texte du 3 janvier 2007
le « requiem athée » de Quignard ; les dessins de Leonardo Cremonini ; aux éditions Galilée, en attendant la partition de Thierry Lancino
Je recopie la 14ième et ultime note de l’ouvrage [1] :
« Toujours, quoi que les croyants disent, face à l’obsession paradisiaque, persiste le désir de déserter. La vie nous a donné avec elle-même la liberté d’en interrompre le cours. La possibilité de mourir est comme un talisman que nous portons avec nous. En rédigeant mes répons je vis tout d’abord Bengt Ekerot avec sa capuche noire lorsqu’il jouait la Mort dans Le Septième Sceau.
Puis je traversai les fleurs. Je montai au septième étage de la rue de Buci. Leonardo Cremonini me prêta le visage d’un enfant qui repose et me donna en plus une roche de Cumes.
Alain Demillac consacra deux mois au grec de la Sibylle. Thierry Lancino monta jusqu’à la ruelle de la colline où je vis. C’était en octobre. Je ne le connaissais pas. Il vivait et composait à New York. Je lui montrai derrière le terrain vague la maison aux volets rouillés. Je lui dis :
— C’est la maison où vivait Messiaen autrefois. Il la contempla. Je lui dis :
— Nous partageons les mêmes merles. Je dis cela au-delà de sa mort. »
Voilà qui nous dit presque tout du livre, sauf à ajouter que la séquence Dies irae du Requiem de la liturgie catholique commence ainsi :
Dies irae dies illa
solvet saeculum in favilla
teste David cum Sibylla [2]
Pascal Quignard a voulu redonner un peu de chaleur à ce reste païen, romain de la Sibylle de Cumes [3] associée à David, et signifier qu’à la porte des enfers se côtoient l’envie de ressusciter et l’envie de périr, cf. à l’« Agnus Dei » :
DAVID
Non mori.
SIBYLLA
`Αποθανειν
c’est à dire :
Ne pas mourir.
Mourir.
L’ouvrage est donc composé comme une messe de requiem avec : Introït, Kyrie, Graduel, Séquence, Offertoire, Premier chant de la Sibylle, Sanctus, Unique chant du roi David, Benedictus, Deuxième chant de la Sibylle, Agnus Dei.
La Sibylle apparaît dès le Kyrie. Et dès lors alternent le texte canonique en latin et la supplication de la Sibylle en langue grecque. Le texte ne choisit pas, nous dit Quignard, « il reste écartelé, bilingue, bisexué, bipsychique. »
A ces "deux mains distinctes pour tâter la mort" s’ajoute une troisième, celle de Leonardo Cremonini [4] dessinant Enfant qui repose et roche de Cumes.
Pour marier registre littéraire et registre analytique, dans la mesure où sont évoqués dans les notes Bruno Bettelheim à Buchenwald récitant sans cesse Horace : Mors ultima linea rerum est et Mélanie Klein voyant dans la Sibylle, la Prédivine, mère avant les mères, fille avant les femmes, maîtresse du sang qui vient ou s’interrompt — je dirai sans barguigner que ce petit livre est sublime — à l’écriture reconnaissable entre toutes, et donnera d’écouter autrement Victoria, Mozart, Fauré et autre Duruflé, en attendant Thierry Lancino.
[2] Jour de colère ce jour
Où le monde sera réduit en cendres
Comme l’annoncent David et la Sibylle
[3] La sibylle de Cumes (près de Naples).
La légende dit qu’Apollon avait une fois offert à la sibylle Démophilé, de Cumes, ce qu’elle voudrait en échange de son amour. Elle accepta le cadeau et demanda autant d’années de vie qu’un tas de poussière contenait de grains ; et il y avait mille grains. Malheureusement, elle avait omis de demander aussi la jeunesse perpétuelle, et, ayant par la suite refusé son amour au dieu, elle devint de plus en plus vieille. Finalement elle resta suspendue dans une bouteille au plafond de sa cave, toute recroquevillée, et lorsque des enfants lui demandaient ce qu’elle désirait, elle disait simplement : « je veux mourir ».
Source : Wikipédia
[4] Voir l’"illustration" reprend le détail du bandeau du livre : Train de nuit, 1999
Juste pour une approche de l’oeuvre du peintre, voir le site de la galerie Claude Bernard.