variations à partir des derniers ouvrages de Georges Didi-Huberman
17/11/2011 — Georges Didi-Huberman, Aby Warburg, Walter Benjamin, Francisco Goya
« Eh bien, je travaille ; je travaille. Je suis un essayiste : j’essaye tant que je peux. Je recommence. Je lis, j’écris, je regarde, je photographie. Je cadre et je monte. Je fais avec les textes ce que je fais avec les images : des fiches, des fiches, encore des fiches, sans ordre préalable et sans choix prédéterminé. Puis je dispose toutes ces associations libres sur « l’immense table », comme tu dis (qui est en réalité un établi de couturière, c’est-à-dire un outil d’artisanat). Ensuite, je fais des paquets, des regroupements, des constellations, comme une réussite aux cartes ou comme un tarot que vous tire une voyante de fête foraine. Un futur - un désir - se configure et s’incarne lorsque je m’aperçois que les affinités s’organisent toutes seules, pensent toutes seules, se remontent d’elles-mêmes. Alors je n’ai plus qu’à prendre la plume pour interpréter cette partition-là. » [1]
Atlas ou le gai savoir inquiet — L’Œil de l’Histoire 3
Lorsque parvient en main un livre comme le dernier ouvrage de Didi-Huberman, Atlas ou le gai savoir inquiet, venant après Quand les images prennent position, et Remontages du temps subi dans la série L’Œil de l’Histoire aux éditions de Minuit, on se demande bien ce que l’on pourra ajouter aux présentations [2] qui sont assurées par l’auteur lui-même : une quatrième de couverture qui dit l’essentiel, un sommaire, dont les phrases nominales, comme à l’accoutumée, se lisent comme la narration du travail proposé [3], enfin une manière d’introduction qui dès le premier chapitre L’inépuisable ou la connaissance par l’imagination dispose très clairement autant le point de départ que le leitmotiv du livre : l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg (pp. 11-16 [4]) pour mener au dernier qui forme inclusion : L’inépuisable ou la connaissance par les remontages.
Que dire aussi que l’on aura retenu, lorsque l’érudition est sans défaut : 73 figures in-texte, et un index bibliographique qui court des pages 305 à 380, on se prend d’ailleurs à rêver d’une version hypertexte qui conduirait sans feuilleter au chapitre, et à la note (à la page) considérée. De quoi recomposer, ou composer ses propres "tables" intérieures, les atlas qui donnent à lire ce qui n’a pas été encore écrit, ce que notre lecture peut s’essayer à faire. Donc des images, pour rêver, flâner, des associations, des voisinages qui suscitent des enquêtes, de la documentation pour vérifier ou mettre à l’épreuve des hypothèses, voilà qui exige un lecteur actif, agile, et auquel on aura communiqué un maximum de ressources.
En l’absence d’exposition en France [5], ce qui est bien évidemment un crève-coeur, le livre, qui, il faut le rappeler est l’essai introductif du catalogue de celle dont ont bénéficié nos voisins espagnols et allemands, s’emploie à porter à la connaissance de ceux qui le liront en quoi l’Atlas de Warburg est une oeuvre-phare [6] pour comprendre le rôle des images dans notre connaissance de l’histoire, et comment dans une certaine mesure, le recueil de celles-ci, leur assemblage permet de penser la folie de cette histoire : « Ni désordre absolument fou, ni ordonnancement très sage, l’atlas Mnémosyne délègue au montage la capacité à produire, par les rencontres d’images, une connaissance dialectique de la culture occidentale, cette tragédie toujours reconduite - sans synthèse, donc - entre raison et déraison, ou, comme le disait Warburg, entre les astra de ce qui nous élève vers le ciel de l’esprit et les monstra de ce qui nous reprécipite vers les gouffres du corps. » (22)
Trois grandes parties structurent solidement le propos, les mentionner sera en souligner la « nécessité intérieure » : I. Disparates « Lire ce qui n’a jamais été écrit », II. Atlas, « Porter le monde entier des souffrances », III. Désastres « La dislocation du monde, voilà le sujet de l’art ».
