D’une exposition l’autre

25/06/09 — Nathalie Léger, Gérard Garouste, Michel Onfray, Thierry Delcourt, Jacques Dupin, James Sacré, Bernard Pagès


L’Exposition de Nathalie Léger — aux éditions POL — connaît une belle réception critique à laquelle je joins très volontiers ma voix pour signaler à mon tour ce texte mi-roman mi-essai avec un zeste d’autobiographie oblique, conduit avec un talent qui conjugue simplicité (élégance) et professionnalisme : la directrice adjointe de l’IMEC a contribué au montage des expositions Barthes et Beckett (avec Marianne Alphant) et accompli un travail d’édition des œuvres de Vitez, et celui de La Préparation du roman de Roland Barthes.

Pas un mot de trop, pas une fausse note, pas un détail inutile. Pas davantage de photographie de la Castiglione, le sujet, c’est-à-dire le sujet qui la tient « un sujet énorme et dissimulé, incompréhensible, puissant, plus puissant que vous, et d’apparence ténue le plus souvent, un détail, un vieux souvenir, pas grand chose, mais qui vous prend et, inexorablement, vous confond en lui pour régurgiter lentement quelques fantômes inquiétants, des revenants égarés mais qui insistent ». (15-16)

Je retiens plus particulièrement cette façon de procéder exprimée dès les premières lignes : « S’abandonner, ne rien préméditer, ne rien vouloir, ne rien distinguer ni défaire, ne pas regarder fixement [etc.]. (9)

Et je fais alors fonds sur la phrase de Jean Renoir : « Le sujet m’a totalement boulotté !... », qui défait les sortilèges — et dont Nathalie Léger explicite pour elle-même les effets, et me semble-t-il pour tout bon entendeur : l’atelier d’écriture est intérieur, la liberté du modèle condition première : « il ne tient qu’au libre arbitre de celui qui tient le sujet d’exposition », je cite l’auteur, lauréate du prix Lavinal, interrogée dans les salons de la librairie Mollat (cf. les 7’ 25 ‘’ à 12’08’’ du podcast de cette rencontre)

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La peinture de Gérard Garouste ne laisse pas de surprendre. Plusieurs ouvrages récents, dont un ces jours-ci, fournissent quelques clés de compréhension de l’oeuvre. Récemment L’Intranquille, Autoportrait d’un fils, d’un père, d’un fou, un livre d’entretiens de Gérard Garouste avec Judith Perrignon, aux éditions L’Iconoclaste. Philippe Dagen concluait sa recension (Le Monde, édition du 08.05.09.) en ces termes :

Ecrire L’Intranquille, apprendre l’hébreu pour mieux lire la Torah et poursuivre son œuvre picturale et graphique labyrinthique sont les instruments - le mot est de lui : « La peinture est mon instrument » - d’une connaissance de lui-même dans laquelle la stupeur, la rage et le désir d’expiation ne se séparent pas. Le père de l’artiste, apprenons-nous, s’était enrichi sous l’Occupation grâce à la spoliation des biens juifs.

« L’Apiculteur et les Indiens » — La peinture de Gérard Garouste aux éditions Galilée poursuit aujourd’hui l’explication. Le moyen : une iconographie choisie, très intéressante, et les talents de rhéteur de Michel Onfray. La visée, de la part du peintre : une interpellation éthique, « En tant qu’artiste je défends des valeurs et des prises de position morales » affirme-t-il. Mais quand des œuvres comme Isaïe d’Issenheim, ou Le Passage, s’en prennent avec violence à la Bible des Septante, cette traduction en grec supposée à l’origine de tous les malheurs du peuple juif, il importe de signaler avec quelle rigueur Marguerite Harl et son équipe documentent la question. Manière de répondre au vœu du peintre d’une meilleure connaissance des textes, de leur pluriel, de mettre aussi en évidence « le remarquable effort des juifs d’Alexandrie pour donner leurs textes sacrés dans la langue commune de l’univers d’alors ». Et ce, par le travail philologique en dehors de toutes considérations confessionnelle ou idéologique, en « revenant avec plus d’acribie sur le texte ».

Une autre approche de l’œuvre de Gérard Garouste, ses réponses aux questions de Thierry Delcourt, psychanalyste, dans Au risque de l’art, questions établies selon un canevas souple, permettent en la circonstance de considérer « son roman personnel recréé » dans la compagnie de créateurs qui lui sont contemporains (plasticiens et écrivains).

