« réinstaller quelque chose de soi-même »
W. G. Sebald, Antoni Tàpies, Walt Whitman, Giorgio Caproni

10/02/2012 — Muriel Pic, W. G. Sebald, Antoni Tàpies, Jean-Louis Schefer, Alain Freixe, Jacques Dupin, José Ángel Valente, Po&sie 137/138, Galerie Lelong


« Davantage encore, c’est à notre volonté de destruction que s’adressent les poèmes, essais et récits d’un auteur dont pas une ligne ne déroge à sa politique de la mélancolie. Politique, parce que se saisir de l’épineuse question éthique et vivre avec le risque de la mémoire, c’est s’interroger sur l’organisation sociale du malheur. Mais aussi se donner une chance, malgré un déterminisme des rapports de force, de penser l’organisation sociale du bonheur. Mélancolique, parce que les yeux écarquillés face à la démesure de la catastrophe, Sebald avance vers notre passé et nous intime de comprendre autant que de devenir. » [1]

« On ne s’habitue jamais à l’originalité d’une pensée, à la brusquerie de son acte ; ni à la conscience ou force, à l’impression d’une mutation, si frappante dans les tableaux de Tàpies. Il faut pourtant réapprendre ce qu’une œuvre nous montre, ou bien en régler la juste distance en nous-mêmes. La peinture ne cesse de changer (de manière, de sujets, de matière) et tous ses âges ne cessent pourtant de nous être contemporains : je vois surtout qu’elle change de place parce qu’elle ne cadre plus rien d’une doublure du réel ou de son rêve. Le surréalisme, le cubisme, Klee, Miró avaient modifié le tableau peint sur la scène renaissante en maintenant cette même scène, sa géométrie ; les gestes d’exploration en avaient peu déplacé la possibilité fictionnelle.
Quel est l’effet d’évidence de ces quatorze nouveaux tableaux de Tàpies ?
Celui qui se place en face d’eux doit bien, pour les voir, y réinstaller quelque chose de lui-même. » [2]


Muriel Pic, « Constellation de la lettre », Po&sie 137-138

Je prendrai au mot la citation de Penser/Classer en exergue de cet article de Muriel Pic [3] : « Un certain art de la lecture - et pas seulement la lecture d’un texte, mais ce que l’on appelle la lecture d’un tableau, ou la lecture d’une ville - pourrait consister à lire de côté, à porter sur le texte un regard oblique. » [4], pour dire quelques mots du concept de lisibilité [5], tel qu’elle l’examine, mais surtout la manière dont elle l’évoque dans son introduction, Surfaces de lecture :

« Se proposer d’apprendre à “lire de côté, à porter sur le texte un regard oblique”, c’est consteller la surface du texte, propager le sens en immanence, faire de la lecture un exercice de lisibilité. Ce dernier suppose d’aborder la question du sens selon un modèle de lecture non-littérale que l’on pourra nommer constellatoire [6]. Il ne permet pas de dégager un lexique fini ni d’établir d’abécédaire exhaustif, mais il rend évidents des liens sinon secrets ou latents mais inaperçus, inédits. Il insiste, d’une part, sur l’espacement fondamental qui s’opère dans toute lecture, en soulignant sa dimension figurale et matérielle ; et, d’autre part, sur le tracé de correspondances secrètes qui n’apparaissent qu’en prêtant attention à la surface où se déploie leur affleurement. »

Et au terme du parcours :

« Lire autrement, donc. Remettre en cause cette pratique élémentaire : la lecture. [7]
Désapprendre ce qui est la modalité première de la connaissance, échapper à sa succession machinale, apercevoir un instant le profil de l’infans. Bien plutôt qu’une vision régressive de la connaissance, cette tentative viserait à échapper à l’idéologie du sens. » [8]

Est-ce s’éloigner de cette entrée en matière : « Lire. Voilà une chose à laquelle il n’est pas si facile de réfléchir plongés que nous sommes dans un mille e tre de signes qui nous aliènent au rythme de la consommation capitaliste. Cette lettre anadyomène, toujours surgissante, égérie d’une société de séduction, nous empêche de lire autrement qu’avec la rapidité de nos automatismes. Jamais la lettre n’a été à ce point un signe conventionnel. Jamais le dilemme entre langage de communication et langage poétique n’a été si peu d’actualité [9]. Jamais la lecture n’a été à ce point dénuée d’esprit critique. » ?

