« Je lus tout l’été. »

05/07/10 — Marguerite Bloch, André Spire et Ludmila Savitzky, Tom Keve, Anne Millet, Claude Rabant, et Henri Droguet


« Au mois d’août 1999, je débarquai six caisses d’Épineuil sur la rive de l’Yonne et deux sacs.
Deux sacs postaux en jute grise qui étaient remplis de livres [...].
L’été commençait bien. »
  Pascal Quignard [1]

Voici : un appel, une adresse, une insistance à exister ou à faire exister le plan, les plans qui auront à jouer des coudes dans la structure du montage. Comment respecter la singularité tout en participant au collectif ?


  Annick Bouleau [2]

« Le réel lacanien, comme le rappelle Clavreul, se définit avant tout de façon négative, comme ce qui ne se laisse cerner ni dans une symbolique, ni dans une représentation imaginaire. C’est ce qui ne colle pas, ce qui ne va pas, ce qui fait symptôme ». De là à dire que tout recouvrement est l’indice pour le sujet d’un rapport avec le réel, il n’y a qu’un pas, même si de multiples modalités du recouvrement coexistent qui, dans l’ordre du discours scientifique ou argumentatif, referment le tranchant des questions, refroidissent l’effervescence du moment d’émergence de ce qui dans le discours permet d’articuler autrement l’ensemble, de créer, comme le dit Clavreul, « une tranchée pénétrant dans la complexité d’un monde réel ».
  Caroline Gros [3]


En guise d’ouverture aux « lectures de l’été », quelques livres, qui ont en commun de mêler narrativité et réflexivité, la dimension historique, la réflexion sur l’époque (au sens large), en quelque sorte de s’adresser.

Court récit (mais ô combien documenté), correspondance longue, fresque historique (romancée), reprise de textes fondateurs, mises en perspective philosophique et éthique, donnent de réfléchir sur quoi, à qui et comment transmettre ce qui importe.
C’est parti !

Marguerite Bloch, Sur les routes de France 12 juin — 29 juin 1940 ; éditions Claire Paulhan

« Officiellement, on doit reprendre la route [4] à 3 heures, le vendredi matin. Bien que nous soyons sur un petit chemin transversal, dès 2 H., 2 H.1/2, on commence à entendre le piétinement de la multitude. Cela fait une espèce de « fond musical » absolument nostalgique, bruit de pieds, bruit de roues, bruit de moteurs, bruit de vie qui s’écoule. J’ouvre un œil, je vois qu’il fait nuit noire, je le referme et c’est Frans qui nous réveille vers 4H moins le quart.
La mise en branle n’est pas trop douloureuse. Tout le monde est de bonne humeur ; on est encore bien près de Paris ; mais cette petite bande de pays entre les éventuels Allemands (au fond de nous il doit subsister une petite espérance qu’ils n’entreront pas dans Paris, c’est tellement insoutenable !) nous apaise : encore quelques enjambées et on prendra le train. Où ? Juvisy, tout près, est tentant. On n’avance guère ce matin : d’interminables convois militaires, à chevaux, se sont enfilés par notre petite route, des autos privées qui chauffent et empestent s’y mêlent et avancent à pas d’homme peu pressé ; nous aimerions bien bifurquer. Mais près du poteau qui désigne Juvisy, un soldat. Il nous dit : « N’allez pas par là, vous ne pourriez pas continuer ; l’armée va prendre position sur la Seine. » Avec quel plaisir nous renonçons à notre plan ! Nous faisons confiance à l’Etat-Major : la retraite va enfin se justifier, on va tenir sur la Seine et la manœuvre va devenir claire. »

Nous sommes aux toutes premières pages de ce récit (p. 45, le récit proprement dit survenant à la page 25, après une préface substantielle de Danielle Milhaud-Cappe, et un cahier de photos). Marguerite Bloch, quitte Paris, avec sa fille Marianne, enceinte, le peintre Frans Masereel (9 planches, comme autant de croquis de cet exode figurent dans l’ouvrage), et de "Mops" Sternheim (qui fut le grand amour de René Crevel).
Marguerite Bloch est née Herzog (elle est la soeur d’André Maurois), l’épouse de Jean-Richard Bloch, écrivain reconnu, que publie Paulhan à la NRF.

