avec Jacques Lacan, Éric Marty, Philippe Hellebois et quelques autres...
09/11/2011 — André Gide, Jacques Lacan, Éric Marty, Philippe Hellebois, Jacques-Alain Miller, Catherine Millot, Anaëlle Lebovits-Quenehen, Giovanni Papini
« Parler du singulier est éminemment paradoxal et même aporétique puisque cette catégorie touche à l’indicible. [...]
L’avocat du diable ne manquera pas de dire toute singularité chétive, fût-elle la plus affirmée. Si Lacan le concédait apparemment pour en qualifier le monstre sacré que fut en son temps André Gide, il faisait aussi remarquer que tout un monde y était - et ce, jusqu’à aujourd’hui - intéressé. Ce n’était pas constituer un idéal quelconque mais plutôt un exemple paradigmatique de celui qui échappe à la massification et à la politique des choses. Ce n’est pas un privilège réservé à quelques-uns, mais au contraire une éthique accessible au plus grand nombre, à condition de le vouloir vraiment. La singularité est après tout la chose du monde la mieux partagée. » [2]
Je ne crois pas jamais avoir été fervent lecteur d’André Gide, à raison sans doute de ma chétive singularité [3], et ce qui était reçu comme préoccupations des plus égotistes, liées à une appartenance sociale qui lui en conférait le loisir, le situait dans un univers de pensée et de langue fort éloigné du mien.
Découvrant, peu après les prescriptions de l’école, dans les Écrits de Jacques Lacan, « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », lettre pour le moins “sur-volée”, je ne me trouvais guère plus encouragé dès les premières lignes, à aller y regarder d’un peu plus près. Le préambule qui suit — la relecture le rend tout différent — inscrivait alors ce texte mêmement dans un registre de parole pour ainsi dire étranger à celui qui m’était familier :
« On voudrait ici montrer la conjonction par quoi une œuvre qui se fonde scientifiquement dans la haute qualification de son auteur à la traiter en général, trouve dans le particulier de son objet à fixer un problème où les généralités acquises se modifient : c’est à ces œuvres, les plus actuelles, que l’histoire promet la durée. //Ce problème qui est celui du rapport de l’homme à la lettre, mettant l’histoire même en question, on comprendra que la pensée de notre temps ne le saisisse qu’à l’envelopper par un effet de convergence de mode géométrique, ou, puisqu’une stratégie est reconnue dans l’inconscient, à procéder par une manœuvre d’enveloppement, qui se discerne dans nos dites sciences humaines, – non plus trop humaines déjà. //Lier cette œuvre à ce problème ne nous dispense pas de promettre au lecteur, et pour y engager le plus novice en les matières qui vont être agitées, un plaisir dont les premières pages du livre le feront captif sans qu’il ait eu à résister, et qui le portera, sans qu’il en sente l’effort, jusqu’à la dernière des treize cents de leur nombre. » [4]
C’est en 1958 que Jacques Lacan rendit compte pour la revue Critique, de La jeunesse d’André Gide, de Jean Delay, une « psychobiographie » en deux tomes couvrant les années 1869 à 1895, texte repris dans l’édition princeps des Écrits [5]. Éric Marty, ne manquera pas de s’étonner tout d’abord du style « bourgeois-gentilhomme » de cet hommage, dans la lecture qu’il donne dans le recueil qu’il a constitué aux éditions Manucius, sous le chef Lacan et la littérature (2005). Cette lecture, « Lacan et Gide, ou L’autre école » [6], est pleine d’intérêt, car le fin connaisseur de Gide [7] n’en reste pas, pour ce qui est de l’analyste, à ce constat initial des apparences d’une prose obéissant aux lois du genre de l’éloge convenu. Aussi on gagnera à confronter son substantiel article tant en ce qui concerne les ressemblances que les différences avec le livre qui paraît aujourd’hui de Philippe Hellebois aux éditions Michèle : Lacan, lecteur de Gide, et qui se situe résolument dans le sillage de Jacques-Alain Miller ; celui-ci donne d’ailleurs une préface, toute de clarté à cet ouvrage.
En voilà donc au moins deux, sans compter les quelques autres qu’ils entraînent, qui m’intiment de réviser mes classiques, d’approfondir « le rapport de l’homme à la lettre »...
