Tintin, le péché

08/10/10 — Jean-Marie Apostolidès, Georges Bataille, Michel Surya, Valerio Magrelli


Tintin, Bataille, Magrelli, est-ce le bon voisinage ?

A voir. L’occasion :

— l’essai de Jean-Marie Apostolidès, aux Impressions nouvelles : Dans la peau de Tintin

— la troisième édition (parfaite) de La Discussion sur le péché, autour de et avec Georges Bataille, aux éditions Lignes, avec une forte préface de Michel Surya

— la publication aux éditions Cheyne de Ora serrata retinae le premier recueil de Valerio Magrelli, aux éditions Cheyne, traduction de Jean-Yves Masson

Dans les bonus : trois videos ; deux font se rencontrer (2009, 2010) Georges Didi-Huberman et Marianne Alphant, la troisième, un colloque "Jacques Hassoun, de mémoire ... " donne à Annie Le Brun d’évoquer "les nouvelles servitudes volontaires".


Comment ne pas percevoir quelle vigueur nouvelle la radicalité critique trouvait à ce simple constat : « La maxime de Stendhal est valide a contrario : la laideur est une promesse de malheur. Et le déclin de la sensibilité esthétique accompagne celui de l’aptitude au bonheur » ?
Je dois dire combien je fus heureusement saisie il y a deux ou trois ans de voir ainsi reconnue une force de discernement dans ce que le faux sérieux révolutionnaire avait traditionnellement rejeté sous l’accusation d’esthétisme, voire de formalisme. J’ai trouvé une raison de plus de continuer à parier sur une beauté critique toujours à venir.
Annie Le Brun [1]

« Comment lit-on ? Par quoi cela commence, comment cela s’appareille-t-il ? Quels sont les gestes du lire, du voir et de l’écrire ? Comment s’organisent nos tables de montage pour mieux voir, lire, écrire ? Peut-on lire des choses qui n’ont jamais été écrites ? Que faisons-nous de nos mots, de nos phrases, lorsque nous voyons ou regardons, ou contemplons, ou sommes regardés par, ou touchés par quelque chose ? Que viennent faire nos plus anciens gestes d’enfants dans nos pratiques les plus " savantes " de la lecture ? Pourquoi les mots nous manquent-ils devant l’image et pourquoi nous faut-il écrire tout cela ? »
Georges Didi-Huberman, [2]

Jean-Marie Apostolidès, Dans la peau de Tintin

Pour avoir lu, il y a bien longtemps, l’essentiel des albums d’Hergé, je ne suis pas devenu pour autant tintinnolâtre et pas vraiment tintinnologue. Hormis l’acquisition du Haddock illustré à des fins « éducatives » [3] et celle du Marion [4], intrigué de connaître les raisons de l’intérêt de l’auteur d’Etant donné pour le reporter du Petit Vingtième, qui passe aux yeux de beaucoup pour « un jeune homme sans vraisemblance, » ce qui n’empêche pas de l’aimer, comme l’écrivait Mathieu Lindon [5].

La parution cet été d’un hors-série de Philosophie Magazine : Tintin au pays de philosophes [6], une série d’émissions de radio, Les Nouveaux chemins, liées à celles-ci [7], et last but not least, Dans la peau de Tintin, le nouvel essai de Jean-Marie Apostolides [8] auront donné lieu sinon à un rattrapage intensif, du moins à, je l’espère, une meilleure compréhension du « phénomène Tintin », et peut-être plus encore de ce qui animait son créateur, et tout ce qu’il mettait de lui-même dans la création non seulement d’un personnage, mais d’un univers de pensée.

Et dans la visite de celui-ci, j’accorderai une mention toute spéciale aux travaux de Serge Tisseron [9], psychanalyste [10], et auteur de la première thèse de médecine en bandes dessinées, dont les travaux furent pionniers en ce qui concerne la question du secret de famille, du trouble dans la généalogie, cette étoile mystérieuse, ici l’ascendance du capitaine Haddock.
Benoît Peeters, dont les travaux comptent parmi les plus érudits, notait lui aussi dans son Monde d’Hergé, la curieuse appartenance de Tintin à une famille de papier, ce qui fut sans doute l’atout qui permit sa longévité :
« Personnage neutre, Tintin remplit à merveille le rôle essentiel du héros d’une série : celui d’être un parfait support à l’identification du lecteur. Tintin est celui grâce auquel chacun, jeune ou vieux, garçon ou fille, Français ou Japonais, peut s’imaginer vivre les extraordinaires aventures que relatent les albums d’Hergé. Autour de ce personnage neutre et vide, Hergé pourra ajouter, au fil des ans, de nombreuses figures hautes en couleur, largement typées pour leur part. Ainsi la série pourra-t-elle s’enrichir, gagner en variété et en intensité, tout en conservant, grâce à Tintin, cette part de transparence qui en garantit, mieux que toute autre chose, la parfaite lisibilité. » [11]

De cette traversée d’un monde, il est aussi question avec Jean-Marie Apostolides, qui approfondit ici ses travaux antérieurs. Revisitant les identifications d’Hergé, il nous donne aussi de retraverser ses propres travaux (Le théâtre aux éditions de Minuit [12], son essai sur Guy Debord [13], son récit autobiographique, L’Audience [14]), et d’interpeller nos propres identifications et représentations : comment être de notre temps ?

