03/09/09 — Yves Bonnefoy, Jacques Rancière, Hélène Cixous, Annie Franck, Penser/rêver
« Comme ils se regardent ! », [...], « Comme ils se parlent ! ». Leur parole, c’est même « ce que dans ce monde nous appellerions un poème ». Manifestement ce qui revit dans cette imagination, c’est le rêve de Rimbaud d’une humanité délivrée de ses « esclavages anciens », comme il dit encore. Le rêve du désir d’être, plus profond en chacun de nous que celui d’avoir, de simplement posséder.
[Yves Bonnefoy, Deux Scènes et notes conjointes, p. 36]
I. Deux scènes et notes conjointes, Yves Bonnefoy
Ce dernier livre d’Yves Bonnefoy aux éditions Galilée [1] (en librairie le 10 septembre), est en trois parties, un récit en rêve : Deux Scènes de quelques pages, une Note conjointe en fin d’ouvrage, qui revient et sur le récit et sur le développement inattendu de la note initiale envisagée à raison d’équilibrer une édition italienne pour bibliophiles, comportant plusieurs gravures de Gérard Titus-Carmel, et qui donne à l’ouvrage sa partie centrale en onze courts chapitres : Pour mieux comprendre (pp. 21-75).
Cette indication vaut très certainement pour le poète d’abord, auquel on sera sans doute très reconnaissant de nous faire partager la manière dont il a été rattrapé par des mots, « qu’il n’avait fait qu’écrire ».
C’est éblouissant. Et d’abord de simplicité, comme au sortir d’une "noche oscura", celle-ci pouvant être celle de l’écriture, de la vie, de certains moments d’enfance. Et d’intelligence (Yves Bonnefoy emploie le terme intellection vraisemblablement moins connoté, il s’exprime alors en termes généraux). Et d’humilité.
Un très beau texte pour dire l’enseignement de la poésie — double génitif qui rappelle aussitôt : L’enseignement et l’exemple de Leopardi [2] — car, oui, Yves Bonnefoy est un professeur (et quel !), Yves Bonnefoy est le poète à l’impressionnante stature, mais qu’un enfant n’aura cessé d’interroger :
Et c’est là UN ENFANT, qui me demande
De m’approcher, mais il est dans un arbre,
Les reflets s’enchevêtrent dans les branches.
Qui es-tu ? dis-je. Et lui à moi, riant :
Qui es-tu ? Puisque tu ne sais pas souffler la flamme.
(Ce qui fut sans lumière, « L’agitation du rêve », Poésie/Gallimard ; p. 89)
Cet enfant (ce double) fait retour dans Deux Scènes, et au chapitre VIII de Pour mieux comprendre (p. 53) dans l’exemple qui vient d’être donné.
Reprenons les Deux Scènes (n’en sont-elles pas une seule, dédoublée, l’autre scène, en ou au miroir ?). Juste quelques éléments. Un voyageur égaré. Gênes. Une cour intérieure. Deux balcons semblables qui se font face. A ce balcon : un couple — qui rappelle celui de Royauté [3], à des âges différents de la vie (d’un balcon l’autre), une langue d’autrefois, le voyageur enfant qui les regarde et dont le cri s’amüit, et le retour au rivage de sable et d’herbe, à attendre le soir qui ne vient pas, avec "l’autre enfant" qui l’interroge. [4]
La scène primitive relue : « lorsque croire que les mots sont sans prise crédible sur les êtres proches » [5]. Les développements à ce sujet retiendront l’attention de ceux qui sont sensibles à ce que - décalque proustien - Bonnefoy appelle recherche freudienne [6]. De ceux aussi qui aiment la poésie comme une mêlée de langues [7]. En effet, le « patois » (occitan) et le lit de fer de la chambre partagée donnent à la méditation d’Yves Bonnefoy son accent de vérité quant à la quête de la poésie. C’est l’occasion de revisiter avec lui l’opposition que connaissent bien ses lecteurs entre la langue de poésie et la langue du concept, en particulier du rôle du son, lui qui a être, comme ont être le ciel, la terre, l’univers même, et qui peut « déconcerter » le discours (p. 57).