La relation de la quinzaine de ce trajet de Paris à Poitiers (à pied) est très prenante, comme une épopée à la fois du courage et du dérisoire (l’essai avorté de quitter en voiture, les soldats à l’abandon, les nouvelles contradictoires, les préoccupations alimentaires, l’évitement des grand’routes, l’écart de perception entre ceux qui fuient et les endroits où la vie n’a pas changé). Le ton surprenant, vivacité de l’expression qui correspond à celle de la présence d’esprit et de la détermination de Marguerite Bloch.

Jean-Richard Bloch qui avait évoqué son propre exode dans une lettre à Jean Paulhan le 30 juillet 1940, lui signalait sans en désigner l’auteur le récit de sa femme qu’il aurait aimé voir publié dans la NRF. En novembre Paulhan sait que Marguerite Bloch en est l’auteur, et souhaite la suppression de "deux petits paragraphes" sur les Républicains espagnols. La suite : le dactylogramme signé Une française dormira dans les archives de Jean Paulhan, conservées depuis 1993 à l’IMEC. Il a été retrouvé par Claire Paulhan à l’occasion d’une recherche en vue d’une exposition sur les Archives de la vie littéraire sous l’occupation. [5]

Et désormais, cet ouvrage aux éditions Claire Paulhan [6] dont le rabat nous rappelle sobrement :
« Cette famille juive et communiste, tout à fait intégrée à la société française, participait activement à la vie intellectuelle et politique (Jean-Richard Bloch, était agrégé d’histoire). Mais elle allait être frappée de plein fouet par les conséquences de l’armistice de juin 1940 [7], évoqué par Marguerite Bloch dans ce récit. »

Ludmila Savitzky & André Spire, Une amitié tenace ; correspondance 1910-1957 ; éditions Les Belles Lettres

De cette édition [8] présentée, établie et annotée par Marie-Brunette Spire, que dire sinon qu’elle est en tous points admirable, et qu’elle donne de se prendre pleinement au jeu de cette correspondance qui offre une chronique des milieux politiques et littéraires sur une longue période qui plus est historiquement marquée par les deux guerres mondiales. En ce qui concerne cette correspondance, elle s’achève avec la mort à 76 ans de Ludmila Savitzky [9], tandis qu’André Spire lui survivra jusqu’en 1966, décédant à l’âge de 98 ans. La première fut une traductrice importante (Joyce, V. Woolf), le second un poète, et un théoricien de la poétique, hors de ses fonctions de juriste. Marie-Brunette Spire rend compte dans sa présentation avec beaucoup de délicatesse de la rencontre de deux tempéraments avec leurs exigences et que la situation alors difficile de Ludmila Savitzky aurait pu alors empêcher d’éclore, tandis que la finesse et la perspicacité d’André Spire lui donna tout son essor, tant au plan personnel, qu’en ce qui concerne les goûts littéraires ; cette intelligence partagée allant jusqu’à faire comprendre à Ludmila les préoccupations sionistes de son ami alors qu’elle était de prime abord étrangère à celles-ci.

Le premier extrait (il y a 446 lettres conservées), nous plonge dans l’univers relationnel et littéraire du temps (H. D. est bien Hilda Doolittle, ainsi qu’elle signait.) :

