17/03/09 — Sophie Loizeau, Sylvie Fabre G., Claude Louis-Combet, Lya Tourn, Joachim Gasquet, Danièle Huillet, Jean-Marie Straub
— Che cercate ?
— Emozioni, — Lisa disse.
« Est-ce beau ? Est-ce vivant ?... Et en même temps, est-ce transfiguré, triomphant, miraculeux, dans un monde autre et cependant tout réel. Le miracle y est, l’eau changée en vin, le monde changé en peinture. On nage dans la vérité de la peinture. On est saoul. On est heureux. Moi, c’est comme un vent de couleurs qui m’emporte, une musique que je reçois au visage, tout mon métier qui coule dans le sang. »
Danièle Huillet et Jean-Marie Straub font la couverture du dernier numéro de la revue Fusées. On aura peut-être reconnu un passage de leur Cézanne, tel que repris de « Une visite au Louvre » de Joachim Gasquet. Benoît Turquety assure à ce propos que « désirant citer un plan de Renoir dans Cézanne (1989), ils incluent finalement toute la bobine (soit plus de sept minutes), car (continuité de la bande sonore, intrications du découpage) il eût été impensable de couper dans cette matière-là, si dense. »
Ajoutant que « la structure d’ensemble, l’architecture, marquent ou travaillent trop profondément tous ces plans pour qu’une extraction d’un ne soit perte à peu près complète » et précisant que « si l’œuvre des cinéastes a à voir avec la poésie, ce n’est pas seulement parce que s’y disent parfois des textes poétiques, mais parce qu’elle est fondée sur une haute conscience de ce principe de cohésion – opposition tendue de blocs et de fractures (brisures, césures, lacunes), de vitesses et de trébuchements. »
Voici donc une page, un plan, de La Femme lit de Sophie Loizeau, aux éditions Flammarion :
« à une furieuse envie de chier l’apparente
petite angoisse issue de retenir, tremblant délice, mélange. fébrilité
et du cœur organe, c’est physiquement le désir de chier de désirer
— écrire
rétention de l’écriture. n’est propice à elle que le temps dans sa
durée, le lieu favorable. mais je note en attendant —
je ne suis pas littéralement perdue je pense à la biche capable de
bloquer sa gestation en période de famine, de grands froids
l’instase vient de la merveille corps. l’amorce : je caresse ma
structure (variabilité des épaisseurs) des émois j’ai toujours aimé
l’impression des côtes, le moment de la cage thoracique le poignant
avec elle son squelette affleurant
esquisse du geste de la toucher, le drap durement l’accuse
en sainte Thérèse bien qu’à elle inégale si je contemple
sa face à la mienne exquise
dans le secret. ma joie mystique hors de dieu l’influencent les lieux
où je vis réciproquement c’est réanimant en moi cette radiation que
j’écris. » (p. 83)
Cette page est prise à Le Mythe de soi qui « au désenchantement […] affirme tout le contraire », une manière d’art poétique en guise de substantielle postface au recueil La Femme lit structuré en deux grandes parties : diane, la vie intérieure, la seconde elle-même divisée en trois : la femme lit, ténèbre active, le don d’instase.
Soit le mythe de Diane revisité (exit l’épieur), tandis qu’instase contracte/compacte l’inscape d’Hopkins et l’extase.
Les lecteurs des recueils précédents, Le corps saisonnier, La nue-bête, Environs du bouc retrouveront l’affirmation d’une écriture qui évoque ici ses filiations (renvoi discret par des astérisques aux notes de fin d’ouvrage : Jouve, Maupassant, Valéry, Bosco tout spécialement, Wittkop, Lovecraft, Ghil) pour marquer plus encore sa différence, troublant en particulier la grammaire quant au lexique du corps : toute son corps, ou les tournures impersonnelles : elle y a.
Organique, pleinement sexuée, la poésie de Sophie Loizeau est également située, sont inscrits dans chaque section les lieux d’écriture, par exemple : St Hilaire de Lavit / Arnouville / Montagne Noire / Orange / La Faye aux Arrêts, ainsi que les dates (2004 à 2008), « ce marquage des lieux du temps où j’ai souffert où j’ai joui » ou l’écriture comme poursuite de l’activité désirante par d’autres moyens (Richard Blin).
