pour lire encore, tant et plus

26/09/2011 — Bertrand Leclair avec, Frédéric Berthet, Hélène Cixous, Piotr Rawicz, Jack London, Marcel Proust, Céline...


« ce qu’il ne faut pas dire, il faut l’écrire. » [1]

« Voici toute l’alchimie de l’échange qu’est la littérature : au moment où je lis, cette preuve d’amour, c’est moi, lecteur, qui la reçoit, de la littérature en personne, dans ma vie. » [2]

« Si vous prenez un bâton et si vous voulez le faire paraître droit dans l’eau, vous allez le courber d’abord, parce que, la réflexion, la réfraction fait que si je mets ma canne dans l’eau, elle a l’air d’être cassée, n’est-ce pas. Faut la casser avant de la plonger dans l’eau. Alors c’est un boulot, n’est-ce pas. C’est un vrai travail. C’est le travail du styliste. » [3]

« La versification classique. Comment cette idée m’était-elle venue ? Cela s’était tout simplement fait ainsi. Car je voyais en Horace un de mes contemporains. Au même titre que René Char, Oskar Loerke ou Einar Malm. C’était si naïf que c’en était sophistiqué. » [4]


Dans les rouleaux du temps, Bertrand Leclair

S’adressant le 26/10/2006, aux participants du séminaire de l’IFP [5], Bertrand Leclair leur déclare, alors qu’il abandonne la pratique journalistique [6] :

« Si quelque chose risque de me manquer, c’est très précisément la possibilité aussi ténue soit-elle d’exprimer au sein de la sphère médiatique si étouffante au quotidien, au cœur de cette machinerie qui commande et orchestre les représentations de nos vies, d’y exprimer une parole qui tente d’affirmer autre chose, une parole libératoire d’abord pour celui qui l’exprime et peut le faire parce qu’il s’appuie sur la création littéraire, véhiculant autre chose du monde et des hommes, autre chose du langage et de ses puissances auxquelles nul n’échappe, ni au niveau collectif, ni au niveau individuel. Voilà donc pour conclure une affirmation : cette possibilité de témoigner d’une parole vraie d’être à être dans l’espace même où la parole est vouée à la transparence est pour moi, ici et maintenant, la dimension la plus précieuse du geste critique. »

Je pars de ce point pour effectuer un arc avec la fin de Dans les rouleaux du temps ; l’affirmation y est intacte et plus encore en sa pointe :

« Voilà qu’à l’issue de ces Rouleaux du temps je comprends enfin ce que voulait dire cette phrase que j’ai souvent répétée alors même qu’à chaque fois j’en mesurais pleinement la charge d’idiotie : “ Il me semble impossible de vivre sans avoir lu À la recherche du temps perdu.” Je le conçois enfin : ma phrase ne veut pas du tout dire qu’on ne peut matériellement vivre sans avoir lu La Recherche, il suffit de regarder autour de soi pour voir à quel point la chose est non seulement possible mais courante, évidemment. Elle veut dire que, dans la difficulté de vivre qui est la nôtre, À la recherche du temps perdu, précisément parce qu’il est un véritable livre de connaissance écrit sous un ciel vide pour être lu sous un ciel vide, est parmi tous les livres celui qui m’a rendu de nouveau possible, par instants au moins, le oui de l’enfance : une vraie capacité à vivre. »

Voilà qui pourrait donc tenir en deux mots : affirmation critique. Mais le dépli des deux citations précise tant la visée que la manière dont sont agencés ces rouleaux du temps, celui dans lesquels ils nous entraînent, mais aussi celui qu’ils permettent de retrouver, d’où la finale proustienne.

