25/03/2011 — Valère Novarina, Olivier Dubouclez ; aux éditions POL : Marc Cholodenko, Danielle Mémoire, Leslie Kaplan, Thomas Hairmont, Nina Yargekov
« L’incandescence de l’acteur est visible. C’est de tous les artistes le plus facile à observer : il travaille à vue, ne cesse de faire et défaire, de remodeler autrement la figure humaine sous nos yeux. Et s’il ne crée rien, c’est qu’aucun artiste n’a jamais créé quoi que ce soit : il a seulement désigné ».
« Les artistes sont tout sauf des créateurs - ce mot ridicule dont tout le monde s’affuble ; l’artiste ne crée rien du tout : il écoute, assemble, détourne, retrouve, montre ce qui est. C’est un réaliste profond toujours et un observateur tactile du réel par-dedans. Qu’est-ce qu’il fait ? Rien ; il ne crée rien : il dévoile ce qui est là ; il rappelle et désoublie. »
Valère Novarina
[1]
« Resterait à dire ce qui distingue l’acteur véritable d’un imitateur d’homme ».
Paysage parlé, Valère Novarina, Olivier Dubouclez, aux éditions de La Transparence
Pour approcher ce livre [2] dont la quatrième révèle ainsi la teneur : « livre d’entretiens et journal de voyage, portfolio et carnet de notes, Paysage parlé rassemble six conversations menées in situ— j’ajoute les dates — à Paris (05/02/09), Lausanne (21/02/09), Debrecen (24/04/09), Champigny-sur-Marne (23/06/09), Varallo (17/08/09) Paris (15/06/10) et Trécoux (25/08/10) », je pars de cette note de carnet (d’O. D.) que, j’« aère » :
Quelques semaines plus tard, en découvrant la première version de l’ouvrage, encore grouillante de chiffres à virgule, il me sera donné de descendre un peu plus profond dans cette structure pour faire l’épreuve des alternatives rythmiques que le livre, jusqu’au dernier instant, propose à l’esprit.
Déterminer, au beau milieu d’une telle masse fragmentaire, le circuit de la lecture est ce qui est le plus malaisé. Il faut éprouver la justesse des coupes, apprécier la fluidité du mouvement mental qui mène d’un paragraphe à l’autre, relire encore et encore et, dans le même temps, ne jamais se laisser capturer par un rythme où la nature interrogative du matériau viendrait à se perdre. Définir un ordre qui laisse percevoir, aussi clairement que sa nécessité, sa nature d’hypothèse perdue entre mille. » (17-20)
Olivier Dubouclez, connaisseur parmi les connaisseurs de l’oeuvre de Valère Novarina [3], nous dit ici sa rencontre très concrète avec l’écriture du dramaturge dans son moment pariétal : soit épinglées au mur de l’appartement parisien onze colonnes de papier (déjà l’acteur se redresse, et avec lui mots après qu’ils ont été couchés sur le papier, c’est leur force, leur dimension insur-résur-rectionnelle comme autant de chapitres du livre à venir [4] : L’Envers de l’esprit. Elles parlent. Et font parler !
Ainsi se présente l’ouvrage en ses 6/7 moments : réflexions-méditations ou questions d’Olivier Dubouclez en italiques, en retrait, alternant avec les réponses scriptes pleine page de Novarina, avec intercalations de photos (N&B. de l’intervieweur majoritairement) et de documents iconographiques en fort sobre quantité, mais de très grande qualité, esthétiquement, conceptuellement. Bref, le travail qui est offert au lecteur résulte à l’évidence des principes notés comme incidemment : « Il faut éprouver la justesse des coupes, apprécier la fluidité du mouvement mental qui mène d’un paragraphe à l’autre, relire encore et encore et, dans le même temps, ne jamais se laisser capturer par un rythme où la nature interrogative du matériau viendrait à se perdre. » [5]
Comment lire ce livre ? peut-être d’abord comme un livre d’images. Rapportons quelques éléments de la scène : outre les feuiles épinglées, numérotées, le décor du Monologue d’Adramélech, la reproduction du Pays des Météores (art brut), le paysage -vide - de la Puszta, une mobylette (qui fit de nombreux allers-retours Sorbonne-Billancourt en 68), l’Annonciation de Varallo, l’intérieur (spartiate) d’un chalet savoyard.