Éric Marty, « Lacan et Gide, ou L’autre école »
Grand lecteur de Barthes [8], de Char, de Genet, de Bernanos, ou encore d’Althusser [9], de Sade et de ses réceptions au XX° siècle, Éric Marty est aussi un lecteur, savant, très attentif, de Lacan. Aussi la vingtaine de pages (125 à 146, dont quatre de notes) de son Lacan et Gide gagne-t-elle à être lue pas à pas, structurée qu’elle est aussi par six chapitres et une conclusion que je n’hésite pas à donner, pour ce qu’elle qualifie ici l’homo literarius en sa (brillante) lecture :
« Il y a une hétérogénéité absolue entre le champ de la littérature et le champ de la psychanalyse, d’où la vanité de leur croisement également dénoncée par Lacan. Il y a une hétérogénéité absolue entre ces deux champs et on l’a assez vu en mettant en évidence la dissymétrie qui disjoint l’énoncé selon lequel il n’y a pas de rapport sexuel selon qu’il couvre le champ de l’inconscient ou celui de l’âme. On dira alors que la littérature est sans aucun doute le champ où le pessimisme clinique de Lacan est traversé par l’idée d’un salut - Gide, salut pour une aristocratie [10] -, si finalement, ce salut n’était pas à son tour affecté d’une facticité dont Lacan a voulu sans aucun doute être le plus subtil fossoyeur en la fin de son siècle, celle de ce qu’il appelle la poubellication, par où, malgré le clin d’oeil à Beckett, il indique un cran de séparation supplémentaire entre sa pratique et la pratique littéraire. Non plus une séparation où la littérature serait par sa structure de fiction supérieure à tout autre discours pour désigner la vérité (par exemple celle selon laquelle, il n’y aurait pas de rapport sexuel), mais où la littérature serait à son tour prise dans le désir d’un rapport, d’une production, d’une œuvre dont Lacan, lui, s’abstient, plus aristocratique qu’eux tous, eux les écrivains, et dont l’hermétisme plein de merveilles, nous ouvre, comme l’autre écrivain sans œuvre, Rimbaud, à ne pas le lire. »
Le retour à Beckett, forme en effet inclusion avec le chapitre initial. Entre, deux temps de la lecture, qui sont aussi les deux temps d’écriture de Lacan, le premier comme un presque acquiescement à la psychobiographie, qui indique à juste titre - dans le cercle de cette spécialité - les mérites de Delay, l’autre dans lequel Lacan est Lacan (la lettre et le désir, sous le nez du lecteur dès le titre !), et où se dessinent (ou s’inscrivent déjà) des séminaires ultérieurs (Les formations de l’inconscient, Encore). Je note en passant, juste ceci (chapitre IV) : « Ce qu’il y a de singulier dans l’interprétation de Gide par Lacan comme porte-parole du “Il n’y a pas de rapport sexuel”, c’est que cet axiome radical, que Gide accomplit radicalement, n’est nullement mis au compte de l’homosexualité du sujet ou de ce qu’on pourrait qualifier chez lui de “perversion”. Non. Tout cela est mis au compte de l’amour. » et cela qui vient au chapitre V (La métaphysique), le corroborer, à propos du type d’amour dont Lacan crédite le couple André-Madeleine, cette citation de « Encore » [11] : « C’est une façon tout à fait raffinée de suppléer à l’absence de rapport sexuel dont la dame était entièrement, au sens le plus servile, la sujette, en feignant que c’est nous qui y mettons obstacle. L’amour courtois c’est pour l’homme la seule façon de se tirer avec élégance de l’absence du rapport sexuel. »
Ces deux exemples pris pour désigner l’autre école critique à laquelle nous mène Éric Marty, toute choses de finesse, comme dirait sur l’autre bord Jacques-Alain Miller, mais des deux côtés, « la puissance des formules permise par la littérature, formules qui saisissent au sens où elles prêtent à des dispositifs psychiques, la ductilité d’une littéralisation définitive et superbe », ainsi : « André aimait Madeleine et désirait ailleurs. »
Philippe Hellebois, Lacan lecteur de Gide
Aux remerciements adressés en fin de livre à l’éditrice et au directeur de collection [12], j’ajoute très volontiers les miens, pour un ouvrage qui ouvre, lui aussi, à des lectures autrement informées, que ce soit celle de Gide ou celle de Lacan, et que si les œuvres appartiennent à des ordres distincts, elles ne s’en éclairent pas moins mutuellement sur quelques points que l’on qualifiera d’importants sans que soit recherchée l’emphase (car là c’est sérieux dirait l’autre).