Voilà donc pour « l’économie générale ». Au regard de la foisonnante richesse offerte, je ne disposerai sur ma table du jour, qu’une manière d’« économie restreinte », mais je l’espère suffisamment significative, pour attirer à ce livre, ceux que son érudition, ses patientes analyses pourraient les amener à croire qu’il est absolument nécessaire de disposer de tout le savoir de l’auteur, d’avoir fait le plein de fiches, pour en goûter l’intention profonde... La manière est suffisamment spiralaire, en reprises, en recoupements, en contiguïtés, pour y prendre ses marques de lecteur [7], y déceler ses propres sources en vue d’un remontage, tel que le présent soit un peu mieux lisible que l’image que les communicants du jour nous assènent, à courte vue et à très court terme, car il faut pas s’y tromper, connaître l’histoire, et la connaître en ses images, c’est certes accomplir un travail d’épistémologie : s’il n’avait pas de vertu politique [8], il serait alors bien vain, de l’art pour l’art en somme, je cite in fine :
« Mnémosyne, pour être la mère des Muses, n’en est justement pas une. L’invoquer, c’est reposer une question qui précède et dépasse de loin le seul domaine de « l’art ». Fille d’Ouranos (le ciel) et de Gaïa (la terre), Mnémosyne personnifie une inquiétude plus fondamentale qui met en jeu notre « espace de pensée » tout entier devant l’histoire, nous faisant aller et venir, sans relâche, entre les monstra et les astra, appellant nos réminiscences du passé jusqu’au cœur de nos peurs ou de nos luttes présentes, comme de nos désirs d’avenir. Quel avenir ? Comment « lire » les configurations - ou les fragiles châteaux - des cartes à jouer sur la table du destin ? « Savoir / comme / prophétie », peut-on lire justement, sur trois lignes bien séparées, dans un manuscrit de Warburg accompagnant l’élaboration de Mnémosyne. Qu’espérait donc le penseur - philosophe ou artiste, historien ou métapsychologue des cultures - de ses constants remontages d’images sur les tableaux noirs de son atlas, si ce n’est qu’entre une pratique du « regard embrassant » et la « critique » incessamment portée sur lui-même et sur le monde, quelque chose des « incendies à venir » de l’histoire lui serait donné à entrevoir ? Telle est bien la difficile - et dialectique - pratique de quiconque s’essaie à voir le temps. » (273-4)
Donc sur la table, pour aujourd’hui :
— Au chapitre Atlas (II), toutes les pages qui invoquent Goethe, dont aux pages 152-153 un inventaire des trésors goethéens, qui évoquera immanquablement les listes de Borges, ou les "atlas de l’impossible" chers à Michel Foucault. Lisibles si on songe aux collections minéralogiques, aux différences et affinités — Édouard et Odile ne sont électivement pas loin... — qui mènent aux unions profondes autant qu’improbables... Et qui ne sont pas sans faire songer à d’autres collections, de passages parisiens par exemple, ou ce que le collectionneur avait vu chez August Sander : « plus qu’un livre d’images, un cahier d’exercice » [9]
— Travailler sur Warburg ne va pas sans citer Freud (Lui que Georges Didi-Huberman n’a jamais manqué d’évoquer, cf. Le memorandum sur la peste, et l’apparition du signifiant-image, ou encore un hommage à Pierre Fedida [10]). Aussi ne survient pas par hasard, analogiquement — de la ressemblance par contact — Claude Imbert :
« L’Atlas [de Warburg] n’est pas d’abord le titre d’un livre ou le nom d’un répertoire d’images, c’est un espace analytique doublé d’une opération mentale inédite [11]. » Suivent quelques pages très denses sur le Denkraum warburgien, le travail d’installation visuelle, et la philosophie (Wittgenstein et la pénultième phrase du Tractatus, mais aussi « Dis moi comment tu cherches, je te dirai ce que tu cherches » des Remarques philosophiques). C’est parfaitement stimulant, et pourquoi ne pas le dire, jouissif, à l’écoute de « cette "loi secrète" des images dont aucune théorie ne possède le fin mot - ou le surplomb, ou la synthèse - puisqu’elle s’invente, s’incarne et se transforme à chaque nouvelle affinité, à chaque nouveau conflit. »
— Arrivé au chapitre de l’invention, nous n’oublierons pas la littérature contemporaine :
« [Cette] « iconologie politique » apparaît aujourd’hui comme l’une des parts les plus essentielles de l’héritage warburgien. Sa forme visuelle -l’atlas, l’Übersicht- correspond sans aucun doute, ou plutôt répond, à la crise du récit qui a vu, au début du xxe siècle, les constructions épiques se dissoudre et les procédures photographiques ou cartographiques en prendre le relais jusqu’au cœur même du champ littéraire. C’est ce qui aura rendu nécessaires les Albums photographiques du poète Juan Ramon Jiménez lors de la guerre d’Espagne ou le Scrapbook de William Heckscher et la Kriegsfibel de Bertolt Brecht pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi, dans une large mesure - la mesure de la mémoire et du désastre - ce qui aura porté des écrivains tels que Claude Simon [12], Georges Perec [13] ou W. G. Sebald [14] à inventer des formes littéraires que semble presque soutenir une pratique de l’atlas d’images. » (292-3)
— Enfin, il serait impensable de ne pas citer dans cette archéologie visuelle autant que théorique les pages (115-137) relatives à Goya, dont les Disparates donnent au premier chapitre son nom. La référence en est fréquente, on préfèrera, par caprice, celles sous le signe de : « El sueño de la razón produce monstruos », à la fois leçon de ténèbres, et anthropologie du point de vue de l’image, qui ne laissera pas le lecteur indifférent...