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En réunissant les écrits de Jacques Dupin sur quelque trente cinq artistes contemporains, les éditions POL nous donnent avec « Par quelque biais vers quelque bord » non seulement de revisiter certaines œuvres et de considérer une tranche de l’histoire de l’art, mais surtout de saisir ou tout au moins d’approcher un regard et une écriture artistes. C’est un voyage au long cours. La préface d’Emmanuel Laugier conduira à entreprendre le périple : elle est donnée in extenso sur le site des éditions POL, ainsi que les deux premiers essais : l’un en forme de poème sur Malevitch, le suivant « La montée des signes » sur Vassili Kandinsky. Les phrases suivantes me semblent donner la tonalité du recueil et celle de la démarche du poète face aux œuvres d’art :

[...] A la description minimale, il substitue toujours la recherche d’un « afflux d’air liquide entre des masses suffocantes ». Donc celle de l’air à trouver là où il manque. Qu’il s’agisse de respirer dans le grand dehors, dans l’espace des toiles ou face à la masse des sculptures, se noue toujours pour Jacques Dupin une difficulté de respirer depuis laquelle s’entremêle, comme le dit Jean-Patrice Courtois, la question de « comment on respire subjectivement dans la grande et obligatoire respiration objective qui nous maintient en vie ».

Gisement la postface de Jean-Michel Reynard, originellement préface du livre de Jacques Dupin L’Espace autrement dit (Galilée, 1981) constitue une reprise très dense de cette lecture en poète d’œuvres qui convoquent abyssalement la poésie de Dupin tout autant que celle de Reynard, telle qu’ils la vivent, la conçoivent : expiation et lumière innervant l’expérience de la parole et du désir.

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La première phrase du dernier essai de Dupin : « Femme de terre et de feu » (Markus Lüpertz, 1986),
« Une sculpture, comme un arbre, ça sort de la terre, et ça se dresse dans l’espace. Ça s’ouvre, et se fortifie, ça se développe dans l’air... Pour s’offrir à tous les regards d’où qu’ils viennent, et répondre à l’assaut de l’œil qui l’embrasse sous tous les angles, communication pressante, imminence du toucher... » comme une invitation à signaler, toutes affaires cessantes : Bernard Pagès, Élancées de fêtes, mais tenant au socle du monde, un ouvrage de photographies (par Michel Chassat) de sculptures de Bernard Pagès, invité à l’occasion de l’exposition Picasso-Cézanne au musée Granet, à investir différents lieux d’Aix-en-Provence et du Pays d’Aix.

Une couverture presque austère pour l’ouvrage paru aux éditions La Pionnière/Pérégrines, abrite une explosion de couleurs, de lumière, de formes et d’espaces, « une musique en gestes de couleurs fortes » selon l’heureuse expression de James Sacré qui donne tantôt un commentaire sur une œuvre particulière, voire un poème, ou alors s’attarde sur ce que l’œuvre en son entier lui suggère :

« matériaux qui ne demandent rien et qu’un homme (et tout le contexte de son existence) vivifie de sens et de non-sens, de retenue et d’exubérance etc. C’est toujours, assez, un geste comme un oxymore [...] ». Ainsi à propos de La Houppe jaune :

« Houppe, en fait est un mot particulièrement lourd et poussif, mais dedans il y a le léger de la huppe. La houppe de huppe (ou l’inverse). Et c’est tout un envol casé de couleurs vives qui fait vibrer l’équilibre foisonnant du printemps ».

Bibliographie, liens

L’exposition, Nathalie Léger, aux éditions POL
Article sur le site Mediapart : Je est un autre par Christine Marcandier-Bry
« La comtesse en trompe-l’œil » Patrick Kéchichian (Le Monde, édition du 07.11.08

Podcast de la librairie Mollat : Nathalie Léger est interrogée par Bernard Laffargue suite à la remise du prix Lavinal organisé entre autres, par cette librairie (v. cette présentation)

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Recension (Le Monde, édition du 08.05.09.) de L’Intranquille, Autoportrait d’un fils, d’un père, d’un fou, par Philippe Dagen.

Michel Onfray, « L’Apiculteur et les Indiens » La peinture de Gérard Garouste aux éditions Galilée (parution 26 juin)

Le dossier –dans l’exposé de ses grandes lignes - du chantier de la traduction de la Bible d’Alexandrie (autre nom de la Bible des Septante) est consultable en ligne, les points VII et VIII pour en situer la portée générale.

Thierry Delcourt, Au risque de l’art, aux éditions L’Âge d’Homme

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Jacques Dupin, Par quelque biais vers quelque bord, aux éditions POL, avec une indication des artistes faisant l’objet des essais, et la préface d’Emmanuel Laugier, ainsi que les deux premiers chapitres.

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James Sacré, Bernard Pagès, élancées de fêtes, mais tenant au socle du monde, La Pionnière/Pérégrines ; les sculptures de Bernard Pagès sont localisables sur ce plan , pour aller à la rencontre de « surgeons, dévers, houppes et pals, la déjetée, l’essoufflée, la renversée, la torse » et cherche avec James Sacré « Comment s’[y] prendre avec un poème/ Pour dresser un corps de grammaire et de mots/ Qui serait le respirant du monde. »

© Ronald Klapka _ 25 juin 2009