09/11/05 — Jean-Luc Nancy, Bertrand Leclair, Ginette Michaud, Christian Prigent, Jean Rustin, Claude Louis-Combet, Antonio Tabucchi
L’âme est un noeud rythmique
Stéphane Mallarmé
ni subit accès de dévouement selon une expression "consacrée", ni démangeaison métaphysique, voire profession mystique, [1] juste une friction littéraire et philosophique entre : Le bonheur d’avoir une âme (Bertrand Leclair) ; 58 indices sur le corps et Extension de l’âme de Jean-Luc Nancy, suivi de Appendice de Ginette Michaud, L’Âme de Christian Prigent et l’oeuvre de Jean Rustin
l’homme descendu clown
Au chapitre L’homme descendu clown, qu’il consacre à Samuel Beckett [2], dans son recueil d’essais Une erreur de la nature, après avoir affirmé : On ne le dira jamais assez : il y a chez Beckett une formidable gaieté.[...], une gaieté arrachée au noir, une énergie qui allège, dans le mouvement même de l’invention des phrases [3], le poids de malheur que disent ces phrases [...], Christian Prigent énonce ceci :
« Ce serait l’occasion de récupérer un beau mot (de le dépoussiérer de son usure bigote) : peut-être faudrait-il l’appeler âme (au sens que Baudelaire donne à ce terme) cette ébriété sacrificielle, cette distance de désespoir et d’auto-ironie, qui nous anime, nous désenglue de la langue cadavéreuse et nous soulage par flashes de cette dépression existentielle dont la narration pourtant reconduit à chaque fois l’insistance. Cette âme nous détache de la contemplation morose (hypocondriaque) de la stupidité des choses, de l’accablante in-signifiance du monde, du désarroi de l’être. Elle ouvre un temps de répit, un espace ou souffler un peu. »
Avec Beckett, on voit que l’esprit qui nie est l’esprit qui rit, que ce qui rit, c’est que l’âme rit, voire qu’il n’est d’âme que du rire [4].
Voilà donc qui est dit et bien, et on s’étonnera donc pas de la parution quelques années plus tard d’un recueil de poèmes “baptisé” L’Âme [5] :
« l’âme tu commences fort dit-/ elle et moi : le corps j’ai vu/ que c’était foutu alors/ l’âme on ne sait jamais ? »
Si le renard est un mot qui ruse, l’âme est un mot qui ouvre [6]...
Nous y reviendrons.
le bonheur d’avoir une âme
Etonnement, mais nullement inquiétude toutefois [7], de découvrir ce titre de Bertrand Leclair, le bonheur d’avoir une âme qui pourrait fleurer bon son eau de rose ou son catéchisme à l’ancienne et ses questions-réponses du plus pur style manuel du grenadier-voltigeur.
Une collection d’ouvrages chez l’éditrice Maren Sell comporte dans son titre le bonheur de, l’expression survient effectivement dans le cours du livre sous la plume du chroniqueur de La Quinzaine Littéraire, avec une acception bien précise comme en témoigne ce qui suit :
« Le bonheur d’avoir une âme ? Quelle drôle d’expression tout de même. Avoir une âme est douloureux. avoir une âme pèse. Avoir une âme, cette prise trop facile à la technologie du pouvoir sur les corps et les individus comme l’écrivait Foucault, cette présence "réelle, et incorporelle, (qui) n’est point substance", qui "est l’élément où s’articulent les effets d’un certain type de pouvoir et la référence d’un savoir, l’engrenage par lequelles relations de pouvoir donent lieu à un savoir possible, et le savoir reconduit et renforce les effets de pouvoir", avoir une âme nous pèse en la langue et dans le corps que si souvent elle interdit ou qu’elle enferme. »
On l’aura bien compris, on est ici en plein territoire philosophique, tout particulièrement, celui du dernier Foucault, celui du souci-de soi, philosophe spirituel, ira jusqu’à dire Robert Redeker [8] , Nietzsche est aussi très présent, ainsi que Proust et Artaud dans les aspects les plus réflexifs de leur oeuvre. On est donc bien loin de la production magazinière/télévisuelle ou de la presse placebobo.