De manière contrastive, l’écriture de Corps subtil de Sylvie Fabre G. à L’Escampette éditions, publié à peu près dans le même temps, se fonde sur une cohésion toute autre :
« Les mots t’ont monté à la bouche, tu voulais leur nudité. Toujours trop de bogue, la langue, chair et esprit, demande l’écale. Celle de l’amour a corps subtil, elle traverse le sensible et s’arrête dans l’éternité d’une parole que nous n’en finissons pas d’inventer. » (p. 64)
On est très loin de :
« Le céleste dans les copulations*
l’odeur de création qui sourd des amants les excite, composite
du cul, de chacun avec ses sueurs (et l’affolement de la petite veine
au front à l’aile du pied — le très poignant manifeste » (La Femme lit, p. 41)
Le livre de Sylvie Fabre G. reçoit de Claude Louis-Combet une préface intitulée Pays premier, titre emprunté à cette page :
« Comment atteindre qui n’est jamais là où tu es ? Emmêlée dans l’écheveau compliqué des désirs, tu pourrais donner ton sang, t’ouvrir les veines pour la preuve, cela serait-il suffisant pour obtenir miséricorde ?
Nous sommes dans la séparation, pays premier.
L’amant reste un fantôme familier, ses gestes t’attirent, ses mots te trahissent. Tu visites, grand bien te fasse, tous les lieux-dits de la passion et trop souvent l’hémorragie te taraude.
Il ne s’agit pas de chercher le remède à l’amour mais de faire bon usage de la douleur. Rose des tombes notre corps, temple têtu. » (p. 51)
Le préfacier précise que « les poèmes tissés en substance de Corps subtil ne sont ni un jeu de l’esprit ni un exercice d’esthétique ni un miroitement de complaisance narcissique. Ils tirent leur vérité d’une expérience radicale, très proche de la destruction. » et que « d’aucuns regarderons la voie [ouverte] comme le tracé d’une possible sublimation. »
« Deux mondes, et moi je viens de l’autre », aurait dit Cristina Campo.
Lisant le remarquable « La psychanalyse dans les règles de l’art » de Lya Tourn, aux éditions du Seuil, qui souligne : « La « science littéraire » a été placée par Freud parmi les disciplines indispensables à l’enseignement psychanalytique. Mais, depuis ses débuts, c’est avec l’ensemble des arts que la psychanalyse entretient des relations privilégiées. », j’ai été vivement intéressé par tout ce qui relève de la dimension musicale : Jeanne Moreau, Nathalie Dessay, Murray Perahia, Glenn Gould, Farinelli et surtout le ténor Mario Podesta et son « identification mimétique » qui lui permettait de faire illusion, en prenant facticement et temporairement la « forme » vocale « Caruso ». Mis ainsi en alerte, j’ai relevé sans la moindre légèreté, à la page où sont précisément évoqués les lapsus, ce beau lapsus calami :
« Avec cette analyse, j’ai l’impression d’être à la fois plus vulnérable et plus sûre de moi. C’est curieux. Je sens pourtant que j’ai lâché du leste… »
Demain elle fera jour.
Notes, compléments, liens.
En exergue, Francesco Biamonti, Il silenzio (Einaudi) , en français Le silence, traduction Carole Walter, aux éditions Verdier.
« —Qu’est-ce que vous recherchez ? —Des émotions, dit Lisa. »
Conversations avec Cézanne, éditions Macula, 1978, Emile Bernard, Joachim Gasquet, Maurice Denis, Karl-Ernst Osthaus, R .P. Rivière,et J.F. Schnerb, Ambroise Vollard etc.
Danièle Huillet et Jean-Marie Straub Une visite au Louvre, 2003, 43 minutes 53 secondes, couleur, Tiré de Ce qu’il m’a dit..., dialogue entre Paul Cézanne et Joachim Gasquet, cf. article d’Hélène Raymond sur Fluctuat.
Benoît Turquety, Fusées numéro 15, dossier Jean-Marie Straub, L’acte de voir, la cadence, l’idée, mars 2009.
Sophie Loizeau, La femme lit, éditions Flammarion, 2009 ; pour les autres ouvrages voir le site des éditionsl’Act Mem.
*Le céleste dans les copulations : Pierre Jean Jouve, Matière céleste.
Sylvie Fabre G., corps subtil, L’escampette éditions, 2009.
La psychanalyse dans les règles de l’art de Lya Tourn, aux éditions du Seuil, ou comment faire rigoureux tout en étant accessible.
Jeunes parents, jeunes grands-parents ! Lya Tourn est co-auteur avec Marie Claire Bruley, de Berceuses, Berceuses et paroles pour appeler le sommeil, et d’Enfantines : jouer, parler avec le bébé ; les illustrations de ces livres étant de Philippe Dumas.
Aux éditions Campagne Première elle a fait paraître en 2003 : Chemins de l’exil : vers une identité ouverte , un article, accessible en ligne, Freud exilé, paru en 2002 dans la revue Topique en donnera idée.