Voici une première trace de lecture de ce livre terriblement documenté, riche en hypothèses et en relances de la réflexion :

« Ainsi donc, loin d’être une redite des aventures précédentes, L’Alph-Art, même à l’état d’ébauche, se présente à nous comme le miroir général, non plus du petit monde de Tintin mais du siècle d’Hergé. Avec les moyens qui sont les siens, Hergé s’interroge sur la place de son œuvre dans l’histoire culturelle du XXe siècle. Par la même occasion, il s’interroge sur le destin de son siècle. Après en avoir démonté les rouages, en avoir montré les illusions et les grandeurs, il clôt son œuvre sur une réflexion dont nous n’avons pas fini de mesurer l’ampleur. Incompréhensible si on s’en tient à une lecture de surface, le dernier album se présente comme une dernière énigme à déchiffrer. Le Tintin rêveur nous demande de prendre le relai du Tintin calculateur qu’il n’est plus et de réfléchir à sa place. Pour ceux qui auront le courage d’entrer encore dans sa peau, l’aventure de L’Alph-Art offre les éléments d’une sagesse exemplaire. » (276)

Avec Bianca Castafiore : « Ah, cet Alph-Art ! C’est un véritable retour aux sources. », sans doute convient-il de lire le brillant et convaincant chapitre 21 (263-276), qui pose cette question : « L’aventure de l’Alph-Art ne peut elle pas se lire comme un pied de nez que Georges fait à Hergé, comme les deux gamins bruxellois de jadis, qui n’hésitaient pas à frapper à la porte de leur créateur pour se plaindre de lui ? »

Retour aux sources, donc :

« Le nom d’Hergé constitue l’objectivation du Moi médiatique de Georges Remi. Ce dernier s’agrandit en devenant Hergé, en même temps qu’il affirme sa rupture avec ses origines modestes. Il veut devenir plus grand pour compenser les blessures causées par les séparations de son enfance. Si Georges Remi est replié sur lui-même, Hergé devient un double orienté vers l’espace social. Même si, dans les années à venir, de nombreuses tensions seront perceptibles entre Hergé et Georges, le premier finira par triompher de l’autre, car il porte le projet artistique dans sa dimension sociale. Ce projet constitue le prolongement de l’univers ludique qui a servi d’échappatoire, au moment du scoutisme. Le monde de Tintin se trouve donc enraciné d’une façon intrinsèque dans l’univers trouble des aventures scoutes.
Le conflit entre Hergé et son double se poursuivra pendant toute l’existence du créateur de Tintin, comme il a marqué ses débuts. Hergé ne cessera de grandir alors que Georges sera peu à peu réduit au silence [...] Mais, ce qu’Hergé ignore, au moment où il se lance dans la vie active, c’est que les aventures de Tintin se nourriront, qu’il le veuille ou non, des blessures secrètes, des rancunes et des humiliations du petit Georges. » (p. 61)

On retrouve ici le sociologue, l’analyste des métamorphoses, et l’observateur de la société du spectacle : le dernier chapitre, sur le rôle des Rodwell le confirme à l’envi.

Sur le versant psychologique, le chapitre 3 Les Blessures secrètes comporte deux documents photographiques, tableaux vivants, mettant en scène de jeunes scouts dans la figuration du martyre ; on saisit alors « que ce n’est pas seulement la discipline, la débrouillardise, et le sentiment de l’aventure que le scoutisme développe chez Georges Remi, c’est aussi un érotisme qui marquera longtemps sa vie et sa création. » Les composantes homosexuelle et sado-masochiste mises en scène ne sont pas sans préfigurer l’esthétique de Signes de piste.

Mais c’est l’étonnant trio que forment l’abbé Norbert Wallez, qui mettra le pied à l’étrier du jeune dessinateur dans son journal Le Petit Vingtième, Germaine Kieckens sa secrétaire et future épouse de Georges Remi, et ce dernier. Configuration où Jean-Marie Apostolidès, indique qu’« Hergé aime Germaine parce qu’elle est la femme du père ». Ajoutant : « De l’autre, il revit probablement les sentiments qu’il a éprouvés à l’égard de sa propre mère, et qu’il a oubliés en enfermant cette dernière dans l’image d’une malade mentale. »

On le voit, petit à petit, c’est effectivement dans la peau de Tintin que nous sommes amenés à entrer, qu’il s’agisse des affres sentimentales, des débats intérieurs, de nature amoureuse, intellectuelle ou idéologique dans lequel est décisif le poids du mentor que fut Norbert Wallez, étrange personnage qui rêvait de réunir Wallonie et Rhénanie pour dominer l’Europe, et qui convaincu de rexisme, passa les dernières années de son âge en prison à l’issue de la guerre.

Si Jean-Marie Apostolidès reconstitue ici l’itinéraire d’un créateur, et le fait apparaître moins lisse que sa créature elle-même n’apparaît (elle évolue en effet), il le fait avec délicatesse et rend son "héros" des plus humains, et en même temps donne des traits d’une histoire culturelle, qui auront très certainement pesé dans l’aventure personnelle de tel ou tel, reliant des destins particuliers à des apprentissages fondateurs pour le meilleur comme pour le pire.