Ceci comme point d’arrivée de ce qui a surgi dans une configuration historique précise, la Modernité, et dont Muriel Pic, s’emploie à repérer l’apparition et les conséquences.

L’article est structuré en deux moments annoncés par le sous-titre : « Le concept de lisibilité en France et en Allemagne ». D’un côté ce sera donc : La constellation selon Mallarmé : « élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé », de l’autre La constellation chez Benjamin : « lire ce qui n’a jamais été écrit ». La cloison n’est bien sûr pas étanche entre celle qui célèbre l’auteur du Coup de dés, et celle qui repère les constellations chez celui de L’Origine du drame baroque allemand et du Livre des passages.. La « démonstration » est passionnante, redonnons avec l’auteur ce qui en fait le corps : « Si le concept de lisibilité participe des débats sur la spécificité discursive du texte et de l’image, il s’en distingue en raison de la perspective épistémologique qu’il assigne à l’acte de lire. Il se situe en effet au confluent des travaux autour de la métaphore du monde comme livre [Blumenberg], de l’interprétation des rêves de Freud, de la Lesbarkeit de Benjamin, de l’histoire culturelle de Warburg, du paradigme de l’indice de Ginzburg, ainsi que de la réactualisation controversée de la mantique. », Po&sie, op. cit., p. 251.

Le dernier point attire l’attention. Mallarmé, déjà : « une lecture qui doit instituer une relation entre les images exactes, et que s’en détache un tiers aspect fusible et clair présenté à la divination ». Warburg, ensuite : Georges Didi-Huberman se plaît à rappeler les foies divinatoires de la planche I de l’Atlas Mnémosyne [10]. Enfin, nous apprend Muriel Pic, Wolfram Hogrebe (Mantik, 2005), insistant sur ce point : « tout est signifiant à celui qui ne sait rien de sa chance (de son cas, de sa chute — cadere), comme plongé dans le noir, en situation de risque. On se tient attentif au moindre bruit, au moindre mouvement, à tout ce qui de la nuit remue. »

Avec Perec, a été cité en exergue, W. G. Sebald, D’après nature – présage de cette conclusion :

perscrutamini scripturas
soll das nicht heissen
perscrutamini naturas rerum ?
 [11]

Que lit-on ? du latin (celui de la Vulgate), de l’allemand, à nouveau du latin, qui pourrait faire songer à Lucrèce (pluralisé : naturas). Qu’en est-il ? Sebald cite Steller, qui cite lui même Paracelse qui en appelle - en les citant- à l’élargissement des Écritures (Jn 7,52)... Que faut-il augurer ? Ceci : Muriel Pic est bien la lectrice qu’elle dit être à qui la lit comme elle appelle à être lue, très attentivement.

Po&sie 137-138, Caproni (1912-1990) a cent ans  [12]

Martin Rueff et Jean-Pierre Ferrini sont aussi de ceux-là, lecteurs fins et fervents. Les quelques mots à venir seront de gratitude, pour eux-mêmes et la revue Po&sie, pour nous donner de manière à la fois substantielle et équilibrée de mieux connaître l’auteur du Gel du matin [13] — livre que l’on n’évoque pas sans émotion [14] — avec le dossier réuni pour ce numéro double de février 2012 [15].

En effet, « Giorgio Caproni est né le 7 janvier 1912. Il y a cent ans. Caproni a traduit en italien Proust et Flaubert, Maupassant, Baudelaire, Apollinaire, Céline et Genet, Cendrars, Char ou Frénaud. Traduire et lire en français Giorgio Caproni, l’auteur d’Erba francese (traduction Jacques Réda), est donc un juste retour des choses. » [16]