Et de quoi augurer bien des lectures [15]...
Écorces
« Pour n’être ni ébloui ni terrassé, j’ai donc fait comme tout le monde : j’ai fait quelques photographies au hasard. Disons, presque au hasard. Je me suis retrouvé, une fois rentré chez moi, devant ces quelques bouts d’écorce, cette pancarte de bois peint, cette boutique de souvenirs, cet oiseau entre les barbelés, ce mur de fusillade factice, ces sols bien réels fissurés par le travail de la mort et du temps écoulé depuis, cette fenêtre de mirador, ce bout de terrain vague annonçant l’enfer, ce chemin de terre entre deux clôtures électrifiées, cette porte de baraquement, ces quelques troncs d’arbres et ces hautes ramures dans le bois de bouleaux, cette traînée de fleurs des champs en face du crématoire V, ce lac gorgé de cendres humaines. Quelques images, c’est trois fois rien pour une telle histoire. Mais elles sont à ma mémoire ce que quelques bouts d’écorce sont à un seul tronc d’arbre : des bouts de peau, la chair déjà. »
Est-ce trop livrer de ce qui dans les ultimes pages rassemble la méditation de Georges Didi-Huberman, retour d’un séjour à Birkenau en juin 2011 ? [16]
On ne le craindra pas, ne craignant pas de dire que c’est avec une délicatesse extrême que les mots de celui qui pour la circonstance se fait poète de cette mémoire en rendent sensibles les écorchures [17], nous les font toucher, appellent aux "fragiles décisions de regard" en rendant une archéologie personnelle partageable.
Je ne pense pas que l’ouvrage savant qui paraît concomitamment soit moins "personnel" en son fond (le chaos de l’histoire en est la basse continue), à son écriture spécifique, argumentation, documentation, méthodologie, répond une écriture qui n’est plus enserrée par les réquisits du travail intellectuel, et qui en fait affleurer tout le sensible. Certes, on ne manquera pas de faire le lien entre les deux écritures, mises en forme de lectures apparues "en lisant en écrivant", avec cette phrase de l’incipit et l’expression commune aux deux livres : « J’ai regardé en pensant que regarder m’aiderait peut-être à lire quelque chose qui n’a jamais été écrit. » Ainsi les images n’ont-elles pas de légendes — même si une manière de sommaire pour différencier chacun des chapitres peut en figurer la liste — et demandent à être regardées longuement, avant que d’en découvrir le commentaire qu’elles ont fait naître.
Sur le versant savant, le lecteur de Images malgré tout [18], sera sensible au devenir de « quatre bouts de pellicule arrachés à l’enfer » au regard de la "pédagogie mémorielle" [19] qui ne tolère pas "l’image désorientée", mais aussi à la détermination du chercheur à mettre en lumière, qu’à raison de quelques secondes volées à l’attention de ses gardiens, le photographe clandestin du Sonderkommando a transformé le travail asservi, en un véritable travail résistant (55).
Je relève ces quelques lignes du chapitre, dont le sommaire révèle l’intitulé : Mirador (fenêtre donc sur le Réel, au sens que lui ont donné Bataille puis Lacan), qui disent l’impossible et la nécessité tout ensemble de la lecture et de l’écriture de ce livre, et où se dit un je qui est "comme tout le monde" pour parvenir à un nous construit sur un peu de savoir ; elles me paraissent emblématiques de la démarche du philosophe et historien de l’art et de l’homme :
« C’est inimaginable, donc je dois l’imaginer malgré tout. »
« J’ai donc passé la porte de ce qui fut l’enfer autrefois et de ce qui était, ce dimanche matin, si calme et silencieux. Je suis monté au mirador principal. J’ai photographié la fenêtre qui donne sur la rampe de sélection. Mon ami Henri, qui m’accompagnait - et par l’insistante douceur duquel je m’étais résolu à faire le pas de ce voyage -, me dit m’avoir entendu dire : “C’est inimaginable.” Je l’ai dit, bien sûr, je l’ai dit comme tout le monde. Mais si je dois continuer d’écrire, de regarder, de cadrer, de photographier, de monter mes images et de penser tout cela, c’est précisément pour rendre une telle phrase incomplète. Il faudrait plutôt dire : “C’est inimaginable, donc je dois l’imaginer malgré tout.” Pour en figurer quelque chose au moins, au minimum de ce que nous pouvons en savoir. »
Notant aussi qu’il aura fallu l’insistante douceur d’un ami.