À cet égard, les retrouvailles avec Tchang telles qu’elles sont narrées au chapitre 22 : Tchang arrive ! ... Tralala ! indique comment l’arrivée de Zhang Chongren (1980), fut non seulement pour Hergé « l’occasion d’entrer une dernière fois dans la peau de Tintin, elle permit aussi à Georges de fermer le cercle de sa vie », avec la complicité amicale de ceux qui auront eu à coeur de peaufiner l’image sainte.

Iconoclaste, l’essai de Jean-Marie Apostolides ? rien n’est moins sûr, la tendresse de l’essayiste perce à chaque page, mais pourfendeur de légendes abusives, certainement, et cela fait son prix, l’apprentissage du discernement ne contredisant pas l’admiration pour l’artiste et sa capacité à accompagner son temps.

Je vais relire autrement Le secret de la Licorne, et Le Trésor de Rackham le Rouge ! (« Et Yo ho ho ! Et une bouteille de rhum »)

Georges Bataille, Discussion sur le péché, édition et présentation de Michel Surya

Voilà une édition, et surtout une présentation, celles de Michel Surya [15], qui arrivent à point nommé alors que vient d’être évoqué Hergé, dont la biographie, l’oeuvre, témoignent à leur manière du siècle traversé (moeurs, horreurs, rêves).

Cela se passait en 1944 (5 mars), Paris n’était pas encore libéré, et à l’invitation de Marcel Moré, qui dirige la revue Dieu Vivant [16] sont réunis pour une « discussion sur le péché » (qu’il y a lieu de situer par rapport aux parutions en 1943 de L’Expérience intérieure [17] d’une part, de L’Être et le néant [18] d’autre part) : Arthur Adamov, Maurice Blanchot, Pierre Burgelin, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Jean Daniélou, Dominique Dubarle, Maurice de Gandillac, Jean Hyppolite, Pierre Klossowski, Michel Leiris, Jacques Madaule, Gabriel Marcel, Louis Massignon, Maurice Merleau-Ponty, Jean Paulhan, Pierre Prévost, Jean-Paul Sartre ... [19]

Marcel Moré dont le « passionnement » est vif [20], est un intime de Bataille, pas au point d’avoir participé aux expériences d’Acéphale, mais néanmoins d’être à même de témoigner de la « présence à la mort » de Georges Bataille, pour avoir assisté à l’agonie de Colette Peignot, « Laure » [21].

L’édition qui nous est proposée est organisée de la façon suivante : tout d’abord, une présentation de Michel Surya, très riche et situant les protagonistes dans la configuration intellectuelle du moment : alliés, adversaires, neutres, ou opposés à l’un comme à l’autre, ceux qui parlent (Klossowski, Gandillac, Hyppolite, Daniélou, Adamov) et ceux qui se taisent (en particulier Blanchot), Bataille étant la figure centrale, on n’hésitera pas à dire souveraine [22] ; à la suite de quoi, le texte de Georges Bataille, Le sommet et le déclin, la seconde partie de Sur Nietzsche [23], dont j’extrais :

« La longue résistance dans la tentation fait ressortir avec clarté cet aspect de la vie charnelle. Mais le même élément entre en toute sensualité. La communication, si faible soit-elle, veut une mise en jeu. Elle n’a lieu que dans la mesure où des êtres, hors d’eux-mêmes penchés, se jouent, sous une menace de déchéance. C’est pour cela que les êtres les plus purs n’ignorent pas les sentines [24] de la sensualité commune (ne peuvent, quoi qu’ils en aient, lui rester étrangers). La pureté à laquelle ils s’attachent signifie qu’une part insaisissable, infime, d’ignominie suffit à les prendre : ils pressentent, dans l’extrême aversion, ce qu’un autre épuise. Tous les hommes, à la fin, b ... pour les mêmes causes. » [25]

puis, un exposé du R. P. Jean Daniélou [26], ensuite la discussion proprement dite, enfin comme un abstract des thèses exposées par Pierre Klossowski, elle-même précédée d’un avertissement à la rédaction de la revue Dieu Vivant, Le Sommet et le déclin portant trace dans la publication du Sur Nietzsche, de la prise en compte de l’idée du néant de l’ennui, survenue au cours de la discussion.

Ainsi est restituée la cohérence du tout.

Quant à l’aboutissement de la discussion pour Bataille, elle est particulièrement figurée par cette réplique au R. P. Daniélou :

« Je me sens placé vis-à-vis de vous comme le contraire de celui qui regarde tranquillement depuis le rivage les vaisseaux qui sont démâtés. Je suis sûr que le vaisseau est démâté. Et je dois insister là-dessus. Je m’amuse bien et je regarde les gens du rivage en riant, je crois, beaucoup
plus qu’on ne peut regardant du rivage le vaisseau démâté, parce qu’en effet, malgré tout, je ne vois pas quelqu’un de si cruel qui, du rivage, pourrait apercevoir le démâté avec un rire très libre. En sombrant,
c’est autre chose, on peut s’en donner à coeur joie. »

Et je souscris aux propos de Michel Surya pour terminer :

