04/01/10 — Marguerite Duras, Jean-Marie Straub & Danièle Huillet, Jean-Bernard Vray, Piera Aulagnier, Daniel Pozner, Laurent Zimmermann, Jean-Louis Baudry, Annick Bouleau, Stéphane Crémer
L’instituteur : Et comment, comment l’enfant Ernesto envisage-t-il d’apprendre ce qu’il ne sait pas encore ?
Le père : Tiens, mais c’est vrai !
Ernesto : En ra — châ — chant.
L’instituteur : Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
Ernesto : Une nouvelle méthode.
L’instituteur : Incholent !
Marguerite Duras [1]
Rachâchons d’une année l’autre !
Francis Marmande évoquant la disparition de Renée Lebas — partageons-en l’émotion — écrit : « [Elle] aimait et chantait des chansons. Elle vient de mourir, vendredi 18 décembre. Je vous parle d’une planète disparue, sans doute, mais ne croyez pas non plus que je rabâche ma jeunesse. Elle avait 92 ans, j’ai l’âge du Monde. Ce qui n’empêche pas d’aimer les chansons de Lebas ou les poèmes de Louise Labé : les chansons courent dans les rues, elles osent parler d’amour au point où les petits romans actuels ont du mal à le faire, elles affrontent la bêtise en riant. Ne vous étonnez pas que la fille de Raymond Asso [qui composa pour elle], Françoise Asso, ait écrit Du jeu (Maurice Nadeau éditeur), tout est lié. » [2] Est-ce que je “tire l’aiguille, ma fille”, pour qu’ici tout paraisse lié ? Elisabeth Bing m’a appris qu’à ce saint (Lié) on pouvait se vouer, et en vérité, du haut de sa montagne (de Reims) il veille, sur la bonne Magdelaine [3]. Sous sa bonne garde, délions-nous donc la langue, que Renée Lebas savait si bien scul-peu-ter.
Marguerite Duras, de ah ! Ernesto ! à La pluie d’été
« Écrire mais pas comme le printemps, pas comme la culture, l’instruction, mais comme soi-même, comme sa fatalité propre, de même que si tout le monde écrivait. » [4]
Au début de son étude « Les livres, le Livre dans La pluie d’été » [5], Jean-Bernard Vray inscrit :
« De « ah ! Ernesto ! » (1971), en passant par le texte du film Les Enfants (1984) jusqu’à La Pluie d’été (1990) et sa version pour le théâtre, le jeu de reprise en intertextualité interne avance en enchâssant, en amplifiant, à partir de ce petit texte dialogué, daté post-68, et apparemment simpliste qu’est l’album pour enfants « ah ! Ernesto ! » [6] ».
Il précise :
« D’autre part, en dynamique d’intertextualité externe, la référence à la Bible , bien qu’absente du récit initial et écartée par Duras du texte des Enfants, travaille l’oeuvre comme une lame de fond qui viendrait se fracasser dans La Pluie d’été [7]. »
Et c’est en effet l’écho d’un grand rachâcheur devant l’Éternel qui parcourt l’ensemble du texte. Au « Vanité et poursuite de vent » de Qohélet, se superpose le « Pas la peine » d’Ernesto.
J’isole deux passages selon ma visée propre, ou résonance, ou questionnement : ce qui peut s’apprendre et comment — il va sans dire que cela n’épuise pas la portée du livre [8] :
« L’arbre, après le livre brûlé, c’était peut-être ce qui avait commencé à le rendre fou. C’est ce que pensaient les brothers et les sisters. Mais fou comment, ils pensaient que jamais ils ne le sauraient.
Un soir, les brothers et les sisters avaient demandé à Jeanne ce qu’elle en pensait, si elle avait une idée. Elle, elle pensait qu’Ernesto avait dû être frappé par la solitude de l’arbre et par celle du livre. Elle, elle croyait qu’Ernesto avait dû rassembler le martyr du livre et celui de la solitude de l’arbre dans une même destinée. Ernesto lui avait dit que c’était lorsqu’il avait découvert le livre brûlé qu’il s’était souvenu de l’arbre enfermé. Il avait pensé aux deux choses ensemble, à comment faire leur sort se toucher, se fondre et s’emmêler dans sa tête et dans son corps à lui, Ernesto, jusqu’à celui-ci aborder dans l’inconnu du tout de la vie.