Les repères biographiques fournis aux lecteurs, un peu plus de trois pages, sont davantage qu’un déroulé chronologique, ils sont scandés par des lieux, des oeuvres, des lectures, des rencontres, des événements majeurs, qui font de cette existence même poésie. Pour qui ne connaît pas l’œuvre de Caproni, c’est le préparer à la rencontre. L’effectue pour nous dans un long entretien, qui était intitulé Le métier de poète (1965), Ferdinando Camon [Lire de celui-ci, en poche [17] La maladie humaine.] : s’y entend « la profondeur de la quatrième corde, après les aigus de la chanterelle ». A la suite de quoi, ce sont les amitiés électives, Pasolini, Raboni, les portraits brossés par Bernard Simeone, Giorgio Agamaben, qui établissent les diverses facettes de l’homme et de l’oeuvre. On pourra tout aussi bien aller à celles-ci, avec les larges extraits tant des proses que de la poésie, et rassembler tout ce que l’on aura moissonné en le comparant à la manière dont le font Martin Ruefff : Amour comme il est blessé ce siècle, et Jean Pierre Ferrini La chose perdue. Le premier nous montre un Caproni conteur, indiquant par la fable, qu’un poète peut apprendre à lire un philosophe, à quelles conditions est possible la convivance des hommes. Au second, qui nous donne à connaître de façon rapprochée Le Passage d’Énée, je suis reconnaissant, c’est à la page 66, de sa lecture « constellatoire » pour reprendre le néologisme de Muriel Pic, d’un passage de Cartes postales d’un voyage en Pologne [18], que je recopie à mon tour :

« Messieurs », dit à peu près notre cicérone polonais, « je me permets, en ce point, avant de prendre congé de vous, de vous adresser une seule prière. Rentrés chez vous, tâchez de faire comprendre à vos enfants et à vos gouvernements, sur la base de ce que vous avez vu, uniquement ceci : que, de même qu’il existe un service militaire obligatoire pour les jeunes gens, il devrait y avoir un voyage obligatoire dans ce camp. »
Pendant qu’il parlait, il nous regardait, ses iris de fer très polonais fixés sur nous ; et il ajouta encore ceci, en serrant cérémonieusement la main à chacun de nous : « Allez et racontez. J’espère que tout ce que j’ai tenté de vous faire voir objectivement a fait vibrer dans votre cœur la corde la plus profonde, celle que les violonistes appellent la quatrième corde.

« Il est facile » — ajoute Jean-Pierre Ferrini— « de repérer dans ces mots les mots de Caproni, « congé », « cérémonieusement », « quatrième corde », des mots qui mêlent à l’ironie du Voyageur [19] la corde sensible du cœur d’Énée. » J’entends surtout que ce « pauvre journal a posteriori » [fait entendre] « la manière si singulière avec laquelle Caproni donne son congé, quitte ce qui, jusque-là, soutenait les bases de la foi, de la raison, de la sagesse..., comme Énée peut-être échappe à la destruction de Troie, un passé en ruine sur les épaules et par la main un futur qui tient à peine debout. » [20]

Deux ou trois mots encore, de Po&sie n° 137-138

Juste ceci, en résonance, avec les travaux de Muriel Pic, le dossier Caproni.

Birth pangs : la traduction comme procréation, Tiphaine Samoyault

Une précédente livraison de Po&sie, attirait l’attention sur les « democratic vistas » de Walt Whitman. Cette fois, avec Birth pangs, i. e. les douleurs de l’enfantement, Tiphaine Samoyault ouvre une méditation sur la traduction comme procréation (dans Feuilles d’herbe : « Toujours l’élan procréateur du monde »). J’en retiens (sans omettre une traversée par les réflexions de Paul Audi, Gilles Deleuze, Catherine Malabou, Henri Atlan, Judith Butler), cette ouverture (je souligne) :

« La traduction me paraît être un lieu où puisse se penser la procréation jusque dans ses mutations et les possibles conséquences que ces dernières auraient sur le sujet et sur la langue. D’une part parce qu’elle inscrit un rapport évident de secondarité : elle vient après et pousse la création plus loin, en avant ; ensuite parce que la traduction implique à la fois le changement de sujet et le changement de place ; enfin parce qu’elle inscrit une différence dans le même que certaines mutations techniques liées à la vie obligent à penser (notamment le clonage). »

L’exemple, in fine, on sera passé bien sûr auparavant par Benjamin et Berman, de la traduction de Todesfuge par John Felstiner est des plus probants pour signifier la vulnérabilité et de l’original et de la traduction. Comme il est beau cependant parfois que l’enfantement fleurisse ! et que parfois fleurisse la sur-traduction ! dont Tiphaine Samoyault déplie l’exemple : Bonnefoy traduit « Labour is blossoming » (Yeats, dernière strophe de « Among school children ») par « l’enfantement fleurit », la traduction l’ayant mis au « travail », c’est-à-dire au monde.