« RÉSUMÉ : OÙ À LA FIN SE CONFIRME L’IMPRESSION D’UN THÉÂTRE.
Étrange théâtre [27] , en réalité, qui réunit de vrais prélats (qui prétendront bientôt au plus haut clergé intellectuel), d’apprentis prélats (un séminariste) et des prélats apparents ou d’emprunt, autrement dit, qui en empruntent l’air pour mieux le calomnier (Bataille), face à de rudes, impénitents et logiques athées (Sartre). Et la question est moins, dès lors, si peu qu’on lise l’échange auquel ceux-ci se prêtent d’aussi bonne foi, du péché lui-même, que des raisons pour lesquelles la hardiesse des formes que Bataille lui confère ne les fait pas fuir ; des raisons, au contraire, pour lesquelles elles les séduisent à ce point, les retiennent. [... ] » [28] (p. 46)

Envoi : Valerio Magrelli

Sophie Nauleau a perceptiblement donné à entendre d’une voix l’autre, avec les deux émissions [29] qu’elle a consacrées à Valerio Magrelli et à son traducteur Jean-Yves Masson, pour la publication de Ora serrata retinae aux éditions Cheyne. [30]
Bernard Simeone commence sa préface à sa traduction de Natures et signatures (Nature e venature) [31] par :

« Présentant en 1980 le premier recueil de Valerio Magrelli, Ora serrata retinae, Enzo Siciliano, directeur de la revue Nuovi Argomenti, affirmait que dès les premiers textes que le jeune poète romain, alors âgé de vingt-trois ans, lui avait donnés à lire, il avait eu le sentiment d’« une poésie qui recommençait depuis le début », « écrite tandis que s’estompaient la fumée et les cendres d’une bataille ». »

Tiphaine Samoyault, quant à elle, introduit à l’auteur, dans le second volume de l’anthologie 30 ans de poésie italienne [32] avec ces mots :

« L’œuvre poétique de Valerio Magrelli est tout entière sous le signe de la traduction. En latin, le titre de son premier recueil, Ora serrata retinae (Feltrinelli, 1980), évoque la lisière de la rétine où s’inscrit la perception visuelle, transport de l’objet vers le sujet qui perçoit.
Ses textes ultérieurs, et notamment les Didascalies pour la lecture d’un journal [...] [33], explorent les perturbations que le langage fait subir au monde en le « traduisant ». [...]. Les textes de Magrelli rendent compte d’un décalage qui serait comme le résultat d’une défaillance oculaire et l’écriture aura pour fonction non seulement de pointer ce défaut, mais de restituer un mouvement, une vérité phénoménale des objets (en ce sens, la démarche de Magrelli s’apparente parfois à celle de Ponge). Le « journal » dont il est question dans les Didascalies [...] représente le langage des médias en général, qui immobilise jour après jour l’histoire dans un langage indifférencié, indifférent, délivrant une terrible anamorphose du monde. L’engagement se lit dans une ironie [...] qui donne clairement à la poésie [34] une fonction éthique. » (p. 369)

I.m. Jaime Semprun, j’isole :

            Piccolo schermo

           La legge morale dentro di me
           l’antenna parabolica sopra di me.

© Ronald Klapka _ 8 octobre 2010

[1Annie Le Brun fait ici allusion dans Eclipse de liberté, article de La Quinzaine littéraire, n° 1023 (1-15 octobre 2010), à une page de Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable de René Riesel et Jaime Semprun, Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 2008.

Son article de La Quinzaine évoque la mémoire de Jean Benoît, célèbré par André Breton pour son Exécution du testament de D.A.F de Sade, et celle de Jaime Semprun, récemment décédés. De ce dernier, incontournable et sans doute pour cela des plus contournés : Défense et illustration de la novlangue française, aux éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, en 2005. Au colloque « Jacques Hassoun, de mémoire... », au cours de son intervention « Les nouvelles servitudes volontaires », Annie Le Brun, ne se fit pas faute d’évoquer les « espaces » que ladite novlangue sait si bien placer là où l’espace fait le plus défaut. Son intervention comme toutes les autres ont été filmées et sont disponibles en ligne sur le site : « La formation clinique : Travailler Penser Créer ». En cet endroit qui aura lu ou lira de Cécile Casadamont : Une provocation à écrire (Dissonances freudiennes), pourra l’y écouter-voir, et se dirigera peut-être vers cet autre texte en ligne Le chemin de Dieu, à la mémoire de Jean Clavreul, aux éditions Apolis. cf. « Y a d’l’homme ».

Et de mémoire, en ce qui concerne Jacques Hassoun : Les passions intraitables, repris en Champs-Flammarion. Je ne peux m’empêcher de citer l’ultime page : Bérénice quitte Titus pour Titus :

« Bérénice quitte Titus pour Titus (cependant que ... )
Antiochus quitte Bérénice pour Bérénice
Titus (quant à lui) quitte Bérénice pour le Sénat / pour l’ombre de Vespasien ... Titus quitte Bérénice pour Titus. C’est par lui que le masque dramatique, sinon mélodramatique, de cette tragédie racinienne advient.
Désormais, Bérénice et Antiochus, irrémédiablement séparés, poursuivront leur quête d’un objet qui se dérobe, qui s’est déjà dérobé et qui ne sera plus jamais au rendez-vous de leur attente : de sa déhiscence, il n’a laissé qu’une blessure inguérissable.
A moins que leur passion ne tombe dans les oubliettes d’un déni, tel que Marina Tsvetaieva nous en rend compte, au décours d’une longue et tumultueuse histoire d’amour.
Mon oubli total et ma méconnaissance absolue d’aujourd’hui ne sont que ta présence absolue et mon absorption totale d’hier. Autant tu étais - autant tu n’es plus. L’absolue présence à rebours. L’absolu ne peut être que l’absolu. Une pareille présence ne peut devenir qu’une telle absence. Tout - hier, rien- aujourd’hui.
Mais cela est une autre histoire, que Racine ne pouvait que nous épargner. »

Jacques Hassoun, 16 janvier 1990 ; pour Tsvetaieva : Neuf Lettres avec une dixième retenue et une onzième reçue. Clémence Hiver, 1985.