En effet, comme l’écrit Jacques-Alain Miller : « du nœud formé par le texte de Lacan, le [s]ien et l’oeuvre de Gide, [Philippe Hellebois] est parvenu à faire une manière d’album, sans photos, avec les seuls pouvoirs du signifiant. Les enfances de Gide, son mariage, son masque, ses amours, le style, il parle de ce monde sans en escamoter les difficultés. » C’est là en effet décliner le plan du livre, en situer la manière.
Quant à l’origine, l’auteur confesse : « c’est avec Lacan, Gide et J.-A. Miller que je suis entré dans la danse psychanalytique. » Premier chausson : « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », pas sans le second, le séminaire de J.-A. Miller à Paris 8, quatre séances, qui donnèrent lieu à publication : « Sur le Gide de Lacan » (1993 [13]).
Entrons donc sur la pointe, dans ce livre, dans lequel le signifiant délivré en 1958, continue donc sa danse, entraînante comme la tarentelle de la vie. Un préalable en sera en même temps l’entrée :
« D’autres raisons [que l’annonce de l’objet a cause du désir] encore expliquent l’illecture de [Jeunesse de Gide]. Lacan, toujours en avance sur son temps, était cette fois en avance sur lui-même : il anticipait ce règne de l’Un dont il développera bien plus tard la logique. Qui était en effet André Gide ? - sinon un être qui se croyait représentatif au point de vouloir élever sa singularité au paradigme. Mais de quoi ? De la pédophilie, de la perversion ? Entrons-nous dans son œuvre comme dans un cabinet de curiosités, voire de monstruosités ? Loin de faire qu’on détourne le regard, la perversion de Gide l’attire plutôt, car il était représentatif de la présence, en chacun de nous, d’un point de perversion, pour chacun différent. C’est ce que, plus délicatement, nous appelons notre mode de jouir. Et ce qui nous rend si difficile de « faire lien social », dans notre vie amoureuse comme dans notre vie quotidienne. »
Extrait encore de la préface de Jacques-Alain Miller, c’est doublement l’orient du livre de Philippe Hellebois, au-dedans comme au-dehors, il y va de l’éthique de la psychanalyse, à laquelle celle du texte, de l’écriture ne saurait être étrangère, sauf à s’engluer dans la communication (Dans le refus de quoi (ce qu’il appelle « la grande stéréotypie »), Éric Marty, se montre lui aussi intraitable).
Lacan, lecteur de Gide, se présente avec une manière de simplicité, lorsqu’on en découvre la table, qui n’en diminue en rien la portée, la souligne au contraire pour mieux la marquer dans l’esprit du lecteur. Indiquer Les enfances, Madeleine, Persona, Les Garçons, et clore par Le style, c’est l’objet, c’est à l’évidence s’écarter du récit de vie, pour lire une structure telle qu’elle ira à se donner dans l’écriture, et en particulier plus celle du Journal, que du roman, la littérature devenant bien plus que la représentation de la vie : une façon de la transformer. Et c’est cela que les chapitres qui précèdent s’emploient à faire ressortir.
Le style, c’est l’objet, est une expression empruntée au texte de Lacan [14], le chapitre qui lui doit son titre, ne manquera pas d’intéresser le lecteur du texte d’Éric Marty, donnant l’occasion de revenir sur le projet de Delay (qui était aussi en quelque sorte celui de Gide), les supposés compliments de Lacan à son endroit, mais qui à bien lire, relèvent de la subversion du sujet, critiquant indirectement la "psychobiographie" en visant la méthode de Sainte-Beuve, et en relevant un passage d’un Journal alors inédit de Gide [15] de même que "l’aphorisme buffonesque" se trouve détourné de ce que lorsque commence le style, il est le signe de quelqu’un ! Aussi le style c’est l’objet, convient-il aussi bien à Gide qu’à Lacan lecteur de Gide.