Jeanne avait ajouté : Et à moi aussi il avait pensé Ernesto. » (p. 15)
L’instituteur : Pour le livre brûlé ... dites-moi Monsieur Ernesto ...
Ernesto, cherche comment dire : Avec ce livre ... justement... c’est comme si la connaissance changeait de visage, Monsieur ... Dès lors qu’on est entré dans cette sorte de lumière du livre ... on vit dans l’éblouissement... (Ernesto sourit). Excusez-moi ... c’est difficile à dire ... Ici les mots ne changent pas de forme mais de sens ... de fonction ... Vous voyez, ils n’ont plus de sens à eux, ils renvoient à d’autres mots qu’on ne connaît pas, qu’on n’a jamais lus ni entendus ... dont on n’a jamais vu la forme mais dont on ressent... dont on soupçonne ... la place vide en soi ... ou dans l’univers ... je ne sais pas ... (p. 109)
Merveilleuse figure de l’instituteur selon Duras qui dans ce conte philosophique se fait prosélyte de l’enfant-prophète (qui n’a plus ici l’âge assigné par l’état-civil), ne supportant plus "de ne plus ignorer et à la fois de ne pas savoir" ; c’est pourquoi il prendra en charge les sisters et les brothers, pour les emmener au-delà des alboums et de Tintin au Prisu.
L’« examen » [9] de ce qui suit se fera plus rapide, ce qui est retenu l’est, certes en raison de sa valeur propre, mais présenté ici pour former constellation avec la geste d’Ernesto.
Piera Aulagnier, Un interprète en quête de sens
« Condamné pour et par la vie à une mise en pensée et à une mise en sens de ton propre espace corporel, des objets-buts de tes désirs, de cette réalité avec laquelle tu devras cohabiter, qui leur assurent de rester, quoi qu’il arrive, les supports privilégiés de tes investissements. » [10].
De Piera Aulagnier, la dernière lettre [11] avait mentionné le travail sur et autour de son texte Le droit au secret : condition pour pouvoir penser, récemment paru sous l’intitulé La pensée interdite, et en soulignait, par delà le travail sur la psychose, les réflexions relatives à la création. On retrouvera ce texte dans une réédition en poche, dans sa constellation propre réordonnée en trois parties : La première, Pratique de l’analyse, la seconde : Désir, demande, souffrance et la dernière : Le conflit psychotique.
C’est incontestablement un livre-pour-travailler-avec, mais dont les intuitions débordent à mon sens tout à fait le cadre précis où ils s’originent. Maurice Dayan qui signe un très clair avant-propos [12] en souligne « la recherche continue d’une adéquation du sens énonçable à une expérience jamais close, dont le lecteur se convaincra sans peine en suivant l’enchaînement des textes. Chacun d’eux se suffisant pour ainsi dire à lui-même, bien qu’aucun ne se veuille réponse exhaustive à la question qu’il pose ou qu’il réitère. » C’est en pointer la dimension métapsychologique, inséparable de la pratique clinique, ce qui donne à ces écrits, à leur lecture saveur de littérature. « Condamné à investir » relève de l’epos et se livre en même temps comme une proposition sapientielle : Qohélet, Ernesto-Duras ne sont pas si loin.
Daniel Pozner, Les animaux de Camin
Quand la phylogénie rencontre la poésie cela peut donner :
Un animal esquissé. À sa manière, transparent.
