texte du 26 avril 2006
Désoeuvré : comment Roger Laporte rend à ce mot toute la pertinence la beauté qui lui est inhérente quand il s’agit de l’activité créatrice (sur Rilke dans La Loi de l’alternance) et Blanchot. Van Gogh et Nijinsky, Apollinaire et Henri Fabre, les nommer sans quoi très seule.
Sylvie Gouttebaron, Une âme qui,
Dumerchez, 2004, p. 57
Réédition de Lettre à Personne, et parution d’un hommage collectif Pour Roger Laporte aux éditions Lignes
Il était sans doute devenu difficile de se procurer Lettre à Personne, publié en 1989 chez Plon. Le cinquième anniversaire de la mort de Roger Laporte est l’occasion de la réédition de ce carnet [1] où s’exprime le constat : « J’ai à présent la certitude que je n’écrirai plus » de celui qui avait envisagé la possibilité d’une littérature biogaphique comme se confondant avec l’existence même (Une Vie, chez POL ).
Philippe Lacoue-Labarthe, dans la préface, évoque Maurice Blanchot à propos du silence de Rimbaud : « à celui qui veut enterrer sa mémoire et ses dons, c’est encore la littératre qui s’offre comme terre et comme oubli » et d’ajouter (Ph.L-L.) : « Terrible phrase [...] mais juste phrase, s’il est incontestable que renoncer à la littérature est le plus pur des actes littéraires ».
Ce qui est le cas.
François Dominique a rassemblé chez le même éditeur : Lignes, un certain nombre de témoignages qui ne ressortissent pas au genre hommage de circonstance. Les familiers de l’oeuvre de Roger Laporte n’y trouveront sans doute pas de révélation, mais se retrouveront en bonne compagnie. A Marcel Cohen revient le mérite d’avoir donné sous l’intitulé Deux récits [2], deux images très fortes de l’entreprise littéraire telle qu’il me semble que la concevait Roger Laporte.
Magnifique.
En possible écho à Souvenir de Reims [3], je reproduis un passage du poème de Liliane Giraudon :
Un traité kaléidoscopique n’est pas un opéra de chambre
partition spatiale avec objets sonores la lecture calcinée
des omoplates de mouton constitue une carte symbolique
du monde et du destin aujourd’hui tu entames une
diète sémantique rêverie sur les épluchures de chaque fruit
mangé scintillement intensification de l’objet
flottant nous sommes dans le monde avant d’y être nés
roger sur sa moto roger mangeant des pommes roger lisant
paul celan roger à la campagne roger avec jacqueline
roger souriant roger terminant « Une vie »
Note bibliographique
L’oeuvre de Roger Laporte est éditée principalement aux éditions POL ; chez Cadex : Variations sur des carnets].
La revue Le Matricule des anges, lui a consacré un dossier dont on trouve en ligne un entretien : Dix-huit ans de silence et une étude : L’épreuve par neuf.
[1] Aux éditions Lignes-littérature, avec outre la préface de Ph. L-L., une postface de Maurice Blanchot
[2] Je les appellerais :
— le premier, Châteaux en Espagne : “À la question du journaliste : « Quelles chimères poursuivez-vous donc, seule dans votre château en Espagne ? », la jeune veuve répond [...] « Quel que puisse être son découragement, certains jours, rien, en dehors du château, ne lui paraît plus digne de ses efforts et tout la pousse donc à consacrer à l’austère bâtisse le meilleur d’elle-même, en se gardant bien de spéculer au-delà.
Pour le reste, explique la jeune femme, il lui arrive de passer plusieurs jours sans même trouver le temps de monter sur les remparts. Avec la terre ocre volant, sur les routes secondaires, au moindre passage de voiture, l’absence presque totale de relief, les gros bouquets de chênes-lièges que l’on aperçoit de loin en loin, les pierres claires et les toits rouges des villages, dont les maisons, serrées comme des pépins de grenade, tentent de maintenir un peu d’ombre dans les rues, la châtelaine sait pourtant, et mieux que quiconque, que c’est l’un des plus beaux paysages d’Espagne. ” (p. 95)
— Le second, Saint-Pierre et Miquelon : “Bien des marins n’ont donc jamais vu Saint - Pierre-et- Miquelon que sur l’écran de leur radar. Le musicien connaissait ce détail. Par ailleurs, le navire ne devait croiser les îles qu’en début de soirée, et sa route passait très au large. Dans la lumière déclinante, elles seraient à peine visibles, y compris par temps clair. Le musicien était donc préparé à l’idée que Saint-Pierre et Miquelon restent à jamais noyées dans les brumes de l’enfance comme dans celles de Terre-Neuve.” ... (p. 98)