De là se frayer, le chemin, les cheminements qui font de Gide l’écrivain, certes Les enfances manifestent-étiologiquement- qui sont « les deux Gide », mais ce sont les deux chapitres Madeleine, d’une part, Les Garçons d’autre part, qui donnent au chapitre central Persona, toute sa force, avec la référence convaincante à Goethe, comme « modèle » [16], le choix de Lynceus, pour la 6ème partie des Nourritures terrestres (84-87), mais aussi cette conclusion, qui invite à la lecture du séminaire XIX :
Être désiré était, en effet, « sa grande affaire » puisqu’il ne l’avait pas été enfant et il s’imaginait volontiers l’objet de l’Autre suprême, fût-ce de son caprice : « Là où le A prend forme, il en avait même une notion tout à fait spécifiée, c’est à savoir que, le plaisir de ce grand Autre, c’était celui de déranger celui de tous les petits. Moyennant quoi il pigeait très bien qu’il y avait là un point de tracas qui le sauvait évidemment du délaissement de son enfance. Toutes ces taquineries avec Dieu, c’était quelque chose de fortement compensatoire pour quelqu’un qui avait si mal commencé. » [17]
Je n’insiste guère sur les éléments biographiques, ils sont connus, en revanche, comment Lacan a pu les lire, de façon inégalée, ajoute Philippe Hellebois, et nous le suivrons, ne peut que mobiliser l’attention du lecteur dans un propos aussi bien structuré à son intention.
Ajoutons pour poursuivre, celui que je qualifierais presque de romancé de Catherine Millot, avec son chapitre : Un hybride de bacchante et de Saint-Esprit au sein de son Gide Genet Mishima [18], d’une belle facture littéraire, et dans lequel l’agrément du récit semble prendre le pas. Reconnaissons-lui l’intention manifestée en quatrième de couverture :
« [...] ils ont l’art de faire de nécessité vertu et une faculté à triompher du malheur, qui est une affaire de style. Ici, la langue les porte, ses ambiguïtés, ses retournements, ses foncières équivoques. Ce sont des pervers, et nous ne prendrons pas ce mot en mauvaise part, désignant par là une habileté particulière à user d’un pouvoir qui n’en est pas moins foncièrement humain, celui d’accomplir le seul miracle qui vaille : transmuer la souffrance en jouissance et le manque en plénitude. Telle est aussi l’une des vocations de l’art, c’est pourquoi ils écrivirent de si beaux livres. »
De même sera-t-il sans doute licite d’attirer l’attention sur La pastorale de Gide, d’Anaëlle Lebovits-Quenehen. Je le fais avec l’incipit de son article paru dans la Cause freudienne [19] :
« Nous nous proposons ici d’interroger et d’éclairer certains passages de la « Jeunesse de Gide ou la lettre du désir " que Lacan écrivait en avril 1958, rendant ainsi hommage à son ami Jean Delay qui venait de faire paraître le second tome de La jeunesse de Gide. C’est à partir de ce texte de Lacan, rarement commenté, que nous explorerons ici La Symphonie pastorale, en essayant d’avancer quelques éléments pour la compréhension du cas Gide. Pour ce faire, nous traiterons ce récit comme un masque, notant que « le masque, loin de masquer le secret, est lui-même le secret. Ce texte présente en effet la dichotomie de l’amour et du désir que Lacan repère dans le cas Gide, notant qu’entre ces deux modes du rapport à l’autre “une paroi de verre” , creuse un abîme infranchissable. Et là précisément, dans une fiction, celle de La Symphonie, l’amour est pur. Et là pourtant, le désir affleure in fine, semblant rendre poreuse la paroi repérée par Lacan. » [20]
Et de conclure le tout avec Gide. « Il aura fait de la conjonction du désir, de l’amour et du devoir la finalité même de son existence », écrit justement Anaëlle Lebovits-Quenehen, invoquant :
« Je n’acceptais pas de vivre sans règles, et les revendications de ma chair ne savaient se passer de l’assentiment de mon esprit. [...] J’entrevis enfin que ce dualisme discordant pouvait peut-être se résoudre en une harmonie. Tout aussitôt, il m’apparut que cette harmonie devait être mon but souverain, et de chercher à l’obtenir la sensible raison de ma vie » [21]
[1] Giovanni Papini, « Visite à Freud », Gog, traduit par René Patris, aux éditions Attila, 2007, p. 113.