« Clamart le 7 mars 1921
Chers Amis, vous avez de la chance ! Une chance bien méritée d’ailleurs - d’être au soleil, dans les pins, dans les rochers, de prendre des poissons couleur du temps, de regarder des chats couleur de vie sauvage.
[...] Et puis j’ai terminé, vous entendez bien, terminé ma traduction Joyce : 392 pages écrites de ma main. Il me reste à revoir le tout, à corriger, à polir, et à faire dactylographier. Et puis nous avons ici depuis 10 jours mon petit neveu, un gentil gosse, amusant, intelligent, mais exclusivement épris de romans policiers. En outre, comme sa mère désire qu’il fasse sa 1re communion je dois lui faire apprendre par cœur son catéchisme : « le pape peut-il se tromper ? » — « non, le pape ne peut pas se tromper. » Etc .. Cela me change de mes occupations habituelles ! [...]
Budry a envoyé, paraît-il, le poème d’H. D. à Germain et attend sa réponse. M’a fait demander par Benda si je voulais donner tous les deux mois un article aux Écrits nouveaux.
Mireille Havet est à Villefranche-sur-Mer. Je lui ai dit d’aller vous voir si elle va à St-Raphaël. Cela vous amusera, elle est curieuse, pleine de talent, cette pauvre gosse anormale [10]. Et les Pound ? - je suis furieuse contre Joyce qui, sans venir jamais me voir, se plaint partout de la lenteur de ma traduction [11], - Miss [Sylvia] Beach en a parlé à Claire Gonon, Budry à Benda et vous comprendrez que je la trouve mauvaise, moi qui consacre tout mon temps à ce travail pour lequel aucun délai n’avait jamais été fixé. » [...]

Lud (150/446)

Les deux suivants nous montrent le critique amical, mais pas moins perspicace.

« Neuilly le 17 mars 1924
Chère amie, je pense que vous êtes revenus de votre tournée bretonne. [...] Rien encore fait pour Gustave Kahn, je téléphonerai ce soir. Je me suis cloîtré la semaine dernière pour achever mon article pour le Jewish Chronicle sur Franck [12]. Je ne sais s’il est bon. Mais en le lisant hier à haute voix à maman, Gabrielle et Jean Dalsace je me suis mis à pleurer, et il y en avait d’autres qui avaient aussi les yeux mouillés. C’est drôle un article que l’on fait en peinant, sans plaisir tant il faut condenser d’idées et de faits, et qui fini, vous fait sauter le diaphragme. Drôle, drôle de chose que le métier d’assembleur de mots ! »

De tout cœur à vous deux, chère amie, des deux Spire (285/446)

« Villa Belvédère, Sévrier H[aute] Savoie 11-VII-[19]22
[...]

J’ai le plus grand mal à achever les Amorandes (grillées). [13]
Détestable ! Systématique, mécanique, grinçant ! Tous les défauts de l’homme sauf le début qui est très beau, pas un travail de style, au moins au point où j’en suis, c’est-à-dire après le mariage, scène des plus comiques. Gabrielle m’a dit « tais-toi » parce qu’en lisant je ne peux pas m’empêcher de crier « roulant, roulant ». Et le dialogue ! D’un enfant.
Où est notre grand Benda ! Voilà ce qu’en ont fait les belles dames. Mais que lui écrire ! Je ne voudrais pas le désoler, ajouter à ses phobies. Il paraît qu’il est malade, ou cafardeux chez Mme Ludovic Halévy. C’est encore pour lui « l’heure de l’hébergé » [14].
Au revoir cher amis. Je vous embrasse bien tous deux et Gabrielle itou »

votre Spire (197/446)

Bref florilège - le livre fait plus de 700 pages - de ce qui, le temps aidant, ne fait pas du lecteur un indiscret, mais indique au besoin comment se fortifie une amitié, avec sa tonalité fortement teintée de spontanéité, et portée toute entière par la probité.

Tom Keve, Trois explications du monde ; éditions Albin Michel

Entrez dans une librairie, une libraire, c’est sûr, sera heureuse de vous parler de ce livre [15]. Ouvrez-le page 223. Vous lisez :

Vienne, décembre 1883

Deux jeunes gens bien emmitouflés remontaient d’un bon pas l’une des avenues du quartier de Leopolstadt. La pluie tombée en début de soirée avait rendu le trottoir glissant. Les hommes, qui allaient tous deux vers la trentaine, tous deux médecins, discutaient avec animation.