Et l’Italie ? :
« Je ne m’étonne donc pas que Gênes me soit venu à l’esprit dans un de ces moments où, se disposant à écrire, on laisse l’inconscient prendre la parole. L’inconscient qui n’oublie pas ce qu’à Florence ou Sienne ou Bologne l’intellect nous suggère de méconnaître. » 25)
Et, plus loin :
« Et plus encore un port peut-il emblématiser le lieu et l’espoir de la poésie quand on comprend qu’il reçoit comme Gênes un double enseignement de son vaste ciel. D’une part ce qu’il entrevoit du couchant, foyer de rêves, rappel aussi des grands désirs de la vie. Et d’autre part, et de façon cette fois directe, la lumière dans la journée : d’une saison à une autre, le soleil plus haut dans le ciel ou plus bas, le battement quasi artériel de l’étendue de ses plages claires sur le sol sombre des chambres.
» (p. 72)
De l’Italie encore, le pays « autre » (que la ville des années d’enfance), « porteur d’un sens au sein chaleureux duquel vivre », outre les sons : centro storico, cortile, palazzo, « Stanotte piove davvero », je retiens qu’il ouvre à « une intuition du monde comme épaisseur substantielle, affleurement d’unité ». Et Alberti, et Piero della Francesca, pour n’avoir pas eu « à subir l’autorité des prêches » (des enseignements religieux, des oeuvres d’art et des leçons de morale) qui réduisent la poésie « à leurs lectures qui ne sont qu’orthodoxies de pensée, formes à nouveau d’aliénation conceptuelle ». (p. 60)
Mais aussi :
C’est bien plus fréquemment [...] que s’y rencontrent monuments et images,[...] oeuvre déjà d’une pensée essentiellement symbolique. Ce qui révèle [...] les grands enjeux de cette pensée autant que ses voies ; et leur demande avec une insistance particulière de revisiter leurs désirs, de comprendre que ceux-ci ne sont pas nécessairement de banale nature possessive, ayant à leur plus profond un besoin, et la nostalgie, de cette plénitude dans l’immédiat [...] dont les symboles nous parlent. L’Italie incite à être lucide. (pp. 21-22)
« Dans une existence l’enfance n’en finit pas. » (p. 81)
II. Jacques Rancière et la politique de l’esthétique
« ... mais comment oublier ceux qui dorment sur le rivage, la lettre sociale imprimée au fer rouge sur leur épaule ? » Si le poète peut comprendre cette suggestion : « Vois, moi je souffle — j’éteins — le monde », comment ne pourrait-il pas voir cette autre lumière, « ici où nous sommes » ? [8]
Jacques Rancière est de ceux qui, en philosophes, tâchent à penser ensemble les questions de l’esthétique et du politique [9] au risque du dissensus [10].
Le Centre d’études poétiques de l’ENS-LSH de Lyon, a accueilli en avril 2008, un certain nombre de chercheurs, pour réfléchir et débattre autour d’une oeuvre et d’une pensée, dont Politique de la littérature et Le partage du sensible mettent en évidence par exemple — parmi d’autres ouvrages — la nécessité de penser le noeud entre esthétique et politique dans ses formes spécifiques.
Jérôme Game et Aliocha Wald Lasowski, qui ont assuré la direction des travaux, les ont réunis en un livre désormais publié. [11]
Le très grand intérêt de cette publication, outre qu’elle permet d’approfondir certains aspects de la pensée de Jacques Rancière, de la contester vigoureusement parfois — Gabriel Rockhill , en ce qui concerne politique et démocratie — , est de la confronter à d’autres pensées : Véronique Bergen avec Deleuze par exemple.
