la poésie prise à la lettre

29/09/09 — Il particolare n° 19 & 20, Imre Kertesz, Anne Talvaz , Etienne Faure, Séverine Daucourt-Fridriksson, Marc Blanchet, Sylvie Gouttebaron, John Taylor


« la poésie, prise à la lettre, a encore de beaux jours » (Hervé Castanet)

Il particolare n° 19 & 20 — L’Holocauste comme culture, Imre Kertesz — Ce que nous sommes, Anne Talvaz — Vues prenables, Etienne Faure — Salerni, Séverine Daucourt-Fridriksson — L’Éducation des monstres, Marc Blanchet — bien je reprends, Sylvie Gouttebaron — Une certaine joie, John Taylor.


Psychanalyste à Marseille, Hervé Castanet est également directeur de la revue il particolare, art, littérature, théorie critique, qui avec le numéro 19 & 20, fête aujourd’hui dix ans d’existence. Il signe comme à l’accoutumée le prologue de cette livraison — deux dossiers, l’un consacré au poète Jean-Luc Sarré, l’autre à la plasticienne Florence Louise Petetin — et il énonce suivant en cela Christian Prigent que « la poésie est symptôme », et ajoute, en souvenir d’un séminaire fameux : « l’âme (l’identité, désespérément supposée du corps) est le nom de ce sinthome qui fait que la poésie, prise à la lettre, a encore de beaux jours ».

En apportent la démonstration, outre les contributions aux dossiers, des ensembles comme La mente irretita / La Pensée prise au piège, de Michele Tortorici, traduit de l’italien par Danièle Robert, ou encore Ma durée Pontormo (extraits) de Pierre Parlant.

Une version longue de il particolare, dix ans déjà, sur sitaudis.fr.

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Actes Sud fait paraître L’Holocauste comme culture, un ensemble de textes d’Imre Kertész (articles, conférences) s’échelonnant pour la publication de 1998 à 2003. Le titre peut surprendre, c’est celui d’une conférence donnée en 1992 à l’Université de Vienne concernant la personne et l’œuvre de Jean Améry. J’y relève : « Quand il analyse son aliénation, sa perte de “confiance dans le monde” et son exil existentiel, Améry, à mon avis, dépasse le cadre son livre [Par-delà le crime et le châtiment] au sens strict et parle tout simplement de la condition humaine. Le survivant n’est que l’incarnation extrêmement tragique de la condition humaine de l’époque, celui qui a vécu et subi la culmination de cette condition, c’est-à-dire Auschwitz [...]. Il est désormais clair que la survie n’est pas le problème personnel des rescapés. L’ombre profonde de l’Holocauste recouvre toute la civilisation dans laquelle il a eu lieu et qui doit continuer à vivre avec le poids de cet événement et de ses conséquences ».

A cette aune je lis ce récit : « Ce que nous sommes », d’Anne Talvaz, encadré par la relation d’un voyage à Auschwitz où Lina H. ne sera jamais allée (c’est la version de la quatrième de couverture ; celle du texte : où elle n’a jamais été), et celle d’un autre à l’île de Fehmarn (île allemande dans la mer Baltique) où Lina H. terminera ses jours en 1985 « comme une innocente ». Ce livre est remarquablement écrit, qu’il s’agisse de la phrase, quel talent dans l’observation ! ou du montage : si dès la page 15, le nom de Reinhard Heydrich (l’ « éboueur d’Auschwitz » ainsi qu’il se désignait lui-même) est mentionné, dans le contexte de la découverte du camp, l’habileté de la narratrice ne nous conduira à identifier Lina H. comme Lina Heydrich que petit à petit.

Le peu de réception critique à l’égard de cet ouvrage en tous points digne d’éloges est surprenant : la documentation en est exacte sans envahir la conscience du lecteur, le questionnement en est comme la marque, la narratrice ne cherche pas à nous assener une version définitive, mais à donner à penser, l’écriture est bien celle d’une poète, à l’esprif vif et acéré, et dont l’ironie touche juste, et à certains égards elle rappelle la démarche de Giorgio Caproni, lorsqu’il relatera “L’ « aspetto innocente » del campo di Auschwitz”. Dans l’un comme l’autre cas, se perçoit « l’esprit du récit » cher à Imre Kertész.

bibliographie :

Imre Kertesz, L’Holocauste comme culture, Actes Sud, 2009 ; le site de l’éditeur donne la préface de Péter Nádas : Le travail et la thématique de Kertész et plusieurs pages de La pérennité des camps, conférence donnée en 1990, ponctuée par le concept : l’esprit du récit.