Et puis, remarquer, comme une inclusion : au début, comme à la fin : un livre qui s’achève (L’Envers de l’esprit, Le Vrai sang), et peut-être d’un chapitre l’autre comme une alternance du plein et du vide, bref un rythme, une respiration, et l’image recomposée du titre : paysage (composition donc), parlé : ce qu’il (re) donne à dire.
Olivier Dubouclez est un interlocuteur attentif, délicat. Ainsi se déploient des moments que seuls la confiance réciproque peut offrir, amener. Un des plus bouleversants rapportés lors de la mise en scène en hongrois de L’Opérette imaginaire la détresse d’une actrice, Anna Ráckevei, face à cette réplique : « Me voici face au sentiment inconnu ! » Cette réplique, nous dit Valère Novarina, l’a totalement affolée et elle s’est crispée : un jour, elle a dit cela de manière très agressive ; le lendemain, au même endroit, elle a fondu en larmes.
Autre moment, en ce lieu des origines familiales, cette réflexion sur les figures du Sacro Monte :
Voilà donc deux répliques, in situ, retenues parmi beaucoup d’autres de même eau, au cours de cette pérégrination que le lecteur est invité à partager, afin que sa pensée du théâtre de Novarina demeure sensible :
Printemps de POL : Marc Cholodenko, Leslie Kaplan, Danielle Mémoire, Thomas Hairmont, Nina Yargekov
Rébus. Rébus. Rébus. Rébus. C’est un chantier où toujours Bouche parle à Oreille, toujours Irq aux deux Volantes, et où tous les autres ont des outils.
Outre Le Vrai sang [7], et Le Babil des classes dangereuses [8] pour qui n’a pas connu cette pièce en son temps [9], les éditions POL [10] ont récemment publié des livres dont la présentation rapide est juste l’acte de reconnaissance d’une politique éditoriale : des auteurs rares ou secrets pour ce qu’il est convenu d’appeler "grand public" : Marc Cholodenko, Danielle Mémoire, d’autres à l’audience plus large telle Leslie Kaplan, en raison de leur intervention dans le débat public d’actualité (ici la prétendue santé mentale) mais avec un souci de la langue tout aussi affirmé, porté, enfin "la jeune garde", tels Thomas Hairmont, ou Nina Yargekov. Des livres lus donc, avec bonheur, et qui bénéficient ici ou là du retour réflexif [11] qu’ils appellent.
Les États du désert [12] ont valu le prix Médicis en 1976 à celui qui était leur très jeune auteur. La réédition du livre en semi-poche le donne comme un livre à lire toujours au présent. Nous lûmes (lirez-vous ?) :
Si bien que les états illusoirement successifs du désert sont comme ceux de notre vie où le désir et l’amour nous sont donnés pour vent et pour lumière. »
Ce sont les dernières lignes, qui à la manière du Temps retrouvé, est-ce besoin de le dire ? commandent l’écriture (et la lecture) de ce livre retrouvé, lui aussi, avec émotion.
Faut-il ajouter que la veine proustienne n’a jamais été abandonnée, et que sous des formes très différentes, les parutions - de ces dix dernières années (Glossaire, Thierry, Imitation [13] entre autres) - constituent autant de variations, musicalement s’entend. [14]
Peut-on lire Le Cabinet des rebuts [15] sans connaître le Corpus [16] qui s’est constitué au cours des vingt dernières années ? Oui, et ce sera une excellente introduction (chacun des livres, en particulier les plus brefs, en est une possible) à l’univers de pensée et d’écriture de Danielle Mémoire : beaucoup de drôlerie (Pinget n’est pas loin), beaucoup de philosophie (de la littérature, du langage et c’est Blanchot et quelques uns de ses vertiges). Lisez la quatrième, de l’auteure, à n’en pas douter :
Il peut aussi ne pas l’être ».
Une fois séduit par cet univers (mais « la séduction, ça se mérite »), avec le lecteur et l’écrivain, ce sera désormais Une pièce écrite en collaboration. Et toute une galerie de personnages aux patronymes les plus inattendus : Eulalie Cymea, Archambaud Blot, viendra alors habiter le lecteur à la façon d’un théâtre intime. [17]
Louise elle est folle, cette manière dire indique d’une part que nous sommes au théâtre, mais aussi une manière de parler qui est une manière d’être parlé (Louise pourrait appartenir au Corpus). Les locutions les plus simples disent un monde. Les tourner et les retourner permettent de déconstruire un monde donné comme naturel avec les fausses connexions qui en assurent la présentabilité. Bref, la philosophie est au rendez-vous, pas moins l’auteure du Psychanalyste, et non moins l’auteure engagée (cet adjectif a toujours un sens) que l’on a sue dès L’Excès-L’Usine.