Un humain, pour le nommer. Ce qui change, ce
qui demeure. Dans une main, hasard, chimères,
découvertes. L’autre lui échappe. Ce n’est pas
fini. Il observe. [13]
Soit la onzième branche du cladogramme poétique de Daniel Pozner à partir des propositions de recherche de Joseph H. Camin et de Robert R. Sokal : A method for deducing branching sequences in philogeny [14]. La première proposition telle que la transcrit Daniel Pozner indique la méthode, la suite du texte la met en oeuvre à la fois de manière pince-sans-rire mais non sans donner à réfléchir, sur la création (majuscule ou poétique), la voici :
« Un groupe d’animaux imaginaires aux caractères morphologiques produits par l’un d’entre nous (Joseph H. Carnin) selon des règles connues de lui seul - et qui sont supposées refléter celles de l’évolution transspécifique. La continuité génétique a été assurée en reportant les dessins des animaux d’une feuille sur l’autre : conservation de tous les caractères, hormis ceux qui ont été volontairement modifiés. L’étude n’est pas achevée, mais nous sommes d’ores et déjà en mesure de proposer une méthode empirique visant à inférer les relations cladistiques à partir des caractères des organismes vivants contemporains. » (1) [15]
Un lien avec Ernesto ? L’arbre, naturellement :
Les arbres poussent leurs branches, dans le plus grand désordre, vers le passé. vous avez encore de beaux fruits, de beaux cactus. Histoires, blessures et sourires, noeuds, bifurcations, où allez-vous d’un si bon pas, curieux animaux ? des animaux imaginaires, mes contemporains. Je vous observe et vous me tirez par la main. (6)
Rassurant ? : « Ce n’est pas fini. » (12)
Laurent Zimmermann, Rimbaud ou la dispersion ; Jean-Louis Baudry, Le texte de Rimbaud
L’année 2009 aura prouvé à l’envi « notre besoin de Rimbaud ». Outre la réunion des essais d’Yves Bonnefoy [16], un troisième Pléiade, sous la direction d’André Guyaux [17], un numéro [18] de la revue Europe en octobre.
Ce dernier précise : « Si de nos jours encore le Mythe Rimbaud survit et prospère, les recherches n’en ont pas moins fait progresser notre connaissance de la vie et de l’oeuvre du poète. Elles prouvent, entre autres, l’extraordinaire précision de Rimbaud, ses vastes lectures dans la poésie de l’époque, et surtout une véritable pensée poétique qui procède par bonds, mais selon une succession de décisions réfléchies. » (4°)
C’est dans cet esprit que je mentionne les deux ouvrages chez Cécile Defaut : Rimbaud ou la dispersion de Laurent Zimmermann, et Le Texte de Rimbaud, de Jean-Louis Baudry préfacé par Laurent Zimmermann, suivi d’un entretien mené par celui-ci avec Jean-Louis Baudry.
L’on suivra Laurent Zimmermann énonçant :
« Une autre manière de lire Rimbaud et d’entendre ce qu’il nous propose est possible, qui ne dissocie pas les deux versants [d’un côté rompre avec l’art et de l’autre côté de le porter au plus haut degré de perfection] .
Car au fond, ce que le geste ultime de Rimbaud abandonnant la poésie aura marqué de façon particulièrement dramatique était déjà en partie inscrit dans l’œuvre. Ce qu’il s’agissait de réaliser pour Rimbaud consistait à mettre en œuvre, et à penser en même temps, le mouvement de dispersion, de déchirement du poème en direction du réel. Il y avait là déjà quelque chose qui remettait en cause la poésie mais non pas de manière statique, de manière, tout au contraire, vivante et mobile. Ce que le geste d’abandon allait déclarer, une volonté de dépassement de la poésie, les poèmes l’auront ainsi déjà déclaré, mais autrement et surtout de sorte à ce que ce dépassement se compose au cœur même du poème, pour en sourdre et nous appeler à le vivre. »
Ce qu’il s’est employé à faire en ces trois chapitres : Le rien à venir ; Autour du Bateau ivre ; enfin, Rimbaud ou l’ivresse mobile. Je ne reproduirai que le second quatrain de Sensation, pour comme lui, après Brunel, Y voir une porte de l’oeuvre :
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
Mais c’est aussi Aube qui « dira donc le « beau » selon Rimbaud, et ce beau étant investi de la force du « rien », d’un élan vers un « rien » traversé de métaphores et de métamorphoses : ce « rien » si particulier chez Rimbaud. Aube est un poème où fait retour cette poétique courant en filigrane dans l’œuvre. »
On le voit, une lecture des plus attentives de quelques poèmes-clés (dont un Michel et Christine peu commenté) montre à quel point la poétique est ici pensée, et je confonds bien volontairement celle du poète et celle du poéticien en particulier lorsqu’il relit Forme [i] de Michel Deguy, « où parce qu’il se situe dans la suite du poème de Rimbaud, parce qu’il en subit l’impact, le même poème se trouve conduit, par un subtil jeu de mouvement dans sa citation et son évocation des lames, vers la déformation. Manière de mettre en jeu la dispersion rimbaldienne, qui n’est pas l’absence de forme ou de fixation, mais, la forme et la fixité étant posées, une lutte intense et incessante contre elles, pour que le défigement toujours reprenne le dessus, pour que la poésie ne s’immobilise pas dans la belle forme mais continue à vivre [...], nous obligeant à rester nous-mêmes dans ce moment continué de l’ ouverture - et faisant de cette continuation ce que propose la poésie. » (pp. 98-105)
Plusieurs lectures seront possibles de la réédition des textes de Jean-Louis Baudry. Ceux qui les ont lus dans Tel Quel (1968 et 1969) [19], y trouveront force maintenue, et apprécieront en même temps la simplicité avec laquelle l’auteur réévalue sans les renier les directions de travail d’alors ; c’est l’objet de l’entretien avec Laurent Zimmermann. D’autres, et espérons-le, pas seulement les candidats à l’agrégation, ne manqueront de se rendre à son invitation de voir précisées les coordonnées ci-après :
« ...les analyses de Jean-Louis Baudry se présentent comme la réponse à un certain enjeu fondamental : celui de présenter Rimbaud, le texte de Rimbaud, comme ce qui va mettre en jeu une « coupure », un moment de bascule avec lequel l’on assiste au « remplacement de la fonction expressive de la poésie par une fonction productive du texte ». Passage de la littérature à l’écriture, et remplacement de l’auteur par le texte. »
afin de saisir leur fécondité pour aborder Rimbaud.