58 indices sur le corps & extension de l’âme + appendice
« Lorsque je récite un poème, ce n’est pas pour être applaudi mais pour sentir des corps d’hommes et de femmes, je dis des corps, trembler et virer à l’unisson du mien, virer comme on vire, de l’obtuse contemplation du boudha assis, cuisses installées et sexe gratuit à l’âme, c’est à dire à la matérialisation corporelle et réelle d’un être intégral de poésie. »
Lettre de Rodez à Henri Parisot, 6 octobre 1945 [9]
Quant à Jean-Luc Nancy, on sait qu’invité à s’exprimer sur Le Poids du Corps, il donne à l’Ecole Régionale des Beaux Arts du Mans, en avril 1994, une conférence intitulée De l’âme.
On regrettera que questions et réponses suscitées par celles-ci n’aient été publiées que dans les actes de ces rencontres et ne figurent pas avec la conférence "annexée" à Corpus, chez Métailié (une réédition est annoncée).
On n’insistera pas sur la pensée de l’écotechnie suscitée par la venue de L’Intrus. On pointera que tout récemment une conférence dansée a été donnée avec la chorégraphe Mathilde Monnier, d’où la publication d’Allitérations dont la quatrième de couverture relève :
« La question directrice, bien que discrète, voire secrète, serait ceci : pourquoi la danse semble-t-elle connaître aujourd’hui un temps d’invention particulièrement intense ? Quoi donc, dans l’époque, appelle à cette pensée en corps, à ce corps éperdu de vérité ?
C’est tout sauf un supplément d’âme : c’est l’âme même, c’est-à-dire le corps rythmique, transi, attentif et abandonné, pensif. »
Aux éditions Nota Bene (Québec), comme une reprise de tous ces thèmes nous est donnée avec 58 indices sur le corps et Extension de l’âme, suivi de Appendice par Ginette Michaud.
Le premier texte de Jean-Luc Nancy est comme une suite de propos aphoristiques, définitionnels, parfois très courts le premier pourrait nous faire songer à Tarkos :
« Le corps est matériel. Il est dense. Il est impénétrable. Si on le pénètre, on le disloque, on le troue, on le déchire.
Avec les reprises pour les indices suivants :
Le corps est matériel etc.
Un corps est corpulent, même quand il est maigre. »
Mais un peu plus loin : « Un corps est immatériel. C’est un dessin, c’est un contour, c’est une idée. »
Et aussi :
« Le corps est simplement une âme. Une âme ridée, grasse ou sèche, poilue ou calleuse, rêche, souple, craquante, gracieuse, flatulente, irisée, nacrée, peinturlurée, couverte d’organdi ou camouflée en kaki, multicolore, couverte de cambouis, de plaies, de verrues. C’est une âme en accordéon, en trompette, en ventre de viole. »
Quant à pourquoi 58 indices ? Parce que 5+8 = 13 = les membres du corps ... ou bien parce que 5+8 = 13 = 1 & 3 1 pour l’unité, 3 pour l’incessante transformation ...ou bien encore : l’arcane XIII du tarot désigne la mort etc.
Et c’est ainsi que surgit un 59 ° indice : l« e corps est sexué. [...] Chacune de ses zones, jouissant pour soi-même, émet au dehors le même éclat : cela s’appelle une âme. »
Ce qui amène tout "naturellement" à Extension de l’âme, texte que d’aucuns auront pu lire dans Po&sie n°99, 2002, qui commence par un passage d’une Lettre de Descartes à Elisabeth (de Bohême) du 28 juin 1643 au sujet de la connaissance de l’union de l’âme et du corps
S’ensuit la cogitatio, que j’éprouve, très concrète :
« Nous approchons mieux ainsi de l’évidence que nous en é-prouvons. C’est une connaissance qui ne se distingue pas de son objet et qui pour cela même ne se distingue pas du tout, mais s’in-distingue à la mesure de son é-preuve. Elle est indistinctement émotive et pensive. Lorsque je me connais ainsi, je suis remué par ma connaissance autant que j’étends celle-ci aux choses où elle est investie, comme les battements de mon coeur, l’attache d’un ongle ou bien la teinte grise et la surface granulée de la surface sur laquelle ma main se pose. Je me connais battement, ongle, teinte et surface. [...] »
Plus loin :
« Psyché est étendue [10], n’en sait rien, écrit Freud dans une note posthume. En tant qu’étendue, Pyché ne se sait pas étendue. L’étendue en général n’est pas à savoir : elle est à mouvoir, à é-mouvoir. Mais dans le s’émouvoir ou s’exposer de l’union, sur un mode inextricablement un et double, deux en un et un en deux, se sait le non-savoir de soi, qui fait le soi, qui émeut le sens, et qui fait du sens - jusqu’au sens du savoir lui-même - une émotion exposée, de l’âme à tout le corps et jusqu’au bout du monde. »
Je souligne. Je souligne également que de manière très concrète est exposé à Montréal le travail de Jean-Luc Nancy avec ses amis (ci-contre un portrait de François Martin, fidèle à l’oeuvre depuis une trentaine d’années (et réciproquement).