J’ai été très attentif et pour bien des raisons à la contribution d’Elie During, Politiques de l’accent : Rancière entre Deleuze et Derrida, parce qu’il y a plus en elle que la virtuosité de la langue du concept (qu’elle a en partage avec les autres contributeurs, tous plus solides les uns que les autres sur leur sujet [12] ; l’ouvrage est à recommander, bien au-delà de son public « naturel »), mais qu’y affleure la langue de poésie, un "accent de littérature".
On l’a esquissé pour Yves Bonnefoy, la question de l’accent n’est pas anodine, l’anamnèse des Deux scènes ayant conduit à une métapoétique et un fragment d’auto-analyse. Elle ne l’était pas pour Derrida : Je n’ai qu’une seule langue et ce n’est pas la mienne ou encore Bourdieu : Ce que parler veut dire, ou Deleuze, instruit par Kafka [13].
Les remarques d’Elie During, peuvent aussi s’entendre stricto sensu — si on a la chance de voir/revoir/écouter les oeuvres — dans le rappel de l’évocation d’un texte de Rancière montrant de quelle manière Rossellini évite les écueils d’une représentation pittoresque du [parler] populaire, ou dans un autre, consacré à Ouvriers, paysans de Straub et Huillet.
III. Eve s’évade, Hélène Cixous
Le très très grand âge est au milieu de nous. Cela s’est déjà dit avec des moyens de littérature : Pierre Pachet par exemple avec le mémorable Devant ma mère [14], ou Régine Detambel sous la forme de l’essai [15]. Les lecteurs d’Hélène Cixous, ont déjà eu, dans d’autres récits, à connaître, Eve, sa mère.
Pour évoquer Eve s’évade, le sous-titre lié sans doute à Ich bin Urine/Ich bin ein Ruin (« à mourir de rime, dit ma mère ») [16], trois tableaux :
Le premier, qui est aussi la dernière scène :
« Quand je prononçai le Nombre Sandice j’eus la certitude étonnée et délicieuse que j’avais formé le Nombre d’or, le Juste même, il m’apparaissait comme l’évidence et l’absolu, l’extrémité du possible qui approfondit l’impossible, j’étais contente, je dis à ma mère : — Peux-tu vivre jusqu’à cent dix ans ? Je prononçai disant. Elle m’entendit très bien et répondit, sans marquer la moindre hésitation, ceci : — « Oui. Pourquoi pas ? si on peut on fait. Moi ça ne me dérange pas si ça ne te dérange pas ». » (208)
Le second : Le Rêve du Prisonnier, de Moritz von Schwind, avec le chapitre Freud ne rêve plus. Le troisième : Pero et Cimon de Rubens. [17] Allégories des plus parlantes qui trouveront développements et résurgences multiples au fil du livre. Images de la survie, de la filiation, de l’évasion par le rêve, surtout, quand, peau de chagrin, s’impose l’évidence de la finitude. Celle-ci est manifestée par une scène, la scène première (primitive), où, brusquement, le temps tombe, et en lieu et place de sa mère, sa fille retrouve sa grand’mère, Omi, et que les sensations d’autrefois se surimposent à la réalité du présent.
Ce premier chapitre est d’une grande vivacité, d’une précision absolue, comme si l’infamilier était le plus familier avec des insights, qu’admirerait sans doute la psychanalyste auteure du livre dont il sera parlé juste après, je vais citer longuement, mais j’ai la certitude d’être en ce lieu à l’essentiel de l’essentiel :
« elle me regarde avec ravissement tandis que je la regarde avec ravissement d’une part comme une jeune mère regarde son bébé qui la regarde avec béatitude, nourris de lumière l’un par l’autre, de telle façon que des deux visages émane le double éclat que l’on appelle beauté,
d’autre part, — comme cela m’apparaît dans un deuxième plan et grâce à l’étirement du temps qui attarde ses terres et ses jours en vastes profondeurs autour de nos deux personnages en suspension — elle me regarde me regardant la regarder à longs traits tièdes sucrés revigorants, nous buvant en boire épais, sublime, en ressemblant de manière fascinante pour moi, comme si je découvrais à cet instant que nous étions le double inattendu et absolument incontestable de Cimon et Pero que le suprême lait lie ».