Annick Bouleau, Ouvrir le cinéma
Je ne connais pas de livre publié par Annick Bouleau, mais c’est un auteur (une auteure), assurément, qui se présente ainsi :
Engagée en 1968 comme rédactrice à l’administration centrale du Cnrs, j’ai développé, à partir de 1980, et en accord avec la direction scientifique de cet organisme, une activité de cinéaste et d’enseignante dans le cadre d’une recherche pratiquante.
Depuis 1992, je suis rattachée au CRAL, Centre de recherches sur les arts et le langage (unité mixte de recherche CNRS/EHESS).
Depuis 2004, en tant qu’assistant-ingénieur, je collabore avec l’historien de l’art Georges Didi-Huberman pour la numérisation d’un atlas anthropologique ayant l’image, le mouvement et le son comme matériaux de base.
Responsable du site OUVRIR LE CINÉMA [20]. Présidente-fondatrice de l’association ANSEDONIA.
Je laisse à l’internaute intéressé le bonheur de la découverte : une personne, des rencontres, des travaux en commun, des découvertes, des points d’étapes. Je pointe quelques noms, Jean Oury et les séminaires de Sainte Anne, les lectures d’Henri Maldiney, des travaux cinématographiques où apparaissent Georges Didi-Huberman évoquant l’année 1929 (Freud, Warburg), Jean-Marie Straub : « La pesca d’Elisa », et tout spécialement qui m’a ramené au premier numéro de Penser/rêver, le relevé de "La psychanalyse naît de l’esprit même de la technique grecque" de Giovanni Vassalli (traduction Michel Gribinski) :
« La « technique », dans la culture hellénistique, n’est pas ce que nous entendons aujourd’hui par technique. Elle a son lieu propre entre, d’un côté, les choses qui existent en elles-mêmes et par nécessité, et, d’un autre côté, les choses qui existent par accident. Les premières ressortissent à la science (epistèmè) ; pour les secondes, qui existent par accident ou destin (tuchè), il n’y a tout bonnement pas de science à proprement parler. Entre la science et l’accidentel se trouve un domaine où les activités humaines essentielles se développent avec leurs « objets », pour lesquelles, chez Aristote, un savoir spécial et qualifié est requis : c’est le domaine de l’éthique et des arts, spécialement l’art de la guérison et celui de la rhétorique. Ces arts (technai) dépendent d’une modalité rationnelle qui leur est propre. » [21]
Avec cette clé, s’explore sans difficulté cette boîte à outils (évolutive) qu’Annick Bouleau offre réactualisée à son lecteur et qu’elle range sous le nom de Constellation [22].
Stéphane Crémer, le banc
Stéphane Crémer, dont viennent d’être réunis sous le titre : « le banc », aux éditions Isabelle Sauvage avec « compagnies » (dans une composition différente de celle de 2003 aux mêmes éditions), « lignes d’eau » dont des extraits ont paru dans le Mouez Enez Sun, « état actuel des choses » à la vivante mise en page et un ensemble justement dénommé « à hautes voix » (dites un ciel moléculaire à haute voix, vous n’y verrez que du bleu) qui clôt l’ensemble, a été l’invité de Sophie Nauleau pour son émission « Ça rime à quoi » [23], la bien-nommée en la circonstance de cette lettre !