C’est TROP. Par le choix de cet intitulé, Jean-Luc Nancy donne à son exposition ce mot démesuré auquel se rapporte une pensée de l’art toute en débordements et en excès ; c’est cette ouverture en tous sens que l’exposition mettra en œuvre. Elle regroupe des travaux, des œuvres et des objets qui témoignent de la richesse des points de vue de Jean-Luc Nancy sur les grandes questions du sens, du corps, de la communauté et de la responsabilité.
Le vernissage sera l’occasion d’un double lancement :
– la dernière livraison de Spirale (no 204, sept.-oct. 2005), qui propose un dossier intitulé « Jean-Luc Nancy, À bords perdus », préparé par Ginette Michaud et Georges Leroux
– le livre dont nous parlons.
Mais il est temps d’en arriver à l’Appendice de Ginette Michaud [11], il relève davantage de la glande pinéale que de l’appendix !
Tout en reprenant les 58 indices +1, Ginette Michaud se livre à des excursus sur L’"Il y a " du rapport sexuel [12] , Corpus, ou encore Fortino Samano [13], croise les pensées de Nancy et de Derrida (on s’en serait un peu douté)à propos de « Tête-à-tête » dans Camilla Adami.
D’évoquer aussi le n° 16, des Cahiers Intempestifs, revue rare [14], s’il en est, et le texte « Le premier dernier homme »
De cet appendice, je relève en quatrième de couverture :
« On trouve ensuite un appendice, coda, languette ou rostelle, un morceau plus détaché que d’autres, incorporé ou bien exposant l’incapacité du corps à incorporer et à s’incorporer : son excitation, son être-hors-de-soi, la choséité de ces quelques choses qui semblent pour un temps, fugitivement quelqu’un, quelqu’une dont pour finir l’unité se perdra dans une excroissance toujours impropre, voire malpropre, et dont l’excès insiste pourtant à donner la vraie forme d’une âme. »
Morceau détaché ? voire ! Si la toute fin du livre occupe autant cette quatrième de couverture, c’est me semble-t-il un point spécialement sensible du dialogue entre Ginette Michaud et Jean-Luc Nancy.
A lire attentivement le courriel qui clôt le livre.
« Si l’âme est un corps, est un sexe, si elle est langage qui s’entremanche, se pénètre, s’entr’affecte, alors écrire est difficile, ne va pas de soi. »
Sur la question du propre et du malpropre, l’article de Jean-Luc Steinmetz intitulé La preuve par l’âme [16] sur le livre de Christian Prigent, s’avère d’une extrême finesse, semblable "à la parole vivante et opérante, et plus pénétrante qu’aucune épée à deux tranchants, et atteignant jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles , qui discerne les pensées et les intentions du coeur" [17], il ne se prive d’ailleurs pas de jouer sur l’âme et lame pour débusquer cet "infra-mince", qui est sans doute la liberté du verbe à laquelle il fait allusion à la fin de son article à la hauteur de son intraitable et "incontenable" compagnon :
« Ce livre, nous le garderons par devers nous ; nous le compulserons (dans la compulsion qui passe là), pour savoir ce que valent la rage et la démollition [18], l’intelligente liante et délirante, tandis que tient, fuyante, fusible autant que manifeste, cette âme dont le souffle ne sert pas à gonfler la baudruche de fantômes, mais à donner aux mots, même disloqués, la liberté du verbe, la teneur de l’esprit - souffle lui aussi dont L’Âme produit malgré tout la preuve la plus convaincante. »
Jean Rustin : Ce qui reste de l’homme
Angelus Silesius, [19]
On peut dans les tableaux de Jean Rustin, « lire des gueules mal dégrossies, à peine extirpées de la torpeur hypnotique où le désir les tient, depuis toujours, en même parenté, montrant plus d’obstination que de férocité dans leurs rapports »
J’aime à y voir aussi ce que Claude Louis-Combet décrit ainsi :
« L’humain est brut sans être brutal - et sa brutalité naturelle se dévoile plus raffinée qu’on ne l’aurait cru. Elle va jusqu’à esquisser des jeux et des gestes d’une parfaite tendresse. [...] Il y a des orgasmes terribles - seule émotion qui force la bouche à s’ouvrir : seule issue, seul exutoire à l’incurable épaisseur de l’être, seule clameur que l’on puisse entendre dans cette peinture qui a exclu tout bavardage jusqu’à celui même de la profération.