La merde est un signifiant qui fait mouche(s). Thomas Hairmont dont c’est le premier livre, fait avec Le Coprophile [18] et avec esprit une entrée remarquée en matière et en littérature ! Quelle énergie, quel culot, et disons-le quel talent. Très certainement, il faudra que le lecteur ait le coeur bien accroché à tel ou tel endroit du livre (les lieux comme dit la langue biblique) : manger la merde élevé au rang des beaux-arts, c’est peut-être après tout un geste politique, d’autant que, contrastivement, le raffinement de langue et la virtuosité narrative font qu’on ne lâche pas ce livre, ou plutôt, puisque c’est un livre, qu’il ne vous lâche pas après vous avoir intimé :
Remarquée à juste titre pour son audace avec Tuer Catherine [19], Nina Yargekov récidive (c’est le mot !) avec Vous serez mes témoins [20]. Ici encore, on n’a pas froid aux yeux (prendre ainsi le sujet du deuil, ce n’est pas peu prendre de risques [21]), on n’a pas peur, et ça marche ! Comparaison n’est peut-être pas raison, mais tout se passe ici comme si de formalismes antérieurs naguère reçus comme ars nova, on passait à présent - risquons cela - à un ars subtilior [22]. C’est rafraîchissant, d’autant que « Ces temps-ci l’air est plein d’algues et on ne rit pas beaucoup. » [23]
[1] « Aucun artiste ne crée : il désigne le réel. Bach déploie en fugue et en fuite devant nos yeux la multiplicité du temps ; Oum Kalsoum libère en louanges et en volutes accidentées la voix humaine isolée solitaire-jamais-seule ; Beethoven nous mène profond dans le rythme jusqu’à toucher au croisement du silence et de l’espace ; Marcel Proust développe sur quatre mille pages cette phrase du Baal Chem Tov : « Dans le souvenir est le secret de la rédemption » ; Joyce sème le langage dans l’espace et rend mille fois visibles son éclosion et sa floraison toujours en quatre sens ; Jean Dubuffet peint et célèbre les choses en bas, les choses au sol, humbles, jamais regardées, dans la marge : artiste franciscain, nu, il dit qu’il est « le seul à peindre comme tout le monde ».
Ajoute Valère Novarina au chapitre Cendres de L’Envers de l’esprit, POL, 2009. A cela on adjoindra ces quelques harmoniques :
« Qu’est ce que la vérité ? » [...] Ni l’artiste ni l’acteur ne répondent non plus à cette question. L’acteur sait seulement témoigner, agir, penser avec ses mains, prêter souffle, offrir son corps en acte ; s’il témoigne de la vérité, c’est par sa présence, l’offrande d’un instant, la présentation d’un corps humain, le don et l’abandon d’un souffle singulier. C’est un engagé de la chair, un pratiquant : il ne sait rien dire - ni de la vérité, ni de l’homme, ni de l’univers -, mais il témoigne de la chair, du temps, du souffle, du langage et de la nature ; il s’y exerce corps et âme ; et parfois, en le désirant de toutes ses forces mais sans jamais l’avoir voulu, il s’accorde à la création. »
Et pour l’acteur, encore : « animal à libérer la pensée en brûlant les mots, ardent de langage, trouvant le souffle dans la lettre, la vie sous l’alphabet. Animal spirituel, il brûle le langage, c’est-à-dire qu’il le rend lumineux par sa passion respiratoire, par son action passive ; il l’éclaire par l’offrande de son corps rayonnant, consumé par le souffle. » [V. aussi, Perdition 3, 14, aux pp. 119-125, plus particulièrement.]