Les rouleaux du temps ?
Voici une occurrence (il en est d’autres [7]) de l’expression au coeur de Movi Sevaze :

« [et j’écrivais, car je te vouvoyais alors, Madère, je te vouvoyais dans l’ignorance où j’étais pourtant de ton nom et de ton existence, je te vouvoyais pourtant Madère, écrivant] : évidemment, évidemment, les rouleaux du temps vous ramènent toujours face aux mêmes images qui sont comme les principaux tableaux accrochés aux murs de la vie d’un homme, un clou ici, un clou là-bas, chaque fois un tableau, il n’y en a pas tant, il y a les grands, et les miniatures, mais ce qui est étrange c’est que leurs dimensions changent sans qu’on s’en aperçoive, et tout à coup celui-ci qu’on ne voyait plus est écrasant comme un couronnement de David, cinq secondes de béatitude ou de honte vous contemplent, pliez, un genou en terre mon pauvre ami, un genou en terre en attendant le reste, des tableaux, le mot n’est pas tout à fait juste parce que ce siècle... » [8]

L’explication ici donnée sera prétexte à procéder à la façon de l’auteur, intriquer histoire personnelle, réflexion théorique, geste d’écriture. Je m’attarde donc sur le chapitre IX [9] des Rouleaux. Il s’intitule Le piège du langage, il revient sur Simple journée d’été et Journal de Trêve, de Frédéric Berthet.

Ce qui rompt l’état d’innocence, ce n’est pas la sexualité, mais le langage (Frédéric Berthet)

Frédéric Berthet ? en effet, voici, en 1979, qu’un tout jeune homme (il a alors 25 ans) se signale (entre autres, à mon attention) en dirigeant de main de maître un numéro de la revue Communication, dans lequel linguistique, sémiologie et littérature - ô combien- [10] ont la part plus que belle. Cela s’intitule La conversation. J’ai relu, combien sont-ils riches, ses Eléments de conversation ainsi que sa Conversation à Notre-Dame (avec Ph. Sollers), qui se clôt ainsi :

Paris, 10 novembre 78
Cher ami,
Pris note pour Matisse [11]. Naturellement, il nous faut maintenant publier cette esquisse de correspondance. Comme s’il n’y avait pas de hors- texte : mais y a-t-il un point de vue romanesque sur l’Incarnation ? Amitiés,
F. B.

Le point de vue romanesque ? J’ai guetté une suite à ces travaux et n’en rencontrais pas, songeant plus particulièrement à des essais). J’ignorais alors, mais je n’étais pas le seul, que Frédéric Berthet s’employait précisément à élaborer le point de vue romanesque qui lui permît de « déjouer les pièges du langage », dans les années qui suivirent (1979-1982) et qui ne devrait me revenir, Bertrand Leclair aidant (et Norbert Cassegrain, éditeur [12]) que bien des années après, posthumément, sous la forme du Journal de Trêve, en 2006 ; ainsi les rouleaux du temps me ramenaient les romans sous forme de nouvelles, (dont le Journal de Trêve est la matrice), publiés à partir de 1986, qui sont la marque de leur auteur [13].

Aussi lorsque Bertrand Leclair conclut à la suite d’un texte reçu en guise de synopsis d’une possible fiction radiophonique, texte commençant par « La grande facilité d’écrire des lettres... » : « Je crois bien que c’était là l’utopie de Frédéric, une utopie qui tout à la fois entravait son geste, l’entraînant à l’autocensure, et lui donnait sa formidable puissance d’émotion : atteindre à une langue littéraire si pure qu’elle échappe au piège du langage, qui n’est nulle part ailleurs qu’à l’intérieur de chacun, au creux de sa propre langue. » il invite bien sûr à la rencontre de Berthet « tel qu’en lui-même l’éternité le chante », mais aussi à méditer la lumineuse leçon de l’auteur de Felicidad  [14] :

