans l’accent qu’il porte·à la bisexualité chez l’homme, sans la théorie du corps morcelé, le jeu très complexe de dédoublement au miroir qui caractérise l’œuvre de Gombrowicz, l’ambivalence amour-haine de ses personnages, la hantise de l’homme-femme qui domine son œuvre n’auraient pu être élucidés.

La quatrième de ce premier essai sur l’oeuvre (la bibliographie mentionne le Cahier de L’Herne n° 14 (K. Jelenski, D. de Roux) :

« Gombrowicz est considéré comme un écrivain de l’absurde.
On le compare à Beckett ou à Ionesco. Il évoque pourtant les poètes des 17° et 18e siècles polonais. Car le baroque polonais, avec son style jésuite, monumental et démesuré, imprègne la vie polonaise jusqu’à l’époque actuelle.
« Trans-Atlantique », pamphlet pseudo-romantique, est le roman le plus baroque de Gombrowicz. Pour le comparer à un auteur français, il faudrait inventer un écrivain qui tienne le milieu entre François Rabelais et Raymond Queneau.
Le présent essai tente de cerner ce qu’on appelle le « sarmatisme », profondément lié au baroque. C’est l’emprise exercée par cet héritage que Gombrowicz dénonce. Il s’acharne à démolir la « polonité », le respect aveugle des valeurs traditionnelles et la glorification du sacrifice. Dans le même mouvement, Gombrowicz exalte les anti valeurs. II revendique l’informe, l’immature, l’inférieur.
Cet essai est le premier en date qui soit consacré à l’ œuvre de Witold Gombrowicz. Il porte sur la totalité de l’œuvre, en incluant les textes qui ne sont pas encore traduits en français. »

[36Jean-Pierre Salgas écrit :

« Ni exil, ni exil de l’intérieur, ni diaspora, ni minorité ... Gombrowicz. Alors quoi ? L’original de Ferdydurke était en un sens déjà une traduction, l’écrivain aujourd’hui « écrit en présence de toutes les langues du monde » (Glissant). En 2011, plus encore qu’en 1951, Il faut vraiment prendre au sérieux le dispositif Trans-Atlantique, son palimpseste exacerbé, son carnaval feuilleté, sa contradiction apparente, simultanément pastiche du nostalgique et polonissime (lituanien) Pan Tadeusz, et utopie géopolitique (anthropologique-esthétiquepolitique). Comme dans la bibliothèque de Gonzalo - les livres « mordent » les livres, le roman donquichottesque de la chevalerie polonaise « mord » le Retiro utopique et sert à inventer le peuple de demain. En 2011, plus encore qu’en 1966, il faut entendre ce que dit Kot]elenski à Rita de l’usage « anthropologique » du polonais chez Gombrowicz et de l’identité souterraine de Léon Wojtis et de Witold Gombrowicz. Relire Cosmos chapitre 8. Bamberguement du berg dans le berg : creusez Zakopane et son Giewont-Zauberberg, vous trouverez Drohobycz. Faites bégayer la langue polonaise jusqu’au trou noir des mots sous les mots et vous déboucherez sur le « pogrom intérieur » de Stefan Czarniewski. Dieu est mort, avec lui la patrie. Berg : la littérature mineure enfin majeure, Berg : la filistrie réalisée et condensée... »

La note 38 s’applique à Stefan Czarniewski. Un conte datant de 1926, repris dans Bakakaï, cf. cette page du site Gombrowicz. Michał Głowiński, lui consacre un chapitre de son Gombrowicz ou la Parodie constructive ( éditions Noir sur blanc, 2004), qu’il intitule (la traduction est de Maryla Laurent) : A la charnière de l’« être-des-nôtres » et de l’« intrus ». A lire, cet extrait de Witold Gombrowicz et la surlittérature.

[37Le site de la fondation en précise la problématique, donnant la parole à la commissaire Jeanette Zwingenberger. La revue Art press 2 en établit le catalogue commenté.

[38Le site de la galerie Catherine Putman est spécialisée dans les dessins et les estampes d’artistes contemporains ; le communiqué de presse de la première exposition d’Álvaro Oyarzún du 29 janvier au 19 mars 2011.

[39Je dois à la courtoisie de la galerie Catherine Putman, que je remercie bien vivement, d’avoir pu lire une présentation de l’artiste (dont j’ai pris cet extrait), à paraître dans la revue Art Nexus - mai 2011, par Christine Frérot, Ingénieur d’études à l’EHESS (CRAL), critique d’art et correspondante à Paris de la revue ART NEXUS, revue d’art contemporain (Bogota-
Miami) depuis 1997.