23/11/2007 — W. G. Sebald, Muriel Pic, Mathis Grünewald
D’après nature Poème élémentaire
Actes Sud, publie aujourd’hui D’après nature, Poème élémentaire [1], un triptyque dans lequel les vies de Mathis Grünewald, du botaniste et explorateur W.G. Steller et des moments fondateurs de l’existence de Sebald expriment les thèmes essentiels de l’œuvre comme s’ils en frappaient les trois coups.
Ce livre signait en 1988 l’apparition de Sebald [2] sur la scène littéraire (publication à Nordlingen, éditions Greno), la traduction anglaise surviendra en 2002.
La traduction de Sibylle Muller et Patrick Charbonneau pour Actes Sud, ravira les connaisseurs de l’œuvre, qui admireront la pleine maîtrise des moyens de l’auteur d’Austerlitz dans une forme inhabituelle (on reconnaît toutefois une manière de procéder à laquelle Muriel Pic (ouvrage à paraître [3]) donne le nom de montage littéraire. Pour ceux qui découvriront Sebald à cette occasion - rappelons que sa « carrière » littéraire a été brutalement interrompue en 2001, survenue suite à un accident qui nous a privés d’une intelligence et d’une écriture hors pair, - il y a fort à parier qu’ils chercheront à connaître l’ensemble des écrits [4]. Tous seront impatients de découvrir prochainement Campo Santo (essais et fragments de romans) [5].
D’après nature emprunte son titre à un vers du premier volet du poème :
a peint d’après nature
et de mémoire l’enténèbrement catastrophique
la dernière trace de la lumière tombant
de l’au-delà,
[p. 26, il s’agit de la Crucifixion de Bâle, et il est fait allusion à l’éclipse de soleil de 1502]
l’adjectif élémentaire, comme le mot nature se retrouveront dans la récriture de conférences rassemblées à cette enseigne : De la destruction, comme élément de l’histoire naturelle. En substance le poème exprime comment ces découvreurs de formes et ce qui les pousse à entreprendre ou poursuivre leur œuvre, s’inscrivent eux-mêmes dans une palingénésie dans lesquelles leurs traces figurent à l’état de palimpseste. D’où une insondable mélancolie, mais aussi une étonnante énergie et des moments épiphaniques de pure beauté.
La « scène primitive » : le tapis de bombes (Dresde, ou Nüremberg ou ailleurs), la maternité annoncée (août 1943), et l’épais silence qui s’ensuit, est certes une des clés de l’œuvre de Sebald (son exil en Angleterre en fait partie), le recours aux œuvres picturales : Altdorfer, et La Bataille d’Alexandre en particulier (mais aussi Loth et ses filles est un puissant moyen de constater à quel point cette scène dure avec ses obscènes justifications.
Qui a lu De la destruction comme élément de l’histoire naturelle, sait à quel point Sebald s’est élevé contre le motus vivendi qui s’est emparé de la parole publique comme privée dans l’Allemagne d’après 1945.
La troisième partie du poème revient sur ce fait massif, pour ouvrir sur la méditation qui court les deux autres volets, avec la place centrale prise par le retable d’Issenheim pour l’un, par la soif de connaître et d’explorer de Steller de l’autre.
Ainsi sont « établis des ponts par delà les époques et les continents » [6] qui confèrent au poème sa mélancolique unité, mais aussi sa vitalité, celle des aspirations créatrices, qui conduisent, par exemple, au sein de la violence, dans l’affrontement aux éléments parfois déchaînés, à la découverte du passage du Nord-Ouest :
la mer luisait
et aux voiles éclaboussées
par les crêtes des vagues restaient fixées
les étincelles de la lumière. (47)
[1] W. G. Sebald, D’après nature Poème élémentaire, Actes Sud, 2007.
[3] Paru en 2009, aux Presses du réel, recension : L’image dans les filets de l’écriture.
[4] Dont une bonne partie en poche, dans la collection folio
[5] W. G. Sebald, Campo Santo, Actes Sud.
[6] P. Deshusses, Le Monde, 21/10/99.