L’oeuvre de Jean Rustin n’est pas une entreprise de séduction, [...]. Elle a le courage de sa vision [...] Le tragique n’a pas besoin de drames pour s’exprimer. Il s’impose aussitôt que l’homme touche, dans l’imminence, à la reconnaissance sans illusion de sa nature et de son destin. »
Bref, et si on me le permet, y voir l’âme, dans sa plus simple et plus pure expression, dans son démunissement, sa desnudez dirait un Jean de la Croix. Rien d’autre que nous-même comme dit la bien nommée soeur Wendy Beckett !
Encore, faut-il regarder avec les yeux ... de l’âme, de toute sa déprise pour déjouer toute méprise [20].
L’âme de la littérature : une lettre verticale ?
« la peau est l’horizon du double
à toute mer il faut
un envers de ciel
dans la peau
est enveloppé le même dehors
la profondeur tombe en l’air
à double-perdu » [21]
Au terme de ce parcours, éminemment subjectif, nous voudrions réunir les deux ouvrages récents que nous a donnés Bertrand Leclair : Verticalités de la littérature et Le bonheur d’avoir une âme.
Un substantif scande ce dernier livre : l’insu.
La charade lacanienne - dont on propose ici un détricotage parmi d’autres - sur l’inconscient, l’insu : l’Une bévue s’aile à Mourre [22], peut-elle nous faire penser aux petites ailes des âmes, des cupidons, le Mourre par exemple le nez de Cléopâtre et la "bévue" de César ? bref histoire du désir et désir d’une histoire (cf. Ungaretti et sa défintion de la poésie : une belle biographie) c’est à dire le désir d’inscription.
Sans plus "équivoquer", disons que ce bonheur d’avoir une âme, qui fait déambuler le lecteur dans les oeuvres de Proust, Artaud, Nietzsche et Foucault, rejoint bien la critique de témoignage mise en valeur par Verticalités de la littérature, ce qui fait oeuvre atteste de ce souffle qui anime autant celle d’un Nancy que d’un Rustin ou d’un Prigent et qui emporte à chaque fois plus loin, là où se fait ressentir l’articulation de l’énoncé et de l’énonciation, là où passe l’âme /lame : ce paragraphe des pages 13 et 14 en dit l’essentiel (et Leclair enracine sa réflexion dans des expériences extrêmement concrètes) :
« Je crois, aujourd’hui, que c’était justement l’insu, ce qui nous anime à notre insu, qui ne voulait pas se laisser couvrir plus avant, et transpirait cet été-là dans chacun de mes gestes, menaçant la glaise des convenances. Inciter à rompre, à trancher du lien, sectionner, avant de l’être du dedans, séparé, coupé (de nous-mêmes en tant que corps sexué, de notre entièreté animale, de la matérialité du monde aussi bien), sans doute est-ce l’une des vocations paradoxales de l’âme, si l’on entend ce qui peut s’aiguiser en elle, lame, sur la pierre de notre ignorance ; ce qui en elle peut s’aiguiser et, à force d’être nié, étouffé sous les cris du monde, se retourner contre nous à notre insu précisément. L’âme, qui nous mobilise à travers les émotions, peut nous troubler jusqu’à nous laminer, certains jours, lorsque nous essayons d’exister parmi les autres sans renoncer à être ce « nous-mêmes » dont nous savons si mal ce qu’il désigne : nous laminer à notre corps défendant (jusqu’à la rougeur ou aux palpitations, au feu de la honte ou au tremblement des membres), nous laminer d’autant plus qu’en retour et à l’injonction du monde nous nous façonnons un visage aux arêtes parfois aussi tranchantes et tranchées qu’un masque (on devient une personne, une « grande personne » disent les enfants, qui ne savent pas que « personne » vient à l’origine d’un mot étrusque désignant le masque de théâtre et en garde la trace d’un néant, lorsque « personne ne répond » plus de rien). Un masque jovial ou maussade, articulé peut-être à une personnalité donnée sur la scène sociale, mais un masque peu à peu rigidifié comme peut l’être la mer prise dans les glaces, coupé de route mobilité intérieure, imperméable à ce qui transpire en chacun de l’insu de tous : un masque supposé faire bonne figure jusque dans la relation intime qu’on persiste à dire amoureuse. »
Il ne me semble guère inconvenant de voir dans la proposition de Bertrand Leclair comme une sorte d’exercice spirituel, avec cette modulation que la "colonne d’air" qui anime les êtres est ici arrachée à la trancendance pour être rendue à l’immanence de la langue ; ce en quoi me semble-t-il se manifeste une proximité avec les entreprises de Prigent et sa définition de l’âme comme nom de la distance au monde et désir de la combler (et d’évoquer “l’effort au style” de Mallarmé [23] ou la volonté de Jean-Luc Nancy « d’ouvrir la simple raison à l’illimitation qui fait sa vérité » (La Déclosion) ou encore d’apprendre à regarder la peinture d’un Jean Rustin, par exemple (sans nippes ni masques dirait un Bergounioux, « de l’enfant nu et innocent perdu dans la grande temporalité »).