[2Georges Didi-Huberman, mai 2009. Phrase citée en exergue de « Lire-voir-écrire », entretien avec Marianne Alphant, 23 mai 2010. Cet entretien figure en ligne sur le site La formation clinique, déjà cité. D’entrée de jeu, Georges Didi-Huberman évoque très à propos, de Marianne Alphant, Petite nuit, livre pour lecteurs, s’il en est (aux éditions POL, janvier 2008).
En mai 2009, une autre intervention de Georges Didi-Huberman, au Centre pompidou, toujours en compagnie de Marianne Alphant, et avec Roger Rotmann, prenait pour objet Quand les images prennent position, ouvrage qui venait d’être publié aux éditions de Minuit.

[3Une notice précise, entre autres : Le Haddock illustré est à la fois un lexique donnant signification et emploi des termes haddockiens et un instrument culturel présentant explications historiques et étymologiques, modifications de sens, archaïsmes, régionalismes et haddockismes.
Albert Algoud, Le Haddock illustré : L’intégrale des jurons du capitaine Haddock, Casterman, 1° édition 1991.

[4« La remontée de l’ontique à l’éthique pourrait ainsi définir une caractéristique essentielle des aventures de Tintin : le monde se joue en termes de vérité et de mensonge, de fidélité et de trahison, d’amitié et de haine, de bien et de mal. Et le reste, à la fin, disparaît dans l’insignifiance. La vérité est donc faite par« Tintin le Terrible » [ "Et bien quoi ?...J’ai donc l’air si terrible ?" (L’Île noire) ]. Nous pouvons à nouveau parler et lire. De ce langage voici l’alphabet. »
Cet alphabet est déplié par Alain Bonfand, professeur à l’ENSBA de Paris, « d’amitié à yeti, en passant par mirage et Karaboudjan ».
Hergé : Tintin le Terrible ou l’alphabet des richesses, Jean-Luc Marion & Alain Bonfand, Poche-Pluriel, 2006 (1° éd. 1995)

[5Mathieu Lindon, Je t’aime, Récits critiques, 1993.

[6A lire, cette présentation de Jean-Clet Martin, sur son blog, Strass de la philosophie. A signaler les contributions de Pierre Pachet : « Comment faire échouer un anschluss », et de Pierre Michon : « La terreur et son remède », avec l’apparition de la momie de Rascar Capac s’encadrant dans la nuit et entrant dans la chambre du dormeur, prétexte à une large méditation, sur qui parti en Perceval, achève son parcours en roi blessé, en roi pêcheur. Magnifique !

[7Les Nouveaux chemins, France-Culture, du 30 août au 3 septembre, Raphaël Enthoven, reçut successivement : Serge Tisseron, Jean-Marie Apostolidès, Daniel Sibony et Benoît Peeters, Pierre Pachet et Martin Legros, et à nouveau Benoît Peeters pour Les Bijoux de la Castafiore (Les Bijoux ravis).

[8Jean-Marie Apostolidès, Dans la peau de Tintin, aux Impressions nouvelles, 2010. Le site donne un extrait, des recensions (La libre Belgique, Le Vif), et une page sur l’auteur.
Pour ce qui est de Tintin, auquel se réfère Pierre Michon, et Jean-Marie Apostolidès a déjà publié, Les Métamorphoses de Tintin, aux éditions Seghers, 1984, repris en Champs-Flammarion, le livre se concluait par : « Les métamorphoses de Tintin ne font peu-être que commencer ». Un autre essai, aux éditions Moulinsart, en 2003, Tintin et le Mythe du Surenfant : « Comme Tintin unifie dans sa personne deux aspects opposés de l’existence, l’enfance et l’âge adulte, c’est un mythe réconciliatoire. Sa fonction implicite est de ressouder entre deux générations une confiance brisée depuis la guerre 14/18. Sans l’avoir clairement décidé, Hergé a donc forgé un mythe nouveau, caractéristique du xxe siècle, auquel je donne le nom de surenfant. »

[9Serge Tisseron, Tintin chez le psychanalyste, Aubier, 1985, avec une préface de Disier Anzieu ; Tintin et les secrets de famille, même éditeur, 1992, avec l’exergue de Bruno Schulz (Les boutiques de cannelle, Denoël, 1974) : « Les artistes ne découvrent rien de nouveau. Ils apprennent seulement à comprendre de mieux en mieux le secret qui leur a été confié au début, et leur création est une exégèse continuelle, un commentaire de cet unique verset imposé. ». Ces ouvrages ont été réédités plusieurs fois.