— Le 17 octobre 1961, Claude Mouchard, Laurent Zimmermann

En clôture de ce très dense numéro de Po&sie, mais n’est-ce pas aussi une manière d’envoi ? — cf. Andate et raccontate alla vostra gente [21] — tout autre travail du poète, celui de la pro-testation : Claude Mouchard écrit Le 17 octobre 1961 en 2011 (entendons aussi le 8 février 1962 en 2012), et dont Laurent Zimmermann reprend le Toi qui m’entends (Jouve) « revenu du fond de quelle insomnie... » :

on dit des choses on parle on regarde
passer l’eau la grande eau lessive noire
& bleue la bassine gigantesque grande la vraie
eau l’eau du fleuve on regarde & les ponts
passer l’eau la grande eau mouvement
vagues ou lèvres aux bords lèvres d’eau

        Po&sie, op.cit., p. 303.

© Ronald Klapka _ 10 février 2012

[1Muriel Pic, Festival W. G. Sebald/Politique de la mélancolie, Conférences, débats et rencontres autour de l’écrivain allemand (programmation de Muriel Pic, avec Martine Carré, Jean-Christophe Bailly, Martin Rueff, Ulrich von Bülow, Jürgen Ritte...) ; cette manifestation prend place parmi toute une série d’événements (dont un numéro d’Europe à venir) relatés par un billet détaillé de Raphaëlle Guidée.

On rappellera les stimulants travaux de Muriel Pic publiés aux Presses du réel, dûment salués à leur parution (L’image dans les filets de l’écriture), et on mentionnera, mis en ligne par Alain Paire, la recension d’Alain Madeleine-Perdrillat de deux récentes livraisons de la revue fario.

On me permettra enfin de me réjouir, que ce soit un poète, Martin Rueff, qui donnera au cours des soirées organisées par Muriel Pic, son approche de D’après nature Poème élémentaire, qui signa l’apparition éditoriale de W. G. Sebald (1988), mais dont la traduction française ne parut qu’en octobre 2007. La circonstance m’a poussé à refondre en un, deux textes donnés en même temps (à vif) sur Poezibao et Sitaudis.

[2Jean Louis Schefer, Corps à corps, texte de présentation de Tàpies, repères, cahiers d’art contemporain n° 109, Daniel Lelong éditeur, 2000, p. 3.
Pour les autres livres publiés à l’occasion d’expositions par la galerie de l’artiste, ce lien.

[3Muriel Pic, Constellation de la lettre. Le concept de lisibilité en France et en Allemagne, Po&sie n°137-138, Belin, février 2012, pp. 250-265.

[4Georges Perec, « Lire : esquisse socio-physiologique » (1976), Penser/Classer, Paris, Seuil. 2003, p. 113.

[5Ce questionnement fait l’objet du numéro 10 de Trivium (revue franco-allemande de sciences humaines et sociales), coordonné par Muriel Pic et Emmanuel Alloa.

[6Jean Louis Schefer :
« Le peintre doit être responsable de la somme des constellations de sens associées à son œuvre. Tàpies : de l’orient de la pensée, d’une posture de la pensée, d’une espèce ou d’un mime d’éternité immobile nourrie de mouvements interrompus, d’affects et, par conséquent, du porte-à-faux et de l’équilibre ironique de choses additionnées dans son œuvre faisant litanie, catalogue de déchets ; un humour des fonctions improbables. Pourquoi ? La peinture doit dire, tout autrement, la vérité soulignée faisant commentaire d’un monde d’illusions. Sans nécessité tragique ni conscience de catastrophe : le monde est une illusion de passage que tient la vérité de la peinture. Pourquoi montrerait-elle, autrement, des surfaces recomposées, équilibrées, faites d’apport de substances (le liant, le glaire, le sperme des choses, leur lit de sable) ? Croûte de la terre dont le centre, il faut bien l’imaginer, est creux. »