Concernant ce recueil de textes de Valère Novarina, quelques préférences : celles qui commencent par « Écrire est tactile, provient d’une certitude touchée, comme si l’organe de la parole était la main. » Et de s’embarquer avec Jeanne Guyon, « chrétienne par les sens » comme à l’opposé Joseph de Maistre le fut « de tête ». Touche infiniment, l’hommage à Lucerné, ce salut sans fin à ce qui est très en bas, qui fonde l’oeuvre de [cet] homme dont le nom est Pierre, et qui en est comme le socle, l’acte un. Les lecteurs de Fusées, ont lu dans le numéro 14, la Louange du sol qui indique comment [ses] oeuvres fragiles sont grand art humble, comme des vanités qui se retournent, des sculptures parlantes un instant.
Ajoutons que : Le langage se souvient, a pour provenance un entretien avec Isabelle Babin, du groupe Polart (Paris 8) publié dans la revue Inculte, n°15, mars 2008, p. 9-24 ; republié dans L’Annuaire théâtral, n°42, automne 2007, Québec, p. 67-78, accessible en ligne.
Enfin, à l’occasion de l’inscription au programme du baccalauréat série L, option théâtre de « L’Acte inconnu » et « Devant la parole », il y a tout lieu de signaler les deux dossiers "Pièce (dé) montée" du CRDP de Paris, pour L’Acte inconnu et Le Vrai sang. Très bien faits, ils ne seront pas seulement utiles aux lycéens ! Pour ceux-ci L’Acte inconnu a fait l’objet d’une relecture avec la parution de L’Envers de l’esprit, elle accompagne un double DVD.
[2] Paysage parlé, Valère Novarina, Olivier Dubouclez, éditions de La Transparence, collection Esthétique, mars 2011.
[3] Ce qui s’appréciera au travers de ces trois ouvrages :
— Valère Novarina, Portfolio ADPF, 2005, par Olivier Dubouclez.
— Valère Novarina, La physique du drame, Les presses du réel, Collection L’espace littéraire***, 2005.
De cet ouvrage Philippe Mangerel a écrit dans L’Annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, n° 42, 2007, p. 149-152, un commentaire accessible en ligne, associant sa recension à celle de Nicolas Tremblay, (dir.), La bouche théâtrale. Études de l’oeuvre de Valère Novarina, Montréal, XYZ, 2005, et concluant :
« Valère Novarina, la physique du drame d’Olivier Dubouclez rassemble une bonne partie de ces idées et les organise en un ensemble global et cohérent, pertinent. Il embrasse. La bouche théâtrale multiplie les points de vue, introduit à la richesse du texte novarinien et à sa puissance inspiratrice. Elle embrasse, elle aussi. Mais d’une différente manière : elle pique. »
Du livre du premier, plus accessible en France, elle met en lumière :
« [...] foisonnement aussi dans l’essai d’Olivier Dubouclez, qui rend bien compte de ce mouvement en nous faisant passer par divers développements sur l’acteur, la dramatisation, l’antimatière, la germination, le repentir et les pirouettes (ce sont ses titres) ; qui nous rend, au bout du compte, intelligible la démarche de cet auteur-généraliste, physicien de l’atome littéraire. »
Pour ma part je tiendrais assez de l’introduction :
« Il y a sans doute, dispersée et active dans le théâtre de Novarina, une image de la métaphysique ou un spectre macbethien de la philosophie, mais assassinée, c’est toujours dans l’immanence du langage qu’elle se donne à voir et c’est en lui seulement qu’elle est analysable. »
— Valère Novarina, le langage en scène, textes réunis et présentés par Frédérik Detue et Olivier Dubouclez, La Revue des lettres modernes, Minard, Écritures contemporaines, cahier 11, qui en ont confié l’avant-propos à Fabula.
Des deux contributions d’Olivier Dubouclez à ce travail, outre sa présentation, je retiens du passionnant entretien avec Christophe Feutrier, qui a travaillé à la mise en scène des textes de Valère Novarina dans différents pays, ces quelques mots (ou noms)-clés : métathéatrâl, performatif, substrats archaïques, Jerzy Grotowski, théâtre pauvre, babil et litanie, Obériou (ô Jean-Patrice Courtois, v. Les jungles plates lues par Pierre Campion, et Daniil Harms, chez Verdier), fabriquer des héros (chant XXII de l’Iliade) et :
« L’acteur qui joue du Novarina participe à un tel mouvement de transcendance (le « OK, we go », de Neil Armstong), et c’est grâce à lui que l’on redécouvre dans chaque spectacle un peu de la vérité primitive qui s’y dissimule. Au moment où les machines s’arrêtent, ce qu’il dit est ce qu’il fait. »
[4] Le livre paraît en juin 2009 ; et ses dix chapitres : L’ouvrier du drame ; Entrée d’un centaure ; L’optique des forces ; Louange du sol ; Le langage se souvient ; Perdition 3, 14 ; Écrire à l’aveugle ; La Rivière Enverse ; Les cendres ; Une langue maternelle incompréhensible.