[10Ce qui se lit par exemple ici :
« Qui est le capitaine, ici, vous ou moi ? », demande Haddock à Tintin dans les Picaros. « Vous bien sûr ", répond celui-ci. Rien n’est changé pourtant dans la relation entre les deux hommes, et c’est Tintin qui continue à mener les Aventures. Mais il est difficile de ne pas entendre dans cet échange l’écho des bouleversements qui se sont opérés pour l’auteur depuis le Tibet. Tintin, le héros tel qu’Hergé « aurait voulu être » (entendons tel qu’il crut, enfant, que ses parents souhaitaient qu’il soit), reconnaît céder la priorité aux émotions vitales du capitaine. Ce moment correspond à la fin du clivage entre Tintin, l’enfant idéal reflet des aspirations éducatives et des désirs parentaux, et Haddock, l’enfant réel porteur des sentiments infantiles avec lesquels la bonne éducation rentre si souvent en conflit. (p. 141)

[11Benoît Peeters, Le Monde d’Hergé, Casterman, 2004, p. 31, 1ère édition 1983. Lire la page bio-bibliographique de Benoît Peeters, sur le site des Impressions nouvelles.
Benoît Peeters, publie en cette rentrée chez Flammarion une biographie de Derrida, qui lui prit trois ans relatés dans un ouvrage qui l’accompagne : Trois ans avec Derrida, les carnets d’un biographe.

[12Aux éditions de Minuit Le prince sacrifié, et Le Roi-machine, qui témoignent de l’activité et de la réflexion dramaturgiques.

[13Jean-Marie Apostolidès, Les tombeaux de Guy Debord, aux éditions Exils, 1999, dans lequel un premier essai : Portrait de Guy-Ernest en jeune libertin, prend appui sur deux romans de Michèle Bernstein, Tous les chevaux du roi, et La nuit ; le second s’interroge sur ce qu’il restera de l’auteur de La Société du spectacle, et présente les oeuvres de Guy Debord, comme des vanités, à l’instar de celles des moralistes du grand siècle.

[14Publié une première fois en 2001, aux éditions Exils, ce récit a fait l’objet d’une réédition aux Impressions nouvelles en 2008. Ce récit est tout aussi passionnant pour saisir la vocation de l’auteur : dramaturge, essayiste, universitaire passionné par les cultural studies - cf. cette présentation de Jan Baetens- plongé dans un univers familial de dévotions (v. la visite à Marthe Robin - sensationnalisme de Barnum et gros bon sens de Jean Nohain, écrit-il), et qu’un événement fortuit, une audience privée par le pape Pie XII, fera sortir définitivement de ses torpeurs de « cancre mystique », avec un « Est-ce qu’il travaille bien à l’école ? », premier flash avant celui de l’écart sur la photo. pp. 138-147, dans l’édition de 2001.

[15Georges Bataille, Discussion sur le péché, présentation de Michel Surya, éditions Lignes.

[16Lire ce délectable extrait de Pierre Leyris, Pierre Leyris, Pour mémoire, Ruminations d’un petit clerc à l’usage de ses frères humains et vers légataires, José Corti, 2002.

[17L’incipit de pages extraites d’un ouvrage en cours à paraître sur le cante jondo de Georges Didi-Huberman, signalent cette parenté :
Chant profond, expérience intérieure. Souvenons-nous que le grand livre éponyme de Georges Bataille prend tout son rythme à partir d’un enchaînement de citations nietzschéennes ayant pour enjeu, dès le départ, une appréhension de l’expérience par delà toute religion, toute théologie : « Ce qui caractérise une telle expérience, qui ne procède pas d’une révélation, où rien non plus ne se révèle, sinon l’inconnu, est qu’elle n’apporte jamais rien d’apaisant . » Expérience essentielle - « la mise en question (à l’épreuve) [ ... ] de ce qu’un homme sait du fait d’être » -, mais expérience qui ne sera pas affiliée à une « mystique », cette variante peut-être inévitable de la « servitude dogmatique » .
Intitulée L’oeil de l’expérience, cette conférence fait partie de Vivre le sens, rencontres du Centre Roland Barthes, 2004, publication Seuil, Fiction & Cie, 2008. Texte et discussion (avec Francis Marmande en particulier) superbes, revenant sur les années espagnoles de Bataille, la corrida, le chant flamenco, avec à la pensée L’histoire de l’oeil et Le Bleu du ciel.

[18Sartre répondit à la publication de L’Expérience intérieure par une recension aussi violente que longue. Exemple :
On connaît ces fameux raisonnements glacés et brûlants, impuissants dans leur aigre abstraction, dont usent les passionnés, les paranoïaques : leur rigueur est déjà un défi, une menace, leur louche immobilité fait pressentir une lave tumultueuse. Tels sont les syllogismes de M. Bataille. Preuves d’orateur, de jaloux, d’avocat, de fou. […] Le reste est affaire de la psychanalyse. Qu’on ne se récrie pas : je ne pense pas ici aux méthodes grossières et suspectes de Freud, d’Adler ou de Jung ; il est d’autres psychanalyses.  » in Situations I. Essais critiques, p.  174.