« Ces fameuses “jeunes filles éblouissantes” qu’aujourd’hui l’on célèbre dans son œuvre ne constituaient pas un matériau lié à la mode ou à i’époque, mais un matériau lié à la question fondamentale que travaillent avec acharnement ses carnets. Une fois admis (très tôt) que l’on n’échappe pas aux « lois de l’espèce » [...] une fois posé que la difficulté d’entrer dans l’âge adulte n’est pas d’ordre sexuel, comme tout voudrait le faire croire aux adolescents, mais qu’elle est d’ordre linguistique, les jeunes filles, ou plus exactement la façon de les dire, de les représenter, de se présenter et représenter face à elles, devenaient l’enjeu logique d’une lutte contre le “piège du langage”. Le piège du langage, c’est le sujet principal de ces carnets. Il est omniprésent : “Ce qui rompt l’état d’innocence, ce n’est pas la sexualité, mais le langage”. »

qu’est ce que ça lui fait, à elle, personnellement ?

Ceci posé, le lecteur parcourra les essais dans l’ordre qui lui viendra. Il y fera provision d’émotion, de réflexion, peut-être de découvertes (je songe au si méconnu Piotr Rawicz). En voici un (d’ordre) qui ne vaut que ce qu’il vaut : en jeu, l’identité narrative de chacun, les rencontres, les circonstances et au gré de la construction de soi, ce que littérature peut vouloir dire.

Donc juste quelques mots, évidemment bien trop rapides, pour retenir quelques impressions de lecture — au lecteur d’apprécier l’effort au style, l’énergie qui le porte — en tâchant de faire ressortir ce qui les lie ensemble.

Tout d’abord, il faut le rappeler, il ne s’agit pas d’un florilège, mais d’un plaidoyer passionné pour « une ancienne et très vague mais jalouse pratique, dont gît le sens au mystère du cœur », évoquée avec la Conférence à Bruxelles en 1890 de Mallarmé sur Villiers de l’Isle Adam, portier de l’Idéal, comme le surnommaient ses contemporains. A cet égard la thématique du jugement, du procès (Deleuze, Kafka, Artaud) s’affirme d’emblée avec un ouvrage qui pas plus que Les derniers jours d’un condamné à mort, ne figurait dans la bibliothèque de l’École Nationale de la Magistrature : L’Apologie de Socrate , ce dont pourra se rendre compte, in situ, le journaliste dépêché par « Le Monde de l’éducation ». L’amour de la langue, de la manière dont elle peut rendre l’émotion justifiera la place de la « trilogie allemande » de Céline et son incarnement, ne pas méconnaître l’abjection n’empêche pas de reconnaître l’art du "Proust des pauvres" [15]. Grand place est donnée à Hélène Cixous et pas seulement dans le chapitre consacré au poignant Le jour où je n’étais pas là où se lit : « Tout en ce monde et dans les autres dépend de notre lecture ».

Pour nous "rajeunir" : les démêlés d’un adolescent lecteur d’Aurélien, bien plus clairvoyant que sa professeure qui lit avec les lunettes de son idéologie (d’où la nécessité d’une "petite écologie des études littéraires" qui redonne à la lecture toute sa place). Quant à la lecture de Martin Eden, j’ose espérer qu’elle rejoigne quelques uns, quelqu’une (semblable à Ruth Morse) en posant la seule question, essentielle, pour lui, qui reste sans réponse : qu’est ce que ça lui fait, à elle, personnellement ?, elle qui passe souverainement, à côté de ce qui, pour lui, est l’essentiel : elle n’entend pas, elle n’entend rien de rien à ce que pourtant il a écrit pour elle, par elle, avec elle. (p. 126 sq.)

Qu’ajouter ? pour tel lecteur, l’intéressera de savoir comment a été lu le Sartre écrivain du Mur, tel autre partira Sur la route avec Kerouac, telle autre constatera qu’Histoire d’O est la plus belle lettre d’amour, dont le destinataire secret, préfacier, avait su se mettre à la hauteur, à la vertigineuse hauteur où le défiait sa maîtresse.