Puissé-je avoir cette insistance pour conduire à lire ce qui a été et qui reste : « un morceau de présent, là sous mes yeux, sur la page blanche ; un morceau de désir, la lettre à écrire, mais à qui ? »
[1] Entretien de Georges Didi-Huberman avec Catherine Millet, dans art press, n° 373, de décembre 2010, intitulé « Atlas : comment remonter le monde ». À propos de l’exposition “Atlas, ¿ Cómo llevar el mundo a cuestas ? - Atlas. How to Carry the World on One’s Back ?”, exposition organisée par G. Didi-Huberman au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía (Madrid) entre novembre 2010 et février 2011, exposition reprise au ZKM de Karlsruhe [Visite guidée, en anglais, pour les étudiants de Karlsruhe et Heidelberg.], puis à la Sammlung Falckenberg de Hambourg, entre mai et novembre 2011. De diverses conférences données dans des écoles d’art, à propos d’Atlas, on retiendra celle de l’école de La Cambre, à Bruxelles, le 10 mai 2011, mise en œuvre de ce que Didi-Huberman, mettait à propos d’images réunies de Brecht, sous le beau mot de pédagogie.
Atlas ou le gai savoir inquiet (L’Œil de l’Histoire, 3), aux éditions de Minuit, en est la préface du catalogue.
[2] Sans compter, cf. note 1, celles que véhiculent entretiens et conférences. Parmi celles-ci, à privilégier, en ce qui concerne L’Atlas Mnémosyne, celle, filmée, du 23 janvier 2002, au centre Pompidou, intitulée Écrire l’histoire de l’art au XX° siècle : le montage de Mnémosyne. Lire la présentation d’Annick Bouleau, conception, montage réalisation, et admirer son travail de restitution d’un moment de pensée.
[5] Quelques lieux actuellement pourraient rendre sensibles des problématiques proches de celle de Didi-Huberman. Tout d’abord, le Musée d’Art et d’Histoire et du Judaïsme, avec l’exposition Walter Benjamin, Archives. Je n’y insiste guère, les lecteurs de Georges Didi-Huberman, savent combien son oeuvre est en compagnonnage constant avec celle de Benjamin. Ces quelques mots de présentation, disent la parenté de méthodes :
« Collectionneur passionné (de livres pour enfants notamment), Walter Benjamin a adapté l’objet et la méthode de la collecte au travail de la pensée. L’extraction, le découpage, la citation, le montage, l’association, la juxtaposition, ou encore la mise en regard furent autant de gestes qui lui permirent de déconstruire des logiques de représentation dominantes et de faire apparaître des configurations inédites à l’origine de lectures radicalement nouvelles de l’histoire, de la littérature, du rapport de l’art au politique ». V. le livre aux éditions Klincksieck.
En second lieu, les récents commissariats d’exposition de Guillaume Désanges : programme Érudition concrète au Plateau (FRAC Île de France) ; pour la période très récente, 2001-2011 : soudain déjà à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris [v. aussi la réflexion critique d’André Rouillé pour paris-art] ; enfin l’exposition actuelle au Centre Pompidou-Metz, avec Erre, variations labyrinthiques, dont cette phrase extraite du dossier de presse peut dire le « sens » :
« Les avant-gardes artistiques ont contesté l’idée d’une représentation du monde selon une perspective unique, celle du point de fuite, héritée de la Renaissance. À l’éclatement des points de vue sur l’espace de la toile et l’abstraction des formes, correspondent un brouillage de la signification et une déconstruction du scénario linéaire dans le cinéma expérimental. L’espace laissé vacant entre le sens et la forme est le lieu même d’une d’une pente vertigineuse. L’œuvre d’art peut dès lors être considérée comme un labyrinthe, sensuel et conceptuel, dans lequel on s’égare volontairement. Une structure complexe, autonome, dont l’expérience échappe aux logiques dominantes, mais qui transmet une nouvelle forme de connaissance. »
On le voit dans les deux cas, des manières de déconstruire les logiques dominantes de représentation, en vue d’un nouveau mode de connaissance, non plus reçu, mais reconstruit.
[6] Concernant Aby Warburg, l’on pourra se reporter avec profit à :
— Georges Didi-Huberman, L’Image survivante, Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Minuit, 2002.
— La guérison infinie | Ludwig Binswanger et Aby Warburg, en poche aux éditions Payot & Rivages.