Raison de plus donc pour saluer une fois encore le travail de l’éditrice, et à cette occasion les lecteurs avec :
fugue
Pris au vent de son vol qui tracte en forme de victoire notre
chambre, au grand large où le paysage en pleine mer sécrète
sans en rien LAISSER PARAÎTRE la forme dont découvrir le
monde, un attelage d’oiseaux nous guide jusqu’à la marée
basse de l’autre rive : vers les sables où nous reconnaître DANS
LES ÉBOULIS DE NOS CHÂTEAUX.
[1] Dont en entend la voix dans "En rachâchant", court-métrage de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, 1982, d’après ah ! Ernesto !, Marguerite Duras, ill. de Bernard Bonhomme, Quist/Ruy-Vidal, 1971.
[2] Il ajoute : « Renée Lebas date du temps où les chanteuses ne se prenaient pas pour Louise Labé. A moins que ce ne fût du même ordre. Au temps où Raymond Asso composait pour elle, pour Mouloudji, Montand, Catherine Sauvage, vous aviez, dans l’ordre, la chanson, le parolier, le compositeur, qui ne se prenait pas pour Bach, encore moins pour Laverne, l’interprète enfin, qui portait la chanson. En 1956, Renée Lebas chante pour sa soeur morte, déportée à Auschwitz, La Fontaine de Varsovie. Première chanson qui ose affronter la Shoah. La chanson ne craint pas l’impossible ».
« Où es-tu mon amour ? » Article paru dans l’édition du « Monde » du 23.12.09. Hélène Hazera avait célébré « le velours du coeur » dans l’édition du 27 août 2004 de l’Humanité et Les Greniers de la mémoire, lui avaient consacré une mémorable émission le 30 avril 2006, sur France-Musique.
[3] Décryptage : sur une butte du vignoble champenois, à l’abri d’un bosquet, remarquablement visible à la ronde, lui, saint Lié — c’est son nom — veille en sa chapelle, sur le village en contrebas, Villedommange (premier crû — villa dominica oblige) , et plus loin encore sur la vaste plaine de Reims. Ce bon saint, il m’a fallu le reconnaître d’abord chez la mère des ateliers d’écriture. En effet, « Voilà le gros saint Lié qui passe » se retrouve tant dans Ce livre que mon père écrivait* (Gallimard, L’Arpenteur, 1995) que dans Fragments du jour, suivi de Armor* au Préau des collines, — surprenantes, magnifiques et suprêmement émouvantes pages 103-104, intitulées : Partir pour retrouver le Grand-Orient, qui livrent son « cheucret ».
[4] M. D. ; à propos de Musil, Quinzaine littéraire n° 363, 16-01-1982.
[5] Jean-Bernard Vray, « Les livres, le Livre dans La pluie d’été », in Lire Duras, collectif sous la dir. de Claude Burgelin & Pierre de Gaulmyn, Presses Universitaires de Lyon, 2001, 622 p, pp. 299-317.
[6] ah ! Ernesto !, Marguerite Duras, ill. de Bernard Bonhomme, Quist/Ruy-Vidal, 1971.
"En rachâchant", court-métrage de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, 1982, d’après ah ! Ernesto !, cf. note 1.
Marguerite Duras Les Enfants, 1984, éditions Benoît Jacob.
Marguerite Duras. La pluie d’été POL, 1990.
Marguerite Duras. La pluie d’été. Porté à la scène par Eric Vigner ; compte-rendu de Monique Le Roux : "L’Enfant de la banlieue" ; Quinzaine Littéraire numéro 637 parue le 16-12-1993. S’est ensuivie également une réalisation filmée (1996) ; sur le compagnonnage Éric Vigner/Marguerite Duras/La Pluie d’été, lire le témoignage recueilli par Sabine Quiriconi, Cahier de L’Herne, Marguerite Duras, 2005, pp. 191-194.
Marguerite Duras. La pluie d’été Gallimard/Folio n° 2568, 1994.