[5] Voilà qui est fort cartésien. Olivier Dubouclez a soutenu en 2008 une thèse portant ce titre : L’invention de l’analyse : généalogie d’un concept d’Aristote à Descartes sous la direction de Jean-Luc Marion. Je lis dans la Vie de Valère Novarina, par Gérard-Julien Salvy, en 1993 : « le 8 décembre, reçoit de de Jean-Luc Marion quelques conseils pour récolter des définitions de Dieu » (Valère Novarina, théâtres du verbe, sous la direction d’Alain Berset, José Corti, 2001, p. 365). On les retrouvera (287 au total) dans La Chair de l’homme (1995), pp. 382-402, ou en sérigraphie aux éditions Héros-Limite. Celle de Jean-Luc Marion est très novarinienne : Jean-Luc Marion écrit que « Dieu, se révélant comme père, s’avance dans son retrait ». Les visiteurs de l’exposition Traces du sacré, se souviennent d’avoir été accompagnés par la voix de Laurence Mayor égrenant Au dieu inconnu, susurrant, par exemple et pour le plaisir : Achille Chavée note que l’on« découvre aisément en Dieu des signes graves d’anthropomorphie ».
[6] Cf. Valère Novarina, Lumières du corps, POL, 2006.
[7] Valère Novarina, Le Vrai sang, POL, 2011.
[8] Le Babil des classes dangereuses, POL, rééd. 2011.
[9] Publication en 1978, chez Bourgois, collection TXT — des extraits dans la célèbre revue, par exemple en 1975 (n° 8) :
OREILLE. - (A Bouche) - Le babil des classes dangereuses...
VOLANTE I. (A Irq.) - Poursuivons, la lecture, des amours, d’Acabi.
OREILLE. - Oui, chère Bouche, le babil des classes dangereuses menace notre langue. Ils donnent trop de leur voix, hors de piste, déversant leur hurlat. Nous conversons et échangeons nos mots. Oui, ce bris sans cesse refait, de bruits, de faux, empêche nos pratiques.
In illo tempore la critique écrivait : « Le livre de Valère Novarina met en scène et en oeuvre, dans son écriture même, la gestation d’un nouveau monde qui tarde encore puisque, par la faute et les "micmacs d’ensemble" de certains, "les temps présents furent dès l’origine grossièrement substitués aux temps futurs qu’ils empêchent d’arriver". En ce sens, il fait bien partie de ces "livres hantés, à leur manière", par ce qu’Artaud appelait "les colères errantes de l’époque", et dont Christian Prigent souhaite peupler la collection TXT. Mais on ne saurait trop en souligner la singularité. »
Bien vu, La Quinzaine littéraire, n° 275, 16-03-1978, Dominique Autrand.
[10] La rencontre de Valère Novarina et de Paul Otchakovsky-Laurens a lieu en 1984, s’est ensuivie la publication de Le Drame de la vie, et de beaucoup d’autres...
[11] Anne Malaprade pour Louise elle est folle, quoi rajouter ?, voir aussi Télérama, pour échos de la mise en scène, Pierre Le Pillouër pour Deux cents et quelques commencements
[12] Marc Cholodenko, Les États du désert, aux éditions POL.
[13] Ce bref livre, comme un sésame, un tessère, « Comme si on pouvait formuler ce qui formule ».
[15] Danielle Mémoire, Le Cabinet des rebuts POL, 2011.
[16] Les 16 livres, publiés par POL.