À vous maintenant, de vous plonger, dans Les rouleaux du temps. Et que la langue pète ses plombs, comme l’écrit Leclair, quand la joie fait gouffre, comme en cette phrase, pour la route :

« Ce travail qu’avaient fait notre amour-propre, notre passion, notre esprit d’imitation, notre intelligence abstraite, nos habitudes, c’est ce travail que l’art défera, c’est la marche en sens contraire, le retour aux profondeurs où ce qui a existé réellement gît inconnu de nous, qu’il nous fera suivre. »

© Ronald Klapka _ 26 septembre 2011

[1Car, « Tout en ce monde et dans les autres dépend de notre lecture » Hélène Cixous, Le jour où je n’étais pas là, Galilée, 2000.

[2Bertrand Leclair, Dans les rouleaux du temps, Flammarion, 2011, p. 19.

[3Louis-Ferdinand Céline, in Louis-Ferdinand Céline vous parle - 1958 (disques Festival).

[4Tomas Tranströmer, Les souvenirs m’observent, Le Castor Astral, 2004, traduction et conception de Jacques Outin, p. 83.
Pour préciser « Comment la versification classique est venue » à Tomas Tranströmer, ce passage :

« Durant la seconde année en Section classique, je commençai à écrire des poèmes modernistes. l’étais aussi attiré par la poésie classique, et, quand nos cours de latin quittaient le domaine historique, les guerres, les sénateurs et les consuls, pour passer aux vers d’Horace et de Catulle, je me laissais volontiers glisser dans l’univers poétique où le Bouc [surnom du professeur] triomphait.
Ânonner ces vers était chose édifiante. Cela se passait toujours ainsi : l’élève devait d’abord en lire une strophe, par exemple d’Horace :
Aequam memento rebus in arduis /servare mentem, non secus in bonis /ab insolenti temperatam /laetitia, moriture Delli !

— Traduisez ! hurlait le Bouc

— D’humeur égale euh ... souviens-toi que, d’humeur
égale ... non ... sérénité de rester d’humeur égale dans des
conditions difficiles, et non le contraire ... hum ... non, également dans de bonnes conditions ... de t’abstenir de toute joie excessive ... toute joie débordante, ô mortel Dellius !

Ce texte lumineux était véritablement ramené au niveau le plus bas. Mais l’instant d’après, dans la strophe suivante, Horace revenait en latin, avec la prodigieuse précision du vers. Cette alternance de banalité absolue et de sublime plénitude m’apprit quelles étaient les conditions de l’existence. Quelque chose pouvait s’élever dans les airs grâce à la forme (La Forme !). Les pattes de la chenille tombaient, les ailes se dépliaient. Il ne fallait donc pas perdre espoir ! » (Les souvenirs m’observent, op. cit. pp. 81-82)

[5Institut Français de Presse, Paris 2, Séminaire « La critique impossible ? » avec la collaboration de la MEL (Maison des écrivains et de la littérature).

[6Précisant (séminaire du 16/11/2010) : « Devenu critique en 1994, à la fondation du quotidien InfoMatin, sans savoir particulier et sans autre autorité que mon désir, je le suis resté 13 ans dans des journaux aussi différents que les Inrockuptibles ou la Quinzaine littéraire. J’ai arrêté d’exercer la critique voici cinq ans. Quitter le champ critique est un choix, qui ne m’empêche pas de poursuivre une réflexion initiée durant ces années de pratique, et de la poursuivre en particulier dans le cadre de ce séminaire créé ici en 2005 avec Christophe Kantcheff. »

[7Par exemple, celle-ci, qui se réfère opportunément à la manière de Frédéric-Yves Jeannet, son présent perpétuel tourbillonnaire, ainsi que Bertrand Leclair décrit les enchevêtrement des versions sur lesquelles revient à de multiples reprises l’auteur. « Avec le fol espoir de saisir, à se lancer ainsi sur une barque de mots dans les rouleaux du temps, dans l’océan démonté d’une existence privée d’ancrage généalogique, de saisir enfin la vérité de celui à qui pourtant "appartient cette voix qui susurre les étapes de la dépossession" » comme l’écrit ici le critique, de Cyclone ; La Quinzaine n° 726, 01-11-1997.