Cité par Philippe Hellebois en ouverture de son Lacan lecteur de Gide, aux éditions Michèle, 2011, p. 14.
[2] Philippe Hellebois, éditorial de « Au-delà de la clinique », La Cause freudienne, n° 71, Navarin éditeur, 2009.
[3] Cf. « C’est bien pourquoi Gide a son importance. Quelque chétive après tout que soit sa singularité, il s’y intéresse, et le monde qu’il remue pour elle, y est intéressé, parce qu’une chance en dépend qu’on peut dire être celle de l’aristocratie. C’est même la seule et dernière chance qu’a celle-ci de n’être pas rejetée dans les mauvaises herbes. » Jacques Lacan, « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », in Écrits, Seuil, 1966, p. 757.
[4] Au titre « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir » est adjointe une précision en sous titre : « sur un livre de Jean Delay et un autre de Jean Schlumberger ». La première édition de ce texte parut en 1958 dans la revue Critique n° 131, pp. 291-315. On la trouve en téléchargement, et dans les Écrits, pp. 739-764, dans l’édition de 1966 (Seuil).
[5] Elle n’a pas été reprise dans les éditions de poche (Points-Seuil). L’épigraphe, en grec, non lisible au téléchargement n’est pas anodine. La voici, Médée s’adresse à Créon :
Σκαιοῖσι μὲν γὰρ καινὰ προσφέρων σοφὰ
δόξεις ἀχρεῖος κοὐ σοφὸς πεφυκέναι·
τῶν δ΄αὖ δοκούντων εἰδέναι τι ποικίλον
κρείσσων νομισθεὶς ἐν πόλει λυπρὸς φανῇ.
Apportez aux ignorants d’ingénieuses nouveautés, vous passerez pour un inutile et non pour un savant. Des hommes passent pour avoir des connaissances variées : qu’on vous juge supérieur à eux, et vous paraîtrez dangereux à la ville.
Euripide, Médée, 298-301. Lacan détache : ἐν πόλει λυπρὸς φανῇ : vous paraîtrez dangereux à vos concitoyens...
[6] Les textes sont issus d’un colloque à l’initiative de Catherine Millot, Pierre Pachet et Éric Marty, en 2002. En préfaçant leur réunion, celui-ci déclarait :
« Très simplement, il y avait peut-être cette intuition (au moins pour moi) que la littérature pouvait être une porte d’entrée particulièrement éclairante pour pénétrer le texte lacanien (un corps d’écriture et de parole d’une extrême singularité). Celui-ci prend parfois les apparences d’un bloc obscur et indémêlable où la densité hermétique de la formule et les ellipses saisissantes de l’écriture, donnent le sentiment d’un projet intellectuel intégralement pensable en termes de style : on ne s’aventurera pas à définir ce mot qui, quelle qu’en soit la définition, qu’on l’emprunte à Barthes ou à Boileau, désigne clairement un enjeu propre à la littérature, celui d’une transmission différée, lacunaire, hâtée, fragmentaire, aveuglée, où donc la totalité - constituée par l’œuvre - est à la fois condition de son existence mais également celle de sa déperdition. »
— Aux éditions Manucius, dans la collection « Le Marteau sans Maître ».
[7] A rappeler les ouvrages suivants : L’Écriture du jour (le « Journal » de Gide), Paris : Le Seuil, 1985 (Grand Prix de la critique, 1986) ; André Gide, Qui êtes-vous ?, La Manufacture, 1987 ; réédition La Renaissance du livre, 1998 ; et l’édition de André Gide, Journal 1887-1925, la Pléiade, Gallimard, 1996.
[8] Éric Marty est l’éditeur des Oeuvres Complètes ; la rencontre décisive avec R. B. précisée dans Roland Barthes, le métier d’écrire, Seuil, 2006.
[9] Louis Althusser, un sujet sans procès, Gallimard, collection « L’infini », 1999.
[10] Cf. Écrits, pp. 757 citée plus haut (note 3) comme 763 : « Voilà où fléchit l’humour d’un homme à qui sa richesse assurait l’indépendance mais que le fait d’avoir posé la question de sa particularité, mit en posture de maître au-delà de sa bourgeoisie ».