Et de déposer ici quelques mots de José Ángel Valente : « Le poème, donc, lieu de l’intériorité absolue. [...] La parole poétique, quand elle se manifeste, quand elle se manifeste vraiment, et quand nous la recevons vraiment, nous invite à entrer dans ce territoire extrême. Territoire de l’extrême intériorité, lieu du non-lieu, espace vide et génésique, concavité, matrice, materia mater, matière-mémoire, matérielle mémoire. » (Lecture à Tenerife), éditions Unes, 1995. Aux mêmes éditions, la rencontre entre Valente et Tàpies, que garde une note d’Alain Freixe. Qui écrit à propos de Matière d’infini : « Un poète écrit non pas sur un peintre mais intervient dans la peinture – acte et tableau – d’un ami – « après 40 années d’intimité et de complicité – engage une parole jusqu’à rencontrer ce « désir de l’ouvert selon Rilke » d’où procède « la matière que Tàpies libère sur ses toiles. » On aura reconnu Jacques Dupin, et sa manière d’en appeler à « une brèche du regard ».

[7Une autre manière d’aborder la question, sera d’enregistrer Les désordres de la bibliothèque, et spécialement ce point : « Avec la planche VIII, la bibliotheca obscura de Talbot veille à la naissance du chimérique dans la surface noire et blanche des livres mais aussi dans la surface de papier sur laquelle il couche la photographie. » in Muriel Pic, Les désordres de la bibliothèque, éditions Filigranes, dont note fut prise.

[8Non sans prendre le risque de l’illisible auquel s’expose celui qui choisit de se relier à cette part du monde dont Paul Celan note qu’elle le redouble infiniment : « Illisibilité de ce monde / Tout double (Unlesbarkeit dieser Welt /Alles doppelt) » - Paul Celan et Gisèle Celan-Lestrange, Correspondance I, éd. Bertrand Badiou, Paris, Seuil, 2001, p. 606.

[9Parlant de Tàpies, Jean Louis Schefer rejoint ici Muriel Pic avec cette incidente :
« Depuis quelques années - et je ne sais par quel besoin d’assurance ou de compensation au rapt des imaginaires (ceux-ci semblent absorbés par l’industrie de la communication qui en fait quelque chose comme de l’eau sale) - il est de nouveau parlé du corps. C’est-à-dire ? D’une espèce d’unité originaire, indivisible, tout entière substance ; de quelque chose qui serait une manière d’emmurement. »

[10Georges Didi-Huberman, Atlas, ou le gai savoir inquiet, op. laud.

[11W.G. Sebald, D’après nature (ouvrage recensé), trad. Patrick Charbonneau et Sibylle Muller, Arles, Actes Sud, 2007, p. 38 : « perscrutamini scripturas / ne faudrait-il plutôt dire / perscrutamini naturas rerum ? »

[12Dossier réuni par Martin Rueff et Jean-Pierre Ferrini in Po&sie n°137-138, op. cit.

[13Giorgio Caproni, Le gel du matin, éditions Verdier, 1985.
Avec une parfaite concision, Eugène Durif exprime la teneur du recueil : « Ces nouvelles, peut-être autobiographiques [C’est le cas, transfigurées par une prose millimétrée.], sont hantées toutes deux par la mort d’une femme : l’exécution d’une « espionne » par des partisans italiens que traquent les Allemands (Le Labyrinthe) ; l’agonie d’une jeune fille aimée, et cet appel auquel le narrateur ne peut répondre (Le Gel du matin). C’est extrêmement simple et bouleversant : une langue épurée, aucun effet littéraire. C’est un événement rare que la rencontre d’un tel livre, aussi essentiel que peut l’être le Lenz de Büchner ou La Folie du jour de Maurice Blanchot. »

[14Ni sans précaution lorsque l’on "fait passer", de quoi mettre fin sur le champ à une amitié, si le destinataire ne l’apprécie pas, la littérature est déraisonnable.