[7] Jean-Bernard Vray, cite l’entretien donné aux Cahiers du cinéma en 1985 : « Ça s’est d’abord appelé d’abord Ernesto en toute innocence, et puis Les Enfants d’Israël, et puis les Enfants du roi. Et puis Les Enfants. Car il était roi d’Israël, l’Ecclésiaste » [Cf. « Et puis Ernesto leur avait demandé de ne pas oublier, les derniers rois d’Israël, à Vitry, c’étaient leurs parents ». (p.59)]. C’est dire si vive est la relation de l’auteur au texte biblique. Et à cet égard, la démonstration de Jean-Bernard Vray emporte l’adhésion, l’énigmaticité de la profération du Sage rejoignant celle de l’écriture, telle que manifestée, entre autres exemples, dans Écrire.
Lorsque Jean-Bernard Vray expose : « Écrire serait alors moins résoudre l’énigme que la dire en tant qu’énigme. Il me semble que Duras écrit dans cette énigme, que son écriture en est estampillée. Elle écrit dans l’énigme et comme les enfants, comme les écrivains dans la fiction, dans le jeu. », j’abonde doublement dans son sens :
— D’une part en évoquant : »Was hast du mit einem König zu tun ?« / »Ich bin doch die Königstochter.« / »Du ?« / »Ich bin eine Tochter vom König David oder vom König Saul. Die lebten, das ist schon lange her ; aber wir haben es nicht vergessen. «
Gertrud Kolmar, Susanna, (écrit entre le 29 décembre 1939 et le 13 février 1940), Suhrkamp Verlag, Jüdischer Verlag, 1993, p. 20 ; traduction française (Laure Bernardi), en poche, Bourgois, coll. Titres, 2007, pp. 22-23 (1° édition, Farrago, 2000) : - Et quel, rapport y a-t-il entre toi et un roi ? / - C’est que je suis la fille du roi. / -Toi ? / - Je suis une fille du roi David ou du roi Saül. Ils ont vécu il y a très longtemps ; mais nous ne l’avons pas oublié.
— D’autre part avec ces mots-mêmes de Marguerite Duras : « Car Musil c’est l’insurmontable tentative d’écrire, l’impossibilité d’y atteindre, la folie d’y vouloir accéder.[...] Mais on n’en finirait pas d’écrire sur ce fou, Musil, et sur soi, Musil porte à écrire mais pas comme le printemps, pas comme la culture, l’instruction, mais comme soi-même, comme sa fatalité propre, de même que si tout le monde écrivait. » ("Une des plus grandes lectures que j’aie jamais faites" Quinzaine Littéraire n° 363 parue le 16-01-1982)
[8] La pluie d’été marquerait la fin de l’innocence, d’une forme de "(vert) paradis", aussi parce que « On ne peut pas dire plus loin que ce texte » (L’Ecclésiaste). Néanmoins le désir de le noter, de le signifier, en vaudrait "la peine" - quand bien même augmenter sa science accroît sa douleur - comme rédiger ce "petit dépliant" (cf. Pierre Bergounioux) à l’adresse de ceux qui viennent après, puisque comme le prophétise Ernesto : « On ne peut pas rattraper les parents ».
Lire comme Anne-Marie Pelletier : « Curieusement, chez un auteur comme Marguerite Duras, que tout éloigne de la Bible, c’est aussi le livre de L’Ecclésiaste qui revient irrésistiblement dans La Pluie d’été, où un enfant de la misère fait l’inventaire des absurdités du monde, des vrais et des faux savoirs, des raisons de vivre ou de ne pas vivre. » — Pour que la Bible reste un livre dangereux, Etvdes, Octobre 2002, n° 3974, p. 340 — paraît un peu court, Marguerite Duras fut une lectrice assidue de la Bible : « Je suis très habituée à ce texte. C’est devenu un langage quotidien ». (propos relevés par Christine Blot-Labarrère Marguerite Duras, Seuil, 1992, p. 272 ou encore dans Ecrire : « Le texte des textes, c’est l’Ancien Testament », tandis que les Yeux verts mentionnent avec la rencontre de Freddie celle de la« judaïté merveilleuse ».
[9] Cum grano salis ! J’ai en tête le récit de la rédaction de Jean Oury au « concours des bourses », sujet : relater la venue de l’inspecteur. Jean Oury évoque ce souvenir lors du colloque Fernand Oury (video, du 2 novembre 2008, Paris X ; lire le portrait par Jacques Pain.