Une ou plusieurs âmes ?
Pour relancer l’interrogation, nous permettons de renvoyer à ce passage où le doutor Pereira apprend du docteur Cardoso l’existence d’une confédération des âmes, et d’un "moi hégémonique" :
« Je voudrais vous poser une question, dit le docteur Cardoso, vous connaissez les médecins philosophes ? Non, admit Pereira, je ne les connais pas, qui sont ils ? Les principaux sont Théodule Ribot et Pierre Janet, dit le docteur Cardoso, ce sont leurs textes que j’ai étudiés à Paris, ils sont médecins et psychologues, mais aussi philosophes, ils soutiennent une théorie qui me paraît intéressante, celle de la confédération des âmes. Parlez moi de cette théorie, dit Pereira. Eh bien, dit le docteur Cardoso, croire qu’on est “ un ” et qu’on se suffit à soi même, détaché de l’incommensurable pluralité des propres moi, représente l’illusion, au demeurant ingénue, d’une âme unique de tradition chrétienne ; le docteur Ribot et le docteur Janet voient la personnalité comme la confédération de plusieurs âmes, car nous avons plusieurs âmes en nous, n’est ce pas, une confédération qui se place sous le contrôle d’un moi hégémonique. Le docteur marqua une petite pause, puis il poursuivit : ce qu’on appelle la norme, ou l’être, ou la normalité, n’est qu’un résultat, non un préalable, et dépend du contrôle d’un moi hégémonique qui s’est imposé dans la confédération de nos âmes ; dans le cas où un autre moi apparaît, plus fort et plus puissant, alors ce moi renverse le moi hégémonique et prend sa place, étant amené à diriger la cohorte des âmes, ou mieux la confédération, et sa domination se maintient jusqu’à ce qu’il soit renversé à son tour par un autre moi hégémonique, suite à une attaque directe ou après une patiente érosion. Peut être y a t il, après une patiente érosion, un moi hégémonique qui est en train de prendre la tête de la confédération de vos âmes, doutor Pereira, conclut le docteur Cardoso, et vous ne pouvez rien y faire, vous ne pouvez qu’éventuellement y aider. »
Cette bribe de discussion à resituer dans les pages offertes au téléchargement ! Mais il n’est pas interdit de s’offrir quelques moments pour la lecture de ce Pereira sostiene, c’est à dire Pereira prétend d’Antonio Tabucchi [24].
sans vague(s) à l’âme ...
Je ne sais si tout cela te convainc, chère lectrice, cher lecteur, mais si ces âmes sont et que tu t’y accroches, n’oublie pas toutefois que ces âmes ouvrent Toi ...
[1] Cf. Lacan, Encore, p. 71
"Ces jaculations mystiques, ce n’est ni du bavardage, ni du verbiage, c’est en somme ce qu’on peut lire de mieux, nous n’en sommes pas là".
Il est clair que nous devrions en être un peu plus loin que ce cher bon doutor, après des parutions comme celles de :
– L’Autre du désir et le Dieu de la foi, une lecture de Thérèse d’Avila, Seuil, 1989, de Denis Vasse ; s.j. , qui fut, rappelons-le vice président de l’Ecole freudienne, cf. La grande Menace.
– Thérèse d’Avila, Femme d’écriture et de pouvoir, de Dominique de Courcelles, Jérôme Millon, 1993
– et de Mercedes Allendesalazar :
– Thérèse d’Avila, l’image au féminin, Seuil, 2002
– Thérèse d’Avila : deuxième autobiographie, Berg international, 2001
– présentation des Méditations après la communion chez Jérôme Millon
En effet la mystique de la Madre est tout sauf désincarnée !
