si mars failloit à caresme

18/03/2007


« la mort n’est pas vraie »

« C’était le 14 août 1922. Proust s’en allait. « Et si le monde allait finir - que feriez-vous ? » avait demandé le journal L’Intransigeant, petite question. Aller finir. Comme la vie nous paraîtrait brusquement délicieuse dit celui qui partait. Alors notre paresse, qui ajourne sans cesse la vie serait défaite. Si le monde allait finir, à la fin, je vivrais dit le mourant, je m’arracherais à la négligence » [1]


comme deux émissions "culte" : Novarina qui désarchive Znyk & Novarina dans l’Espace furieux de Notre-Dame (conférences de carême)

Le samedi (17) dans Jeux d’archives, évocation par Valère Novarina de Daniel Znyk, qui fut l’un de ses acteurs de prédilection, rires et larmes tout ensemble dans "Sauve qui peut", scène de L’Origine rouge, une reprise novarinienne de Jean : « Où, le pyjama d’linceul ? »

Le dimanche (18), à Notre-Dame (soulèvera-t-il ses pages de notes, en ce geste qu’il affectionne particulièrement, et imité depuis) Valère Novarina, un de nos plus grands liturges, adverbe du Verbe, partagera un temps du carême radiodiffusé avec un spécialiste de Tertullien.

Le texte de la conférence était téléchargeable, j’en reproduis l’avant-conclusion :

« Pour essayer ici d’être un instant en face du drame de Pâques, (pour retrouver ici son ampleur que nous oublions toujours) retrouver l’entier de la phrase biblique qui embrasse l’univers d’un trait, ne se heurte pas au Temps mais le respire, ne se heurte pas à la mort mais la passe, - pour finir donc face à l’ampleur, la profondeur, la joie sans mesure de ce drame sans précédent et sans suite je lirai quatre lignes d’un hymne de l’église d’Orient, entendu chanté un matin par sœur Marie Keyrouz à Saint Julien le Pauvre, (j’en ai retrouvé une version très primitive dans le Sermon sur la Pâque de Méliton de Sardes) ; ce sont des mots du deuxième siècle que j’ai mis un jour dans la bouche de l’acteur Daniel Znyk, dans une scène où il mourait et ressuscitait. Voici :

« Celui qui a suspendu l’air sur la terre et sur les eaux, pend au gibet ; Celui qui fixa les étoiles au ciel : le voilà fixe ! L’Invisible est vu ; il est jugé, le Juge ! ; L’Incompréhensible est saisi ; L’Immortel est mort ; Il est mis en terre, Celui qui planta les étoiles au ciel. »

Lumières du corps, comme une préfigure :

« 23. Le théâtre est l’un des lieux où s’est réfugié aujourd’hui le savoir du corps que nous avions oublié. Toute intelligence y vient comme d’en bas : du corps profond de l’acteur, de la façon dont sont posés ses pieds sur le sol, de la chair du drame, de la matérialité du langage, du tissu du temps éprouvé ensemble. S’expérimente au théâtre une pensée dramatique - qui ne se manifeste que là. Tout est au théâtre, dans la chair vivante de l’acteur, croisé à l’espace. Tous les mots, tous les concepts, toutes les pensées vont dans les corps et en naissent à nouveau visiblement. Il est étrange d’être dans un corps, enfermé ; c’est une crucifixion pour chacun. Nous en sortons par la parole qui délivre. La vraie religion est un drame. Intime et étranger nous est notre corps. On va au théâtre voir l’acteur souffrir de son corps, de l’espace et du temps, et s’en libérer par le salut final. »

Valère Novarina l’affirme : « le théâtre est une forme incandescente de la lecture. »

Se vérifie en écoutant Laurence Mayor dans la séquence des noms de Dieu de la scène XXXV de La Chair de l’homme  [2], (un régal rare) ; parmi 287 appellations dûment contrôlées, isolons :

« Hubert-Félix Thiéfaine assure que Dieu est un fox à poil dur. »

Une sérigraphie, éditée à 287 exemplaires en 1999, par Héros-limite [3], Genève en 1999, permet de ce point de vue un parcours philosophique inattendu ainsi que le signale l’éditeur : « Le langage s’entend, mais la pensée se voit. » (Saint-Augustin) Valère Novarina parle de La Chair de l’homme comme son premier livre peint. Dans la scène xxxv, l’écrivain réunit 287 citations définissant le nom de Dieu. Cette affiche les rassemble pour que la parole des saints, hérétiques, philosophes, Pères de l’Église, psychanalystes et savants puisse jaillir et se voir, tel un tissu aux mille couleurs.

© Ronald Klapka _ 18 mars 2007

[1« Je crois que la vie nous paraîtrait brusquement délicieuse, si nous étions menacés de mourir comme vous le dites. Songez, en effet, combien de projets, de voyages, d’amours, d’études, elle - notre vie - tient en dissolution, invisibles à notre paresse qui, sûre de l’avenir, les ajourne sans cesse.
Mais que tout cela risque d’être à jamais impossible, comme cela redeviendra beau ! Ah ! si seulement le cataclysme n’a pas lieu cette fois, nous ne manquerons pas de visiter les nouvelles salles du Louvre, de nous jeter aux pieds de Mlle X... , de visiter les Indes. Le cataclysme n’a pas lieu, nous ne faisons rien de tout cela, car nous nous trouvons replacés au sein de la vie normale, où la négligence émousse le désir. Et pourtant nous n’aurions pas dû avoir besoin du cataclysme pour aimer aujourd’hui la vie. Il aurait suffi de penser que nous sommes des humains et que ce soir peut venir la mort. » Marcel Proust, « Une petite question ... », dans Contre Sainte-Beuve, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 645-646
Cité par Hélène Cixous, Le voisin de zéro, Sam Beckett, Galilée, mars 2007.

[2CD édité conjointement par POL et Dernière bande.

[3Y entrer.