Off, d’Huguette Champroux

lettre du 20 février 2008


Reims, le 20 février 2008

« Je voudrais réunir, je voudrais identifier presque, la poésie et l’espoir », les propos d’Yves Bonnefoy, je souhaiterais, en des temps d’initiatives hasardeuses, les reprendre ainsi : « Je voudrais réunir, je voudrais identifier presque, la littérature et la laïcité ». Parachevant l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la loi de 1905, a donné à « l’immortel principe » les conditions d’une mise en œuvre saine et équilibrée : à l’école et dans les services publics en particulier. Cette lettre s’inscrit sans réserve dans cet esprit. Aussi relaie-t-elle inconditionnellement l’appel laïque. [1]

Huguette Champroux [2] aurait souscrit. Ou alors, je l’ai particulièrement mal lue. Qui est-elle ? Comment vient-elle à nous aujourd’hui ? Cette poète, des plus poètes et des plus exigeantes, née en 1931 nous a quittés en 2003. Elle a publié chez des éditeurs que l’on dira confidentiels, a été productrice à France-Culture (Chant pour Pascale), et a même figuré dans un film de Jean-Luc Godard.

La revue Action Poétique (n° 183, 2006) a initié un processus de plus grande reconnaissance, et ce sont les éditions Le Bleu du ciel, qui avec Off, une anthologie des textes publiés (350 pages), assortie des avant-propos de Christian Marchand-Kiss et de Pierre Courtaud, qui nous permettent de prendre la mesure d’une oeuvre tranchant particulièrement avec la production qui lui est contemporaine. En entendre parler, l’écouter lire, établir comme le fait son fils Emmanuel Miéville [2] des correspondances avec des formes de la musique d’aujourd’hui est aussi éclairant, et l’émission Surpris par la nuit (que l’on peut encore écouter en ligne) aidera l’approche de textes déroutants formellement mais limpides quant à leur visée et leur signification. J’en donne deux (l’anthologie est irrésumable, traduit à la fois un mouvement et des constances, un creusement infini donc) :

De Sulfures (p. 199)

tout un mur parmi la demande rencontre
plutôt peau face qui regarde vue contre le lit
du centre contre cousue lèvre d’un jeu
à contourner plus tard entre avant et l’eau de
ce côté bleu où figure paupière en dessus soit
pas toute fente à cause d’acte en autre mode
en dessous main en haut chacune à l’endroit
comme langue presqu’entière accordant quel
reste augmente peu d’une différence entre
battue cette fois jusqu’ensemble et face à l’envers
avec en bas procure même cache ajoute
arrière entre croise dehors aussi dedans
tourne tantôt sans face tel cri récemment [3]

De La musique adoucit les murs (p. 277)

Je n’arrive pas à naître d’un mot en arrière.
C’est ainsi que Je peut s’estomper. Il y a cette réponse.
Le grand texte n’est pas une affaire constante.
Mais (je ne me relis pas bien) c’est l’affaire qu’on vous fait entendre
toujours quand vous parlez vous êtes quelqu’un.

Vous avez un début juste avant le vide. Vous avez de plus un langage qui devrait restituer ce vide.
Lucrèce s’irrite quelques fois qu’il y ait tant de différence entre les atomes, - que le souffle ne soit ni l’âme ni l’esprit. Et il commence Dieu sait pourquoi à parler de domination et de lutte des classes. De même chose rare à notre époque il parle du plaisir. Et du sommeil et du rêve.
Et de ce qui est entre nous et les choses (ou à la place de nous) « les simulacres » ?
Soit, prolongements accentuations. Telle est la montagne Ste-Victoire dans le grand texte. Soit escamotage miniaturisation. Et à chaque fois que se présente un obstacle c’est déjà celui de l’idéologie. Il propose de laisser un vide. Le plein étant toujours la mort historique.

Ordonnée chronologiquement, en dehors de « Off » (2002) retenu pour donner son titre à l’ensemble, ce parcours de presque 50 années est impressionnant à bien des titres : des textes, un art certes, des choix esthétiques (et théoriques), mais aussi une personne en son temps : j’ai lu et relu La villégiature (99-106, 1980), magnifique « quaderno » où se révèle toute la subtilité de la pensée poétique d’Huguette Champroux, mais les recherches plus récentes comme Jeux d’osselets (313-319, 2000) ne laisseront pas indifférente la jeune génération.

« C’est ainsi que Je peut s’estomper », comme si Huguette Champroux avait traduit No amanace el cantor (« le chanteur n’apparaît pas » : première partie de Paysage avec des oiseaux jaunes) . Mais pas plus que la mémoire d’Huguette Champroux, ne doit s’effacer celle du poète galicien. Andres Sanchez Robayna, Jacques Ancet veillent, et l’ambassade d’Espagne en France nous donne elle aussi une anthologie : Fragmentos Rotos [4], qui se réfère à Fragments d’un livre futur Sur cet ouvrage, je me permets de renvoyer à ma chronique : Le chant de l’impossible chant :

D E T O I ne reste rien
que ces fragments brisés.

Que quelqu’un les reçoive avec amour, je te le souhaite,
les garde près de lui et ne les laisse pas
totalement mourir dans cette nuit
aux ombres voraces, où maintenant sans défense
tu palpites toujours.

Pour prendre juste quelques mots à un livre à paraître, Journal, de Philippe Beck, aux éditions Flammarion : que vous soient ces anthologies fleurs de processus.

© Ronald Klapka _ 20 février 2008

[1Cette mise en ligne du 31 juillet 2009, me donne l’occasion de signaler la réflexion de fond de Jean-Jacques Delfour, La laïcité institutrice des libertés (Sens Public, web-revue), avec en particulier son dernier chapitre : la conflictualité laïque.

[2Liliane Giraudon a donné un portrait des plus vivants de "sa" Champroux ; aux éditions Inventaire/invention

[3Avec en exergue : « L’essentiel, comme disent les programmes officiels, c’est que l’enfant prenne plaisir à cet enseignement difficile. » No comment !

[4Renseignements : Centro de Recursos de la consejeria de Educacion 34 bd Hôpital 75005 PARIS
centrorecursos.frarrobasemec.es