[11] Séminaire, Livre XX, Seuil (Encore), 1972, p. 65
[12] Ariane Benhamour dirige les éditions Michèle, Philippe Lacadée la collection « Je est un autre ».
[13] La Cause freudienne, n° 25, 1993.
[14] Écrits, p. 740, y lire :
C’est là le seuil de la performance où nous allons entrer, pour la disposition qu’elle dénote chez l’auteur, de ce qu’en termes gidiens nous appellerions l’attention la plus tendre. Car c’est bien celle qu’il réserve à ce pourquoi il ranime quelque part le génitif archaïsant des « enfances Gide ». Et c’est aussi celle que Gide, de l’amitié de sa vieillesse, a su distinguer.
Ainsi s’éclaire que Jean Delay qui a montré déjà ses qualités d’écrivain en une œuvre sensible sur laquelle le temps reviendra, n’use ici de son art qu’à la mesure de l’artifex à qui il le voue. Ce qui se confirme de l’étonnante égalité, dans ce long ouvrage, des qualités où nous venons de nous arrêter, et nous conforte à modifier à notre gré, l’aphorisme buffonesque, pour l’énoncer : le style, c’est l’objet.
[15] Écrits, p. 742, note 1/ La convenance de ce rappel en notre sujet serait suffisamment confirmée s’il en était besoin par un de ces nombreux textes inédits que l’ouvrage de Delay nous apporte en les éclairant du jour le plus approprié. Ici, du Journal inédit dit de la Brévine où Gide en octobre 1894 séjourna (note de la page 667 de son tome II).
« Le roman prouvera qu’il peut peindre autre chose que l’émotion et la pensée ; il montrera jusqu’à quel point il peut être déduit, avant l’expérience des choses, jusqu’à quel point c’est-à-dire il peut être composé, c’est-à-dire œuvre d’art. Il montrera qu’il peut être œuvre d’art, composé de toutes pièces, d’un réalisme non des petits faits et contingents, mais supérieur ». Suit une référence au triangle mathématique, puis : « Il faut que dans leur rapport même chaque partie d’une œuvre prouve la vérité de chaque autre, il n’est pas besoin d’autre preuve. Rien d’irritant comme le témoignage que Monsieur de Goncourt [etc.]… il a vu ! il a entendu ! comme si la preuve par le réel était nécessaire ».
Faut-il dire qu’aucun poète n’a jamais pensé autrement,… mais que personne ne donne suite à cette pensée.
Appel de note de : « La signifiance du message s’accommode, il ne faut pas hésiter à aller jusque-là, de toutes les falsifications apportées aux fournitures de l’expérience, celles-ci incluant à l’occasion la chair même de l’écrivain. Seule importe en effet une vérité qui tient à ce que dans son dévoilement le message condense. Il y a si peu d’opposition entre cette Dichtung et la Wahrheit dans sa nudité, que le fait de l’opération poétique doit plutôt nous arrêter à ce trait qu’on oublie en toute vérité, c’est qu’elle s’avère dans une structure de fiction ».
[16] Rien ne m’aura plus rassuré dans la vie que la contemplation de la grande figure de Goethe souligne judicieusement Philippe Hellebois en exergue de cet éclairant chapitre.
[17] Lacan, J., Le Séminaire, Livre XIX : ... ou pire, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil (« Champ freudien »), 2011, p. 73.
[18] Catherine Millot, Gide Genet Mishima, Intelligence de la perversion, Gallimard, coll. L’infini, 1996.
[19] Anaëlle Lebovits-Quenehen, La pastorale de Gide, in La cause freudienne, n° 71, 2009, pp. 118-129.
Anaëlle Lebovits-Quenehen, anime avec quelques autres, Le diable probablement, revue éditée par Verdier, et dont le numéro 9, est hautement recommandable, et recommandé !
[20] Note (RK) : Il ne s’agit pas de la lettre du désir, mais de la lettre et le désir ; Éric Marty procède de même dans son « Lacan et Gide » p. 128 ; quo fata trahunt...
Irrésistiblement (?), à l’esprit : « non peccat, quaecumque potest pecasse negare, /solaque famosam culpa professa facit. » Ovide (Amores, III, XIV)
[21] Si le grain ne meurt, Folio, 2001, p. 285.