Les 209 pages du livre ont cette tenue : émotion, érudition, profondeur, cocasserie, art de la mise en scène sans que rien pèse jamais et cependant la gravité n’y fait jamais défaut loin de là, c’est le miracle de la littérature, de la phrase vivante transmuée en poésie présente.
IV. Beautés et transfert, Annie Franck
Dans son introduction à Beautés et transfert, [18] Annie Franck, psychanalyste, précise :
« J’ai voulu offrir au lecteur la possibilité d’entrevoir, ou de partager peut-être, mon émerveillement : des citations (de psychanalystes, de philosophes, d’écrivains, de poètes...) et des références à certaines oeuvres d’art interviennent, au fil du texte, dans une intention précise. Et non pas dans un souci d’« illustrer », d’ornementer, de cautionner ou de justifier mon propos. [19]. »
Pour cela, Annie Franck donne à partager au lecteur, les temps véritablement analytiques de la cure de deux patients : moments où s’opère une mutation, elle précise aussi : d’instants de saisissement en instants de saisissement [20], et il s’agit souvent de métamorphoser le danger de mort en création.
Pour l’un des patients, « il se trouve que je ne me suis pas couché, » geste qu’il rapporte de n’avoir pas obéi à l’injonction d’un malfrat qui de ce fait lui logera sans état d’âme une balle dans le ventre renverra à une crypte de l’histoire familiale (la grand-mère au ghetto de Varsovie), soudainement actualisée, parce qu’absolument présente, fût-ce à l’insu.
L’analyste ajoute qu’au moment de l’actualisation dans la cure :
« La beauté apparaît tout à coup, lumineuse : l’effroi menaçait de tout détruire, mais soudain s’avance et s’impose une parole qui retisse la vie, la retisse dans la magie du transfert ».
Et l’auteur d’ouvrir une méditation nourrie de références à l’art ( Boris Taslitzky, Bram Van Velde, Rothko), l’analyse (Donald Meltzer en particulier, avec à la naissance l’instant inaugural de rencontre, d’éveil des sensations).
Je reprends volontiers l’exergue du récit concernant le second patient : Lucien, lumineuse et « fine pointe de l’âme » :
Face lavée d’oubli dans l’effacement
des signes, pierre
affranchie pour nous de son relief ? [...]
inallusive et pure de tout chiffre,
la tendre page
lumineuse
contre la nuit sans tain des choses ?
En effet ces lignes extraites de Amers, de Saint-John Perse éclairent spécialement le questionnement d’Annie Franck face au risque de la beauté — qui comporte une démesure, trace de l’excès propre à l’origine, qui menace de parfois faire dériver l’émerveillement éprouvé vers un éblouissement (« le leurre du seuil » !).
En effet, « la beauté de ces moments, c’est l’évidence brutalement si présente si intense de l’inconnu qui prend forme », et simultanément « la correspondance entre deux psychismes dont la présence se manifeste dans une fulgurance ». A cet égard, le détour par l’oeuvre de Bispo di Rosario (survivre à la destruction [21]) le manifeste avec éclat, tandis que le soudain partage de la célèbre tirade de Hamlet prend une résonance d’une très grande acuité.
Je n’irai pas plus loin, laissant au lecteur de faire chanter en lui, à l’invitation d’Annie Franck, l’homophonie entre les mots espace et espoir (auquel on sait que Bonnefoy identifie la poésie). S’ouvriront alors, et je persiste à penser que c’est le bon adjectif, des perspectives inouïes :
« Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages. »
Note
Pour ce "titre de la lettre", je m’autorise de Bonnefoy [22] à inverser celui de la revue Penser/rêver.