Anne Talvaz, Ce que nous sommes aux éditions l’Act Mem ; le site de l’éditeur donne en 4° deux extraits du livre à la façon d’un montage : le premier conclut la page 85, le second est l’incipit donné en italiques ; portrait et bibliographie d’Anne Talvaz y figurent également.

Giorgio Caproni, Cartes postales d’un voyage en Pologne, traduit de l’italien par Philippe Lacoue-Labarthe et Federico Nicolao, chez William Blake & Co. Edit. Avant-propos des traducteurs, et trois relations d’un Voyage en Pologne à l’initiative du Mouvement pour la Paix, août 1948 ; elles ont été publiées 13 ans plus tard, en juillet 1961.).

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En estimant, comme Hervé Castanet, que « la poésie, prise à la lettre, a encore de beaux jours » et que viennent précisément les beaux jours, voici quelques titres et qui sont plus que des titres, mais surtout des auteurs :

ð Etienne Faure s’est fait connaître avec un recueil aux éditions Champ Vallon : Légèrement frôlée. Il récidive avec Vues prenables, chez le même éditeur, après en avoir accordé la primeur à quelques excellentes revues. Par bonheur, Etienne Faure a conservé la manière (regroupement en séquences, reprises conclusives, une savante simplicité : cf. ces quelques extraits en ligne) qui lui a si bien réussi.

Ardennes.

Venait ensuite l’étonnement
qu’un tel massif en ses flancs renferme,
version belge ou française
de ces enfants crûment noirs et verts
d’ardeur, ces enfants
que le massif éternellement sévère
corrige,
très tôt chassant la poésie du bois,
première sortie, par faim d’amour
vers Paris, l’Angleterre,
de longue haleine, autre soif.

Aden.


la poésie sort du bois

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ð Salerni, de Séverine Daucourt-Fridriksson, a été achevé en 2000, mais c’est aujourd’hui qu’il paraît à La Lettre volée (Le texte est accessible sur le site des éditions). Salerni est des cinq séquences de ce recueil bref mais intense, pour ne pas dire radio-actif, dans sa dimension aphoristique prévalente : « jusqu’où faudra-t-il se dénuder ? dire que j’ai été si heureuse d’être découverte » côtoie « m’inventer (art de vivre) une âme digne d’être rendue » c’est dire que l’aspect « notes de carnets » est vite dépassé pour entendre une réflexion sur la langue et la poésie, les pouvoirs de leur impouvoir, active passivité de leur éros, au moyen d’une disposition qu’aèrent le blanc et une ponctuation sui generis.

A la suite de quoi, je voudrais indiquer sans plus d’analyse pour le moment trois ouvrages dont la tonalité poétique et réflexive sera dans un temps d’apparence moins contraint, une précieuse alliée, pour au milieu du gaspillage consumériste auquel il appelle, conduire à se livrer au potlatch véritable : celui de l’amitié littéraire.

ð Et pour commencer L’Éducation des monstres de Marc Blanchet poète, essayiste, critique, musicien et aussi photographe. En témoigne La couverture de ses proses fantasmatiques éditées à La lettre volée, qui propose à l’internaute de feuilleter le livre et de l’accompagner dans ses « cabrioles ».

ð Ensuite, bien je reprends, de Sylvie Gouttebaron. La directrice de la Maison des écrivains et de la littérature donne avec cet ouvrage publié aux éditions L’Act Mem, son quatrième recueil de poésie. Pas encore de feuilletoir à l’Act Mem, alors à pas d’oiseau, à poids de plume, je délivre la page 24 :

joyeux apôtres du bruit légèreté de l’oiseau méchant
et quel mouvement inspirer à la campagne encore gelée
or
son poids je dis son poids c’est important de l’exis-
tence
tout ce qui tout ce qui porte un poids légère inclina-
tion sur terre
le bois sensible histoire de plume qu’on voudrait
caresser

Kant je crois

ð Avec John Taylor, aux éditions Tarabuste, la traduction de Some sort of Joy (Cedar Hill Publications, 2000) par Françoise Daviet sous le titre Une certaine joie nous entraine à déambuler dans une ville française à la découverte du fantastique quotidien dans les plus menus détails.

Le postfacier, Jeremy Alden, s’interroge : « Mais quelle forme de transcendance notre pèlerin recherche-t-il ?... »

Avec cette lecture, mais aussi pour l’angliciste, celle de Into the Heart of European Poetry, il sera donné de vérifier qu’il s’agit d’une joie certaine. Transaction Publishers présente ainsi ce dernier ouvrage :

« John Taylor’s brilliant new book examines the work of many of the major poets who have deeply marked modern and contemporary European literature. » Des heures de lecture(s) en perspective !

© Ronald Klapka _ 29 juin 2009