[8Movi Sevaze, aux éditions Verticales, dont Frédéric Berthet fut un des premiers et clairvoyants lecteurs, forme diptyque avec La main du scribe au Mercure de France.

[9Voici les onze (ou douze, c’est selon) : Introduction. Puissances de la littérature ; I. Coup de hache au grand théâtre de la justice ; Apologie de Socrate, de Platon (traduction d’Émile Chambry) ; II. « Une existence qui est à l’existence ce qu’est le soleil à la lumière » Aurélien, de Louis Aragon ; III. Enfin une femme avoue, à vous rien qu’à vous Histoire d’O, de Pauline Réage ; IV. Le fasciste, ce concours de circonstances, ce pourrait être moi Le Mur, de Jean-Paul Sartre ; V. De l’auteur et du lecteur, lequel invente l’autre ? Martin Eden, de Jack London (traduction de Claude Cendrée) ; VI. Sarabande ! Sur la route et Les Souterrains, de Jack Kerouac (traductions respectives de Jacques Houbart et de Jacqueline Bernard) ; VII. Un moment de délire, pour la création ; La trilogie allemande, de Louis-Ferdinand Céline (D’un château l’autre, Nord et Rigodon) ; VIII. Les enfants du divorce Villiers de l’Isle-Adam, de Stéphane Mallarmé ; IX. Le piège du langage Simple journée d’été et Journal de Trêve, de Frédéric Berthet ; X. « Tout en ce monde et dans les autres dépend de notre lecture » Le Jour où je n’étais pas là, d’Hélène Cixous ; XI. On peut donc chuter dans le ciel ? Le Sang du ciel, de Piotr Rawicz ; Envoi. La vie se déchaîne, à l’embouchure À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust.

[10Le numéro 30, présenté, de conserve par Frédéric Berthet et Roland Barthes. Voici une partie de l’argument :

« Il existe déjà des approches scientifiques de la conversation [...]. Elles relèvent de cette partie de la sémiologie, longtemps délaissée qu’on appelle, à la suite des auteurs anglo-saxons, la pragmatique ou étude du langage en acte, observé, non dans l’immanence du message verbal, mais dans le jeu réel de ses partenaires - jeu qui suppose l’exercice d’une disposition du langage dont on s’occupe de plus en plus : le sous-entendu (ou l’implicite).
Cependant à côté de ces analyses, une place importante a été donnée à la littérature. Les raisons théoriques de ce privilège ne manquent pas, et il faut les assumer. D’abord, comme l’un de nous a l’occasion de l’écrire [Leçon inaugurale, Collège de France], la littérature, en tout cas celle du passé est une mathésis : elle prend en charge et met en scène (ne serait que par touches, allusions, références), non la science, mais des savoirs ; étant elle-même une pratique de langage du plus haut niveau (ce qu’on appelle : écriture) elle donne un privilège constant à toutes les conduites humaines qui passent par le langage ; l’une de ses fonctions est de reproduire exemplairement des modes des inflexions de discours.
Chaque fois, donc, que les sciences sociales ont à traiter d’un objet de langage (ou, pour être précis, d’un discours), elles auraient bien tort de ne pas recourir au corpus littéraire ; sans doute, sauf exception (nous pensons à Proust) elles n’y trouveront pas des "analyses", des explications", mais, en contrepartie, des descriptions, des reproductions, des simulacres, si bien agencés, que l’intelligence première du propos se double virtuellement d’une intelligence théorique et comme structurale du langage lui-même ; avec un enthousiasme à peine excessif, on pourrait dire que, s’agissant de ces pratiques, la littérature possède les avantages de la science (scrupule de l’observation, intelligibilité du phénomène), mais non ses inconvénients (réduction et aplatissement du sujet qui parle). »
Tous les articles de ce numéro mémorable sont téléchargeables à cette adresse.