[19On ne manquera pas de noter, Michel Surya le fait, l’absence de Lacan, duquel Bataille fut si proche, et que les questions de la mystique, de l’extase, de l’impossible, n’eussent pas manqué d’intéresser. D’autres encore : Queneau, Aron, Masson, Éric Weil auraient pu en être, et l’ombre de Kojève, dont Bataille sortit du cours plus d’une fois «  rompu, broyé, tué dix fois : suffoqué et cloué  ».
On remarquera aussi, entre les interlocuteurs, la fréquence du mot communication. A celui-ci Bataille donne une acception bien précise, qu’a mise en évidence Sylvain Santi dans son essai : Georges Bataille, à l’extrémité fuyante de la poésie, cf. cet aperçu.

[20« Mais, me direz-vous, qui est donc celui que vous appelez le très curieux Marcel Moré ? » C’est Jean Ristat qui répond dans un grand article des Lettres françaises, de février 2005 : Le très curieux Marcel Moré (allusion au livre Le très curieux Jules Verne.
Pour les curieux Digraphe n° 86-87, consacra sa livraison de l’automne 1998 à Marcel Moré, avec de nombreuses lettres inédites de celui-ci à son ami Michel Leiris.

[21Écrits, fragments inédits, précédé de Préface finale, par Jérôme Peignot, et suivi de Vie de Laure, par Georges Bataille, et La mort de Laure, par Marcel Moré, éditions Change errant, 1976.

[22Relativement à l’emploi de cet adjectif, je me permets de renvoyer au livre récemment édité chez Fata Morgana, dûment recensé ici.

[23L’exposé de Bataille, structuré en autant de points que les stations d’une Via crucis, comporte 14 exergues de Nietzsche (Zarathoustra, Gai savoir, et autres) ; il aborde, outre la notion de péché, celles de sacrifice, de morale, de liberté, d’autonomie, ce qui aboutit à cette formulation du chapitre 13 :

« Devant ceux qui possèdent un motif, une raison, je ne regrette rien, je n’envie personne. Je les presse au contraire de partager mon sort. Je sens ma haine des motifs et ma fragilité comme heureuses. L’extrême difficulté de ma situation est ma chance. Je m’enivre d’elle.
Mais je porte en moi, malgré moi, comme une charge explosive, une question :
QUE PEUT FAIRE EN CE MONDE UN HOMME LUCIDE ? PORTANT EN LUI UNE EXIGENCE SANS ÉGARDS. » (p. 84)

[24Sentine :
1. Vieilli ou région. (batellerie de la Loire). Bateau plat servant à transporter le sel ou à passer une rivière. (Dict. XIXe et XXe s.).
2. Lieu de la cale où s’amassent les eaux et d’où elles peuvent être retirées par les pompes (GRUSS 1978). Il faut avoir soin de nettoyer la sentine (Ac.).
P. anal. Lieu sale et humide. Les hommes impatients bondiront sur les dalles [du port]. Les beaux, fiers de leurs visages, monteront vers les ruelles où, derrière des grillages de fer luisent des yeux d’or ; les laids, dans les quartiers bas, iront aux sentines où les ivrognes honnis du Rétributeur vomissent leur trop plein de vin sur le ventre blanc des esclaves (GIONO, Eau vive, 1943, p. 47).
Réf. : Trésor de la langue française.

[25L’abstract de Pierre Klossowski (« Thèses fondamentales »), pour la revue Dieu vivant sera amputé de ce "résumé" :
Ainsi « la longue résistance dans la tentation » révèle d’autant plus que la communication « n’a lieu que dans la mesure où des êtres, hors d’eux-mêmes penchés, se jouent, sous une menace de déchéance. C’est pour cela que les êtres les plus purs n’ignorent par les sentines de la sensualité ... Ils pressentent, dans l’extrême aversion, ce qu’un autre épuise. »
Je ne crois pas artificiel de rapprocher ce point de l’émouvante réponse d’Hergé à Benoît Peeters (dernier entretien en 1982) :

« C’était à l’époque de <i<Tintin au Tibet. Je traversais alors une crise morale assez grave : j’étais marié et j’aimais quelqu’un d’autre ; la vie ne me semblait plus possible avec mon épouse mais, d’autre part, j’avais toujours mon idée un peu scoute de la parole donnée une fois pour toutes. C’était une vraie catastrophe. Je me trouvais complètement déchiré.
J’ai donc été voir à Zürich Ricklin (un des élèves de Jung) et je lui ai raconté les rêves que je faisais. C’étaient des rêves de blanc, uniquement de blanc - on retrouve quelque chose de cela dans Tintin au Tibet - et Ricklin m’a dit cette chose qui m’a beaucoup frappé : « Il faut tuer en vous le démon de la pureté ! » Pour moi, ça a été un choc ! Le démon de la pureté : c’était le renversement complet de mon système de valeurs. [...] Je me suis accroché pourtant - toujours comme un bon petit boy-scout - et j’ai terminé Tintin au Tibet malgré tout. » (Le Monde d’Hergé, op. cit., p. 212.