Concernant ce dernier épisode, rappelons avec Didi-Huberman : « Tel est bien l’atlas Mnémosyne : envisagé dès 1905 par Aby Warburg, sa mise en chantier effective ne débuta qu’en 1924, soit au moment précis où l’historien émergeait - remontait, se remettait - tout juste de la psychose Le Bilderatlas ne fut, pour Warburg, ni un simple « aide-mémoire », ni un « résumé en images » de sa pensée : il offrait plutôt un appareil à remettre la pensée en mouvement là même où l’histoire s’était arrêtée, là même où les mots faisaient encore défaut. Il fut la matrice d’un désir de reconfigurer la mémoire en renonçant à fixer les souvenirs - les images du passé - dans un récit ordonné ou, pire, définitif. Il restait inachevé à la mort de Warburg, en 1929. » (Atlas, p. 21)
[7] Échantillonner le chaos. Aby Warburg et l’atlas photographique de la Grande Guerre,
dans études photographiques, n° 27, mai 2011, en offre un solide aperçu. Cet article est repris dans Atlas ou le gai savoir inquiet.
[8] Cf.« Il est aussi des atlas qui font de leurs remontages des prises de position plus virulentes, des protestations en acte, des « psychomachies » revendiquées comme telles : on le voit dans l’Atlas de Gerhard Richter et jusqu’à son petit ouvrage War Cuts, on le voit chez Sigmar Polke mais aussi, de façon méthodique, chez Hans Haacke et Alfredo Jaar, Harun Farocki et Pascal Convert, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Pedro G. Romero et Walid Raad » (272)
[9] On aura reconnu l’inlassable « chiffonnier ». Walter Benjamin, Petite histoire de la photographie, in Œuvres, II, Folio, 295-321.
[10] Georges Didi-Huberman, Gestes d’air et de pierre, Corps, parole, souffle, image, Minuit, 2005.
[11] L’article cité, Warburg, de Kant à Boas, L’Homme, 165 | janvier-mars 2003, est heureusement disponible en ligne.
[12] Mireille Calle-Gruber (dir), Les Triptyques de Claude Simon, ou l’art du montage, Presses Sorbonne nouvelle, 2008
[13] Jean-Pierre Salgas (dir) : « Regarde, de tous tes yeux, regarde ». L’art contemporain de Georges Perec, Nantes-Dole, 2008.
[14] Muriel Pic, W. G. Sebald, L’image-papillon, presses du réel, 2009, ouvrage salué en ces pages.
[15] Cf. Viscéral, sidéral, ou comment lire un foie de mouton pp. 22-33.
[17] Le mot retenu ici comme un doublet de écorces, il est clair que les plaies sont vives à jamais.
[18] Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, 2004. La revue de presse en est incontournable, en particulier l’article de Philippe Forest (art press, janvier 2004), dont je recopie la conclusion (je souligne) pour appeler à lire le tout, téléchargeable :
« S’il m’est possible de traduire en d’autres termes (les miens) la démonstration proposée, pour finir, je dirai : la vérité que nous rappelle l’auteur est qu’il n’est de témoignage de l’impossible que sous la forme d’un témoignage impossible. Mais cela veut dire aussi : de témoignage se constituant paradoxalement, exclusivement, à partir de son impossibilité même. Par la parole autant que par l’image (car pourquoi la parole échapperait-elle davantage que l’image à l’aporie du Réel ?), se fabrique une représentation qui doit se vouloir fidèle à l’irreprésentable même et ne peut tout à fait y parvenir. L’image nécessairement trahit le Réel. Elle lui est inévitablement infidèle. Mais elle le trahit aussi au sens où elle l’exprime même malgré elle, le livre et le laisse s’échapper, nous ouvrant ainsi vers lui la seule voie (imaginaire) qu’il nous soit possible d’emprunter. Car il n’y a pas moyen de se soustraire à la terrible ambiguïté qui régit le protocole de la représentation et place celui-ci sous le signe double du possible et de l’impossible, de l’interdit et de sa transgression. C’est cette ambiguïté qui fait du témoignage (et de l’œuvre d’art en tant qu’elle est également témoignage) une entreprise nécessaire et coupable, dont la nécessité - comme l’avaient si bien compris Georges Bataille ou bien Primo Levi - implique l’inexorable culpabilité. »
[19] A cet égard, les pages 23 à 25, sont, antiphrase, édifiantes, du mur reconstitué des exécutions, aux divers pavillons nationaux, et disent l’effarement, que nous partageons, tant du chercheur, que de tout être tant soit peu lucide, ou s’efforçant de l’être.