[15Voici l’économie de ce dossier tel que le présentent ceux qui l’ont conçu :
Au sommaire, quelques poésies, dont une entièrement inédite, avec des poèmes du Passage d’Énée, « Stances du funiculaire », « L’ascenseur », « 1944 » et « Les bicyclettes », sur lesquels repose toute la poétique à venir et dont nous n’avons pas encore pris suffisamment la mesure.
Un choix de proses de Caproni est aussi proposé, allant de sa fascination pour la ville de Gênes, sa dette envers Ungaretti ou Montale, à sa propre inquiétude de poète.
Le dossier comprend encore un ensemble de textes critiques et d’hommages par Pier Paolo Pasolini, Giorgio Agamben, Giorgio Raboni et Bernard Simeone, un entretien de 1965, des repères biographiques et une bibliographie sélective qui permettront de mieux situer dans sa perspective historique une œuvre qui fait l’objet en Italie d’une rigoureuse attention, par exemple l’édition de référence de Luca Zuliani dans la collection « I Meridiani » (L’Opera in versi, Mondadori, 1998) ou l’édition plus récente d’Adele Dei des Racconti seritti per forza, Garzanti, 2008.

[16Précisé ainsi : « Bernard Simeone, Philippe Renard [outre Verdier, il ne faut pas manquer de mentionner Maurice Nadeau/Lettres nouvelles] et Philippe Di Meo ont déjà traduit quelques-uns des livres majeurs. Mais il reste beaucoup à faire encore pour donner en France la place qui revient à Caproni, celle d’un des plus grands poètes européens de la seconde moitié du xxe siècle. Une édition de l’œuvre poétique complète est en préparation aux soins de Jean-Yves Masson et Isabelle Laverge pour la collection « Le siècle des poètes » des éditions Galaade ».

[17Ferdinando Camon, La maladie humaine, collection folio, 1987.

[18On doit à Jean-Paul Michel (éditions William Blake & Co.), d’en avoir publié la traduction et la présentation par Philippe Lacoue-Labarthe et Federico Nicolao, en 2004. Un « billet » traduit avec on l’espère le moins de rhétorique possible, l’effet qu’en fit la lecture.

[19Giorgio Caproni, Le congé du voyageur cérémonieux, Garzanti, 1965.

[20Voici la suite et la fin de la page 27, de Cartes postales d’un voyage en Pologne :

« Allez et racontez aux vôtres : à votre femme, à vos enfants, à vos amis restés chez eux, mais sans ajouter, je vous en prie, un mot de plus à ce que je vous ai dit et expliqué.
« Ici, nous sommes dans le climat de la tragédie pure, où la vérité a tout à perdre et rien à gagner, tant par elle-même elle est tragiquement horrible, à une quelconque adjonction de passion : ou, pire, de rhétorique inutile.
« Je n’ai rien d’autre à vous dire, Messieurs. Et adieu, adieu, de tout mon cœur. »
Je l’ai déjà noté : j’essaierai d’écrire ce que j’ai vu une autre fois.
Mais où trouver le détachement nécessaire, et la nécessaire objectivité ?
Dieu me vienne en aide, dans mon pauvre journal a posteriori, où c’est le souffle d’un génie qu’il faudrait pour représenter avec justesse la folie d’un peuple entier. Ou plutôt, notre folie humaine, hélas.

[21« Andate e raccontate alla vostra gente : a vostra moglie, ai vostri figli, agli amici rimasti a casa, ma senza aggiungere, vi prego, una parola di più a quanto vi ho detto e illustrato.
« Qui siamo nel clima della tragedia pura, dove la verità perde e non guadagna nulla, tant’è tragicamente orribile in se stessa, da una qualsiasi aggiunta di passione o, tantomeno, di inutile retorica.
« Altro non ho da dirvi, Signori. E addio, addio, con tutto il cuore. »
L’ho già detto : cercherò di descrivere quello che vidi un’altra volta. Ma dove trovare il distacco necessario, e la necessaria obiettività ?
Dio mi aiuti, in questo mio povero dia rio a posteriori, dove ci vorrebbe il fiato di un genio per rappresentare al giusto la follia d’un intero popolo. Anzi, la nostra umana follia, ahimé.
Giorgio Caproni, Cartes postales d’un voyage en Pologne,, texte original de la note qui précède.