Le numéro du printemps dernier, n° 15, comporte un texte d’Antonio Alberto
Semi (un récit) : Vertigo, qui ne manquerait pas de plaire à Hélène Cixous, (v. Philippines) ; il cite la conclusion de Psychanalyse et télépathie (Freud, 1921) et particulièrement : il n’y a que le premier pas qui coûte, après cela va tout seul (parlant du "chef" de Saint Denis, que celui-ci emmène sous son bras). En vrac et vite, aussi une évocation de Charlotte Beradt (Rêver sous le III° Reich), un texte introductif d’Adam Philips, tandis que Pierre Bergounioux évoque la pointe létale dont sont armés les romans de Flaubert.
[1] Yves Bonnefoy, Deux Scènes et notes conjointes, aux éditions Galilée ; v. aussi les livres publiés à ces mêmes éditions.
[2] Yves Bonnefoy, L’enseignement et l’exemple de Leopardi, aux éditions William Blake & Co Edit.
[3] Royauté :
Un beau matin, chez un peuple fort doux, un homme et une femme superbes criaient sur la place publique : "Mes amis, je veux qu’elle soit reine !" "Je veux être reine !" Elle riait et tremblait. Il parlait aux amis de révélation, d’épreuve terminée. Ils se pâmaient l’un contre l’autre.
En effet ils furent rois toute une matinée où les tentures carminées se relevèrent sur les maisons, et tout l’après-midi, où ils s’avancèrent du côté des jardins de palmes.
(Arthur Rimbaud, Illuminations).
[4] Note du lecteur : se surimposent immanquablement les récits de pêche et d’enfance de Pierre Bergounioux : La Ligne ! de l’écrivain, l’argent des truites et l’or des poissons-soleil.
[5] Où ce qui est ressenti a le caractère d’un fait sans signification concevable. V. p. 44 et suivantes.
[6] Cf. Patrick Née, Zeuxis auto-analyste, Inconscient et création chez Yves Bonnefoy ; éditions La Lettre volée, juin 2006.
[7] In James Sacré, La poésie comment dire ?, chez André Dimanche, 1993.
[8] Pour mieux comprendre, in Deux Scènes, op.cit. pp. 62-63.
[9] Précisons avec ses propres mots :
« Je travaille actuellement sur ce que j’appelle le régime esthétique de l’art. C’est pour moi un moyen de casser le concept de modernité, donc de penser autrement ce qui définit proprement une rupture par rapport à la logique représentative classique, ce qui implique de penser en même temps comment se redéfinissent les rapports entre le domaine de l’art et d’autres domaines, notamment la politique. Je travaille en ce moment à une histoire du régime esthétique de l’art, mais une histoire un peu atypique : j’essaie de faire, pour les manifestations multiformes de ce régime, un peu ce qu’a fait Erich Auerbach dans Mimesis à propos de la transformation du rapport de la littérature à la réalité depuis Homère jusqu’à Virginia Woolf. Il s’agirait pour moi de penser la rupture d’une économie du représentatif, du figurable. La difficulté particulière de mon projet est d’essayer de penser cette rupture non au sein d’un seul art, mais de toute une série d’arts et de discours sur l’art, aussi bien à travers une peinture, une chorégraphie, qu’un discours critique ou philosophique. »
Jacques Lévy, Juliette Rennes et David Zerbib, "Jacques Rancière : « Les territoires de la pensée partagée ».", EspacesTemps.net, Actuel, 08.01.2007
[10] Cf. cette présentation du numéro 220 (mai-juin 2008) du magazine Spirale, qui consacre un dossier à Jacques Rancière.
Je relève plus précisément :
« Les interprétations sont elles-mêmes des changements réels, écrit Rancière, quand elles transforment les formes de visibilité d’un monde commun et, avec elles, les capacités que les corps quelconques peuvent y exercer sur un paysage nouveau du commun » (Politique de la littérature, Galilée). Ce que cette citation dit en creux de l’œuvre ranciérienne et de sa pratique philosophique du dissensus, c’est sa faculté d’énoncer des capacités, d’ouvrir ou de maintenir ouverts des espaces du possible.