[11Il s’agit de l’« illustration » : Vue de Notre Dame, 1914, MOMA.

[12V. Quinzaine Littéraire, Trois questions à Norbert Cassegrain à propos de Frédéric Berthet, n° 933, 01-11-2006, p. 14, dont cette réponse : « Pour de multiples raisons, le roman auquel vous faites allusion est resté inachevé. Mais l’idée de publier son œuvre complète s’est imposée rapidement, instinctivement pourrait-on dire. Le paradoxe n’est qu’apparent, puisque l’objectif à atteindre n’est pas l’intégralité, mais l’intégrité de son expérience littéraire, son impressionnante unité ».

Norbert Cassegrain est également l’éditeur des Correspondances (1973-2003) aux éditions de la Table ronde, janvier 2011. Un rendez-vous à ne pas manquer pour tous ceux qui auront aimé, aimeront cette écriture. Y figurent de nombreux échanges avec Pierre Bayard, Michel Déon, Jean Échenoz, dont on ne résiste pas à citer :

« Paris, le 9 janvier 86
Cher ami,
Merci de m’avoir envoyé ton ouvrage. Je l’ai lu, il m’a plu, c’est un ouvrage très élégant, plein de belles phrases et de belles fureurs masquées. La preuve qu’il m’a (sincèrement) plu, c’est que je l’ai lu : il n’arrive à peu près jamais que je lise les livres qu’on m’envoie. D’ailleurs on ne m’en envoie pas tellement. D’ailleurs je lis très peu. J’y ai pris grand plaisir, donc : j’ aimerais bien que tu publies rapidement un roman, si tu as cinq minutes ; penses-y. »
Sans omettre ce repentir :
Je relis ce premier paragraphe : « belles phrases et belles fureurs masquées », quelle connerie. Pourtant ça ne voulait pas rien dire. Je me serai mal exprimé.
(p. 173-174)

[13La bibliographie, hélas trop courte. A minima s’impose Daimler s’en va, pour entrer en matière, d’autant que publié en poche. Mais tout est à lire, Simple journée d’été, comme Felicidad ou encore Paris-Berry.

[14A lire, p. 27, au chapitre L’écrivain :

« L’écrivain écoute la radio pendant qu’il fait couler son bain.
— Ça ferait un bon slogan, ricane-t-il, France-Culture, la radio qu’on écoute pendant qu’on fait couler son bain.
Il est question d’une émission sur les prénéandertaliens. L’écrivain pique un fou rire. Il s’agit ensuite des habitudes culinaires des Européens. L’écrivain pique un autre fou rire. Après, une table ronde évoque la pensée politique de Rousseau. L’écrivain se tord de rire par terre, puis redevient d’un seul coup sérieux.
— En somme, dit-il au chat, tout le monde s’intéresse à tout, sauf à ce que je suis en train d’écrire.
Mais, que suis-je en train d’écrire ? se demande l’écrivain. »

Je soupçonne Hors piste, l’une des nouvelles de Felicidad, d’avoir donné son nom aux chroniques de Bertrand Leclair dans la Quinzaine autrefois.

[15Des guillemets pour signaler :
« Parce qu’il y eut, dans ma vie, cette rencontre avec l’autre Proust. Le Proust des pauvres, de méchantes langues ont ainsi nommé Céline. Le Proust d’en bas... C’est bien
cela, je crois qu’entre les deux Proust le hasard, pour moi, a
choisi. En somme, j’ai hérité du mauvais Proust. »
Philippe Bonnefis (v. Le Rappel des oiseaux) répond à la question d’Omar Merzoug : « J’observe que dans vos travaux il y a un grand
absent : Proust. Pourquoi ? »
La Quinzaine littéraire, n° 995 parue le 01-07-2009.