[17] Lire les quelques mots de Dominique Meens (En finir avec Ségur, en finir avec un « tu es un bon garçon », on va croire que je l’ai fait exprès.) : « Plus vous approchez plus beau c’est, plus c’est confidentiel. Qu’est-ce qu’une œuvre confidentielle ? Une œuvre au bord des lèvres. » à propos d’En attendant Esclarmonde, en attendant Aujourd’hui tome deux ; s’interroger avec Marie-Laure Picot à propos de Les Personnages, réapprendre le tressage d’une cordelière à quatre brins en compagnie de Danielle Mémoire, Marianne Alphant, Jean-Pierre Criqui et Michel Gauthier, au festival « Rosebud », mesurer avec Tiphaine Samoyault, qui comme toujours devance (une fois que c’est écrit par elle) ce que nous aurions aimé écrire, voici (je, souligne) :
« Dans les interstices du contre-monde évoqué ici, c’est un atelier d’écriture très spécial qui est donné à lire, avec versions successives, séances de lecture publique, amendements et transformations. Vie et littérature se trouvent aussi étroitement liées que monde et contre-monde, dans une dépendance exprimée de maniére neuve et sans aucun des stéréotypes habituels. Toutes les façons dont elles se conjoignent sont ainsi énumérées dans une liste troublante, où le sens se dessine en affleurant des phrases elles-mêmes : elles se conjoignent chez tous ceux dont la vie est littérature, chez tous ceux qui écrivent pour vivre (laquelle proposition se comprend bien entendu en deux sens), chez tous ceux qui vivent pour écrire ; « vivre pour écrire s’entend à son tour en deux sens au moins, assez largement exclusifs l’un de l’autre, sinon, pourtant, consécutivement : qu’il vit pour écrire s’entend de celui pour qui la vie n’est que du temps qui passe, lequel temps, lui-même ne le passe qu’à écrire [...] Qu’il vit pour écrire s’entend de cet autre [...] qui regarde sa vie comme réservoir de son œuvre. »
Vie et littérature ont encore bien d’autres façons de s’unir, toutes les fois où la littérature parle de la vie par exemple, « c’est-à-dire chaque fois qu’il y a littérature », ou encore toutes les fois où la vie fait surgir une influence décisive sur ce qu’on est en train d’écrire. L’ensemble de ces propositions forme une sorte de mode d’emploi du livre dans le mesure où celui-ci porte cette dépendance au point de ne plus pouvoir démêler la fiction de ce qui la fait naître et des modes grâce auxquels elle naît. »
(Contre-monde, Quinzaine littéraire, n° 823, 16-01-2002) à propos de Fautes que j’ai faites.
[18] La seule chose que je pourrais éventuellement reprocher à ce livre c’est précisément son titre, qui ne met pas le nez dedans, avec ses allures froidement nosographiques ; il est vrai qu’il a une manière toute clinique de décrire la Chose, que l’onomastique rabelaisienne ne communiquerait pas, pas davantage la vitupération d’un Artaud, ou le performé de Tarkos...
[19] « Minable héroïne de seconde zone, Catherine est un personnage de fiction sans œuvre fixe qui a eu l’indécence d’élire domicile dans mon corps. Au départ, je m’étais faite à l’idée d’être deux : je suis partageuse, comme fille, moi. Mais le problème, c’est que la présence de Catherine est parfaitement incompatible avec la vie saine que je m’efforce de mener : elle est obsessionnelle, monomaniaque, hystérique, et j’en passe. Aussi ai-je décidé de l’éliminer. Définitivement. »
Si Marc Cholodenko a proposé le tuilage de 200 incipits, Nina Yargekov s’est contentée de 14 quatrièmes de couverture alternatives
[20] Nina Yargekov, Vous serez mes témoins, POL, 2011. Cette fois, treize variantes, pour "présenter" le roman, pp. 233-245.
[21] Comme Tuer Catherine, Vous serez mes témoins appelle très certainement le second degré : y lire une métapoétique formalisée du duel de l’auteure et de la narratrice, quelle est la double de l’autre ? n’est pas le moindre plaisir de la lecture de ces textes, en sus de leurs embardées, leurs jeux, leurs vertiges parfois.
[22] Ce qui n’est pas contradictoire avec l’atelier-culinarium de l’auteure : cuiller murale, économe, fouet (à pâtisserie), voir le blog, ou les notes d’atelier sur le site de POL.
Subtilement, pour ce dernier roman, glissé-je : « Je n’ai deuil que de vous », avec le jeu de mots sur « Je n’ai d’oeil » ; les machicoteurs (la cour de Bourgogne) ont encore frappé !
[23] Hélène Cixous, Le Rire de la Méduse, Galilée, 201, p. 33.