Prénom d’un chien ! Valprémy est parti...

06/09/2007 — Michel Valprémy


Pourquoi, j’voudrais savoir pourquoi, pourquoi,
Elle vient trop tôt la fin du bal.
C’est les oiseaux, jamais les balles,
Qu’on arrête en plein vol.
Vladimir Vissotski  [1]

in memoriam, zaoom sur un des tous derniers livres : Cache-cache vinaigre aux éditions Apogée.

De Kiosque à paroles [2] Guy Ferdinande (Le terrier dans la dune) a écrit :

« Michel Valprémy aime au moins trois choses : il aime les mots, il aime les petits objets et il aime l’enfance. Les mots ? Quel écrivain ne les aime pas me direz-vous ? Particulièrement, il les recherche, il les place, les abouche, il leur donne tout leur éclat. Si un mot est passé par sa plume, il est redoré comme un beau cuivre. On aurait peur de citer un exemple, tout est à merveille dans ce livre. Et les objets ? A la manière d’Izoard qu’il cite, il en privilégie certains comme les cailloux ; on peut toucher aux fruits et aux graines, aux choses de la cuisine, des prés, des petits restes, des langues. L’enfance ? Elle se niche partout. Valprémy joueur de langue, se languit de tous les jeux. Il empile les mots comme châteaux de cartes. Rien n’est en trop, tout est stylé. Et l’on y trouve de très beaux verbes à l’infinitif ça fait plus rond, l’infinitif, c’est pas encore de la langue utilisée : couiner, mariner, clabauder. Allez ! Jouez. »

Gardons l’impératif du dernier verbe, et pour ce faire lisons un livre de vivant (cf. Palante : « A la santé des vivants ! »), Cache-cache vinaigre, aux éditions Apogée, collection Piqué d’étoiles, dont la quatrième rappelle :

La journée du narrateur de Cache-cache vinaigre débute sur les chapeaux de roues... et elle se poursuit de la même façon, avec son lot d’imprévus, de scènes étranges, d’éclats vifs, de ruptures mouvementées et de rencontres cocasses procurant à ce récit (très justement sous-titré farsa comica) un rythme effréné qui ne se dément pas.

En une peu moins d’une centaine de pages, huit chapitres rythmés c’est le moins qu’on puisse dire, vous entraînent dans une poursuite qui est sans aucune doute celle de la vie, du langage au ciel duquel le poète ira piquer ses étoiles (le double sens du verbe piquer s’impose, doublement, cf. supra).
Je suggère à ceux qui se procureront le livre, de se rendre immédiatement - ils liront forcément tout ensuite, ou je n’y comprends plus rien- aux pages 26 à 31 : la rencontre de Merveille Doisot, et c’est le paysage humain de Michel Valprémy qui se dévoile, et le poète est le vrai facteur, porteur de la nouvelle qui comble, allez, juste ce paragraphe, mais aller au-delà des lignes, une eschatologie s’y dessine (vous y verrez quelle est la fin dernière) :

« Un bêlement rauque, suivi d’une plainte qui n’a rien d’humain, me cloue sur place. Je tourne la tête. Une femme court dans ma direction, la nuque en arrière, les bras en avant. Parce qu’elle porte un long peignoir blanc, je crois un instant qu’il s’agit d’un exploit de théâtre, d’une scène de folie, le genre Lucia de Lammermoor. Je fais face et me penche par précaution pour vérifier si un mari armé d’une fourche ou un amant revolver au poing n’est pas la cause de cette agitation. Non, non, personne. Et pourtant la pauvre femme zigzague désespérément comme si, à chaque foulée, un projectile, une pierre, une flèche ou une balle menaçait de l’atteindre. Au fur et à mesure qu’elle approche, je parviens à comprendre qu’elle hurle toujours les mêmes mots :

« Facteur ! Facteur ! Facteur ! Vous m’avez sautée ! Facteur ! Facteur ! Vous m’avez sautée ! »

Je bénis le ciel qui m’a égaré dans un quartier aussi désert. Ailleurs, on eût lynché sur place le violeur du petit matin, le maniaque au cartable d’écolier. Entre deux hoquets (sa vocalisation n’a rien de raffiné), la Lucia me demande si, « dans ma sacoche », il n’y a pas « fouillez ! fouillez ! », une lettre pour elle, un message du marin « et » de la plus haute importance. Je lui réponds que je regrette, que je ne suis ni facteur ni télégraphiste, qu’il me faut tout simplement retrouver mon chemin.

« Pourquoi vous m’avez sautée ? Vous avez freiné devant BATACLAN et Grisbi. Je vous surveillais du haut de mon donjon. Donnez-moi ma lettre, donnez-moi quelque chose, trois fois rien, du nougat, du piment, une épingle, un boulon, un prospectus en couleurs, donnez-moi l’heure ! » [pp. 26-27]

Ne jouons pas davantage à cache-cache, je vous renvoie au fervent hommage de Philippe Boisnard (Libr-critique), et sur le site homme-moderne : à Artabax un texte de Michel Valprémy d’après des dessins de Sébastien Morlighem (empruntons-lui l’une des illustrations !), ainsi que Prénom d’un chien.

© Ronald Klapka _ 6 septembre 2007

[1Vladimir Vissotski, La fin du bal — à écouter par lui-même, ou Anna Prucnal.

[2Kiosque à paroles de Michel Valprémy, 100 pages - 12,20 €. VOIX éditions, Richard Meier, Mas d’Avall, 66200 Elne