[11] Sous la direction de Jérôme Game et Aliocha Wald Lasowski, Jacques Rancière et la politique de l’esthétique, CEP centre d’études poétiques ENS LSH , 2009, Editions des archives contemporaines.
[12] Elie During, recension de Jacques Rancière, Malaise dans l’esthétique (Galilée), dans art press n° 306, novembre 2004 ; L’esthétique, un régime instable à propos de L’inconscient esthétique, Critique 649-650, juin-juillet 2001 « Rouvrir l’art ».
Jacques Rancière, L’inconscient esthétique, 2001, aux éditions Galilée ; v. aussi les autres ouvrages chez le même éditeur.
[13] Mais si vous restez dans le silence, alors tout à coup, vous serez au coeur du yiddish. Une fois que vous aurez été touchés par le yiddish- et le yiddish est un monde : il est le Verbe, la mélodie hassidique et l’être du comédien juif lui-même -, alors vous ne reconnaîtrez plus votre calme passé. Vous serez à mérite de ressentir la véritable unité du yiddish, si fortement que vous aurez peur non plus du yiddish mais de vous-mêmes. Vous ne seriez pas capables de supporter seuls cette peur si le yiddish au même moment ne vous dotait d’une assurance qui résiste à la peur et est plus forte qu’elle. Jouissez-en du mieux que vous le pouvez !
in Franz Kafka, Discours sur la langue yiddish (trad. Anne Bervas)
[14] Pierre Pachet, Devant ma mère, Gallimard, L’Un et l’Autre, 2007 ; retrouvant cette note publiée une première fois sur Poezibao, je ne puis constater que quelques mots et leurs auteurs me poursuivent !
[15] Régine Detambel, Le syndrome de Diogène, éloge des vieillesses, Actes Sud, ainsi qu’une fiction : Noces de Chêne, chez Gallimard
[16] Hélène Cixous, Eve s’évade, La Ruine et la vie, aux éditions Galilée ; 27 août 2009 ; v. aussi les autres ouvrages publiés chez cet éditeur dont Philippines, Prédelles, autre bonheur de lecture.
Le rêver vrai d’Hélène Cixous, a fait l’objet d’un entretien entre l’auteure et Bertrand Leclair, enregistré au Petit Palais le 6 juin 2009, grâce aux soins de la Maison des Ecrivains et de la Littérature, accessible sur la webradio de France-Culture.
[17] Tant le premier que le second tableau représentent d’étonnantes visions.
[18] Annie Franck, Beautés et transfert, aux éditions Hermann, mars 2007.
[19] Un magnifique "Rouge Rothko" — ô Françoise Ascal, accueille le lecteur en (c)ouverture, et à maintes reprises apparaît le Henri Maldiney de Ouvrir, le rien, l’art nu, en particulier, une citation relative aux Kakis de Mu-Ch’i :
« La présence une et unique que constitue ces six kakis apparaît sans support, sans racine, à l’avancée du vide duquel elle émane et qu’en même temps elle ouvre. » Comme tessère, ou symbole de la rencontre le y du il y a].
Elles participent à mes yeux à la quête de cette « région cruciale de l’âme où la beauté s’oppose à l’effroi » [[Malraux, repris par Semprun : L’écriture ou la vie.
[20] Cette expression n’est pas sans rappeler Grégoire de Nysse, elle rejoint aussi « l’émoi du vrai » qu’on trouve sous la plume de Jean-François Noël dans Le Point aveugle
[22] Yves Bonnefoy conclut (ou presque) ainsi sa Note conjointe :
« Et la poésie, eh bien, c’est l’obstination avec laquelle la vigilance du Je profond critique les visées du moi, ranime dans la forme son grand possible, mais dans l’écriture effective le moi n’est pas sans séductions et pouvoirs, sa ruse étant de distraire qui a écrit de ce qu’il va continuer d’écrire, en l’intéressant aux façons qu’il lui offre de faire oeuvre plus en surface, plus aisément, par complaisance à ses rêves soit ordinaires soit sublimés : si bien que des occasions de prise de conscience se perdent. »