De Jean-Luc Nancy, qui publia en 1972, Le Titre de la Lettre avec Philippe Lacoue-Labarthe, il est bon de retrouver dans L’Animal, n° 14/15, été 2003, ce texte de 1982 : Das unendliche Ende der Psychoanalyse , entre autres, à propos du « petit » du « petit (a) » : Jusqu’où Lacan voulut-il en secret ainsi désigner Le petit que Bataille a repris de la langue cryptée des bordels ?
[2] Et il a fallu une Sister Wendy Beckett, pour commenter ainsi les personnages de Jean Rustin : Rien d’autre que nous même
[3] Voir ici l’exergue de l’article de Françoise Savine sur l’écriture et l’invention : une résonance de rêve !
[4] Une erreur de la nature, pp 134-135. Une note de la page 138, rappelle que Beckett, dans Film, a fait tourner Buster Keaton, "l’archétype du pire converti en rire".
[5] POL, 2000
[6] Thierry Guichard, recension dans le bien nommé Matricule des anges
[7] Le lecteur de Verticalités de la littérature sera heureux d’y trouver en quelque sorte une extension, ce qui en explicite le souffle (et la nécessité d’une littérature et d’une critique de grand vent)
[8] On reconnaîtra volontiers la parrhesia nécessaire à la critique de témoignage : cf. p. 122 Comment en effet arrêter un jugement si l’on est persuadé que ce qui compte dans un texte, ce n’est assurément pas la qualité technique de son style, mais ce que désormais je m’autorise à nommer son âme. Et un peu plus loin, c’est à cette condition que le texte contemporain quitte le registre culturel [...]. C’est à cette condition que le livre , peut-être, poura dé-visager son lecteur avec la puissance d’un tout petit enfant, le rendre à lui-même, au risque de lui-même - s’il veut le prendre, ce risque, évidemment.
[9] Cité par Evelyne Grossman, dans la préface de Pour en finir avec le jugement de Dieu ; Poésie/Gallimard, 2003
[10] Eros veille - remuement inécrit
[11] direction du Cahier L’Herne Jacques Derrida, de la revue Etudes françaises : Derrida lecteur, du numéro de Spirales sur Jean-Luc Nancy
[12] Cf. Est-on si loin dans cete extension de l’âme, de L’il y a du rapport sexuel, où il est affirmé qu’il y a du rapport sexuel en puissance partout où se trouve en jeu du rapport ?
Il étend l’âme sur le corps, le corps est sous l’âme, elle sent enfin grâce à lui sa forme exacte.
[13] La poésie, comme peau de la langue, c’est que sa dé-finition (infinition plutôt) laisse entrevoir : contre un certain corps de langue trop bien appris, trop bien connu, l’éclat soudain "d’un peu de peau" qui se découvre.
[14] Le numéro 18, donne un autre texte de Jean-Luc Nancy intéressant notre problématique : Rives, bords, limites (de la singularité)
[15] Prigent, corps écrivant, Inventaire/invention
[16] Jean-Luc Steinmetz, universitaire, essayiste et poète, a été co-fondateur de TXT ; son article figure dans le numéro 4/5 de la revue il particolare consacré à Christian Prigent
[17] Hébreux 4:12
[18] Je ne sais s’il s’agit d’un subtil mot-valise, mais il vaut d’être gardé
[19] Le pélerin chérubinique
[20] Sur le site de la fondation Rustin, on trouvera de nombreuses et riches contributions critiques : Pascal Quignard, Philippe Dagen parmi beaucoup d’autres
[21] Bernard, Noël, lettre verticale, à Colette, Givre,1977
[22] (eu)phoniquement, l’Unbewüsst (l’inconscient), c’est l’amour ! et plus précisément L’insu que sait de l’une-bevue s’aile la mourre. (autre jeu) et le lien du séminaire.
[23] Voir Ne me faites pas dire ce que je n’écris pas, éditions Cadex, p. 148 et suivantes, cf. « Si on n’est pas prêt à courir ce risque de voir ne plus tenir et de sentir passer (mourir) sous le vent du souffle expressif, non pas le monde mais les représentations que nous nous en faisons, qui nous lient à lui et nous lient entre nous, si on ne veut pas tenter cette chance de respirer un peu, parfois (dans l’instant exact du poème) dans un espace un peu plus libre, un peu moins a priori dessiné et colorié - alors mieux vaut ne pas faire poète. » (C.P.)
[24] Voir le dossier de La Femelle du Requin n° 23, automne 2004, dans lequel Tabucchi va jusqu’à prétendre que la littérature est une partouze.