[10] « Tel est le verdict qui frappe le Je dès son surgissement sur la scène psychique : penser son corps, son statut de désirant, cette réalité dont il devra accepter les exigences, de manière à les protéger de tout risque de désinvestissement définitif, s’opposer à tout ce qui peut menacer de disparition ces mêmes représentations psychiques, œuvre du travail de sa pensée, sans lesquelles ni corps, ni objet, ni réalité ne pourraient avoir pour lui d’existence, faire partie de son pensable et par là de son investissable. Ajoutons que si une seule de ces représentations disparaissait de sa scène, tout retrait total d’investissement aboutissant à ce résultat, le Je se découvrirait dépossédé de ces repères identificatoires nécessaires pour qu’il puisse reconnaître et pour qu’il puisse faire reconnaître par l’autre sa qualité d’existant ».
Piera Aulagnier, « Condamné à investir », in Un interprète en quête de sens, 325-358, Petite Bibliothèque Payot, 2001, première édition Ramsay, 1986, préface de Maurice Dayan.
[11] Voir ce paragraphe.
[12] Qui commence ainsi : « L’interrogation séculaire sur la vie psychique, [...], a été radicalement subvertie et modifiée en profondeur par la pratique freudienne. Au lieu de chercher, dans l’intimité d’une conscience de soi prise pour une lumière intérieure, une vérité singulière et/ou universelle de l’être pensant et parlant, de ses désirs et de son sentir, de son vouloir et de ses pouvoirs, cette pratique a institué une relation à l’autre comme condition d’un accès possible à ce qui ne peut être revécu ni représenté dans un simple rapport à soi-même. Relation à l’autre bien différente, en dépit de ce qu’on a pu croire et écrire, de celles qui ont fait de l’homme, en Occident, une « bête d’aveu » ; et qui, loin de se laisser ramener à l’injonction de dire ce que l’on sait et de mettre le sexe en discours, procède de l’idée que nul ne peut savoir ce qui le pousse à parler ni ce qu’il sera amené à dire à quelqu’un qu’il ne connaît pas et qui n’est investi a priori d’aucune prérogative sociale particulière, hormis l’obligation qui est faite à ce destinataire d’écouter tout ce qu’on lui donne à entendre. »
[13] Daniel Pozner, Les animaux de Camin, éditions Derrière la salle de bains, 2009.
[15] Une « explication » sur les caminalcules.
[16] Yves Bonnefoy, Notre besoin de Rimbaud, Seuil, La librairie du XXI° siècle, 2009.
[17] Pour le lecteur qui ne connaîtrait pas le site d’Alain Bardel, cette parution est une bonne occasion d’y trouver une abondante documentation, et de prendre connaissances des polémiques ayant surgi à l’occasion de cette nouvelle édition.
[i] Forme
« Oh que ma quille éclate Oh que j’aille à la mer [...] »
C’est un poème qui nous le dit, poème qui reprend le topo de la navigation poétique, de l’éloge du nautonier, de la fragilité de l’esquif poème. Or le bateau, pour être ivre, doit ne pas faire eau de toute part ; doit demeurer distinct de l’élément qu’il affronte, parcourt, invente : demeurer bien assemblé, pour affronter selon sa loi le parcours dans l’étrange. Et en l’occurrence rimbaldienne dont le vœu d’éclatement ne détruit pas la membrure du poème, celui-ci demeurait ajointé en lames bien parallèles, en lisses de quatrains dodécasyllabiques ...
Michel Deguy, Gisants, Poèmes III, Gallimard, coll. « Poésie », 1999, p. 71
[19] Le site de Philippe Sollers, pileface, ne manque pas de les mentionner ainsi que leur contexte par Albert Gauvin.
[20] Qui franchit "à ses risques et périls" la première page d’accueil programmatiquement sous-titrée : le geste, la parole, le penser : (dé)tours, se voit proposer les différents chapitres de la recherche pratiquante d’Annick Bouleau, chantier à ciel ouvert.
[21] Giovanni Vassalli (Zurich), "La psychanalyse naît de l’esprit même de la technique grecque", International Journal of Psycho-Analysis, 82, vol. 3, 2001, traduit par Michel Gribinski, penser/rêver n° 1, 2002, p. 244.
[22] Voici l’adresse de la page explicative, et le lien de la sixième version (en pdf, octobre 2007).
[23] Ça rime à quoi ce samedi 2 janvier, un jour où comme « chaque jour vient une heure, un moment, un instant, voire LE TEMPS ENTIER OÙ TOUT EST POSSIBLE SANS MIRACLE ».