[26Voici un échantillon de la subtile dialectique du futur cardinal :

« Un dernier aspect du sacré est enfin qu’il est la sphère de la communication, parce qu’il dissout précisément les déterminations des êtres singuliers et qu’il permet la fusion, comme une sorte d’état liquide où il n’y a plus d’existence séparée. Que ces descriptions puissent correspondre à la fois aux états mystiques et aux états de péché, la remarque en a été faite déjà chez un Origène ou chez un Grégoire de Nysse, quand ils justifient l’emploi du mot érôs pour les états forts de la mystique. Ces états présentent en effet les caractères d’excès, de négativité, de sortie et de fusion qui définissent le sacré. Mais s’il y a en cela une ressemblance formelle qui permet de les réunir sous une même accolade, il y a par ailleurs l’opposition la plus totale. Et d’ailleurs ceci n’a rien pour nous étonner, puisque c’est cette opposition même qui, en les situant aux extrêmes, les rapproche en tant qu’extrêmes. »

Dans sa présentation, Michel Surya aura soin de pointer le problème de la "négativité sans emploi" chez Bataille. Pour ce qui est du futur cardinal, évoquant son trépas épectatique, est-ce à lui que fait allusion l’intitulé de l’introduction : Felix culpa ? voici des lignes tout aussi subtiles : « De ce point de vue, l’«  innocence  » de Daniélou n’eût sans doute pas moins enchanté Bataille que sa «  culpabilité  ». Innocence que l’Église plaida au moyen de cette phrase, qui évoque, ironiquement ou tristement, le nom du cercle qui avait présidé à cette «  discussion  », puis de la revue qui l’avait publiée, quarante ans plus tôt : c’est «  dans l’épectase de l’Apôtre qu’il est allé à la rencontre du Dieu Vivant. »

[27Dans l’introduction de son Pour Bataille, Être, chance, souveraineté (Gallimard, 2006), Bernard Sichère ne manque pas de citer la discussion, et de relever :
Un des signes, parmi d’autres, [de cette insistance et cette sûreté, cette insolence aussi, l’aisance avec laquelle il s’obstine à prononcer sa pensée en dépit de tout ce qui, autour de lui, est fait pour l’empêcher, la contrarier, la faire taire.] en est cette fameuse Conférence sur le péché sur laquelle je reviens dans les textes ici rassemblés : elle n’est pas moins révélatrice de la singularité triomphante qui est celle de Bataille que de la disposition alors de ce qu’on peut appeler la scène de la pensée française. Moment de stupeur et de magie : l’aisance en somme rieuse avec laquelle Bataille se propose en l’occurrence comme le point aveugle, littéralement, à partir duquel se retrouvent par hasard côte à côte l’existentialisme à la mode et la Sorbonne, Gallimard et la théologie catholique, Adamov et Paulhan, Hyppolite et Blanchot, Camus et Sartre, Danielou et Massignon.

[28On trouvera p. 47, pourquoi Michel Surya songe ici à Sade.

[29Ça rime à quoi, France-Culture, le samedi de 21h à 21h30.

[30Valerio Magrelli, Ora serrata retinae, traduit de l’italien (édition bilingue) et préfacé par Jean-Yves Masson, Cheyne, 2010.

[31Valerio Magrelli, Natures et signatures, Le Temps qu’il fait, 1998. Dans sa recension : L’Écriture est une mort sereine ? Jean-Baptiste Para, relève les inflexions dites par le poète lui-même :

« Dans Natures et signatures, écrit-il, j’ai voulu passer de la monoscopie à la stéréoscopie, de l’autoscopie à l’hétéroscopie, du monolithe au fragment, secouer la surface immobile du premier livre, rider son miroir, agiter l’eau de l’écriture afin que se brisent les figures qui s’y réfléchissaient. En m’assignant cette tâche, je ne faisais en réalité que seconder ce sentiment de particules en dispersion qui est le propre de la myopie et que j’avais mis en évidence dans mon premier livre alors même que je le réprimais. [ ... ] Le monde sans lunettes ressemble à un téléviseur resté en marche après la fin des programmes. Dans cet espace saturé de signaux qui fourmillent, voici qu’un visage apparaît, celui de la femme vers qui l’on se penche. »
Quinzaine Littéraire n° 751 parue le 01-12-1998.

[32Il s’agit du numéro 110 de la revue Po&sie, avec pour maître d’oeuvre Martin Rueff.

[33Quelques unes également traduites par Jean-Baptiste Para, pour le numéro d’Europe n° 875, mars 2002, L’Ardeur du poème, pp. 257-260.

[34A la question d’une possible définition du langage poétique, Valerio Magrelli répond :

« Je pense que la meilleure définition de la poésie (et du faire artistique en général) est celle qu’Alfred Jarry formulait pour la pataphysique : « science des exceptions ». Spéculation et révélation, lumière et horreur, invective et élégie, pensée et lallation infantile : tout peut devenir parole poétique, car la parole poétique est le miroir de l’infinie variété du réel. Après tant de lectures récentes et de forçages exégétiques (irrémédiablement viciés par l’intention de faire adhérer le lecteur produit à une interprétation préconçue), on tend à oublier que la « Poésie » n’est qu’une abstraction, formée par cet ensemble de concrétions textuelles que sont les poésies singulières. C’est pourquoi il faudrait rappeler que, pour nous limiter au seul vingtième siècle, aux côtés de Celan existe Palazzeschi, qu’on peut trouver Valéry Larbaud aux côtés de Michaux et que près de Yeats cohabite Sandro Penna. J’aimerais donc que l’on parvienne à jeter sur la littérature le même regard microscopique et participatif, passionné et susceptible de tout embrasser que Gerald Manley Hopkins pose sur la nature dans son Pied beauty (Beauté piolée) ». J’ajoute, pour ce dernier : OUI.