A la page suivante, vous découvrez Sigmund Freud (alias Sigi) en grande discussion avec Josef Paneth, en poste à Nice, où il a fait la connaissance d’un philosophe qui souffre de mélancolie. Qui n’est pas juif. Qui n’a pas changé de nom pour se justifier. Qui a écrit (c’est le sous-titre) Un livre pour tous et pour personne. L’auteur de Also sprach Zarathustra, nous apprend-il l’a écrit en offrande amoureuse à Lou von Salomé. Un amour perdu, mais toujours brûlant, fatal.
Et les voici chez le Dr Samuel Hammerschlag, professeur d’instruction religieuse. Soit dit en pensant, sa fille Anna, la véritable « Irma » qui fut la clef qui ouvrit les secrets de l’interprétation des rêves. Son véritable prénom fut ainsi aussi celui de la fille de Freud.
Vous suivez encore cette « fiction vraie » ? [16]. Au salon vous rencontrez Breuer (ce qui vaudra un savoureux échange sur Berthe Pappenheim (Anna O.) ; il est question de persécutions antisémites, du rôle de l’éducation, mais aussi des limites de la rationalité et du Zohar, et d’Ernst Mach [17], et je ne me prive pas de citer cet échange :

— C’est un homme que j’admire dit Freud. Son Compendium de physique à l’usage des médecins demeure le meilleur livre sur le sujet. Depuis, personne ne s’est hasardé à proposer une synthèse de la psychologie, de la physique et de la médecine.

— C’est vrai, approuva Breuer. Et il n’est pas homme à se reposer sur ses lauriers ! Il passe le plus clair de son temps à travailler sur l’histoire des sciences et la philosophie pour arriver à une théorie qu’il trouverait enfin satisfaisante.

— Quel dommage qu’il ne soit pas juif ! soupira Hammerschlag.

— Vous seriez d’accord avec lui, professeur Hammerschlag, reprit Freud. Mach a écrit qu’à moins d’étudier l’histoire de nos idées, nous ne pourrons jamais les comprendre. Il y voit même la condition sine qua non pour identifier les véritables questions. Autrement, nous en restons aux vieilles énigmes, nous les acceptons par habitude et elles n’excitent plus notre curiosité.

Dernière réplique que j’adopte volontiers comme clé, de ce qui parut d’abord sous le titre Triad : The Physicists, the Analysts, the Kabbalists, à Londres aux éditions Rosenberger & Krausz, en 2000 [18].

Prenons ce livre par la fin maintenant : Postface - de l’auteur - (pp. 495-505, Sources (pp. 507-519), Glossaire (de l’auteur et de la traductrice) : hébreu, yiddish, sciences, lieux 521-527, et Dramatis personae : 529-544, avec à la lettre W un Wittgenstein philosophe bien sûr mais aussi bienfaiteur de Rilke, et étudiant à Manchester en ingénierie aéronautique, et enfin 545-549, des remerciements aux personnes, aux institutions (on note Le Coq-Héron [19], et Judith Dupont, pour les documents relatifs à Ferenczi).
Bref un appareil critique très impressionnant.
Quant à l’histoire ? juste préciser que les premières pages démarrent le 30 août 1909 drôlement avec le calami "Freund" du Staats-Zeitung de New York, que relève Ferenczi - qui accompagne comme Jung le professeur viennois - pour une conférence à laquelle assistera Ernest Rutherford, et ces mots qu’il adresse à son ami Gyuri Hevesy [20] :

« Freud te dit ses amitiés, écrivit-il. Il est brillant, comme toujours, mais toujours aussi effrayant. Un prophète de l’Ancien Testament, un messie du xxe siècle, qui a le tort de se prendre pour Isaac Newton. Car la psychanalyse, notre science, est bien plus que cela : voilà que par elle remontent soudain à la surface des vérités anciennes, jusque-là perdues dans les recoins les plus obscurs de notre culture ; et ce qui sourd ainsi des profondeurs de notre âme collective, c’est la connaissance secrète, qui n’est pas secrète, puisque chaque homme la porte en soi. Ah, Gyuri, pendant que tu étudies le monde du dehors, nous faisons nos découvertes dans le monde intérieur. Entre les deux, un gouffre, et nous n’avons pas encore trouvé le pont pour passer de l’un à l’autre. Et il attend de moi que j’affirme haut et clair qu’il n’y aura jamais de pont ! Cette pression... c’est le pire ... »

Pour le reste, un roman, et à celui qui acceptera la convention du genre (rencontres, rebondissements, énigmes, intrications, renversements, hypothèses, contre-hypothèses, humour, émotions), l’attend un excellent moment ; quant à celui qui ne s’en laisse pas conter, il y prendra autant de plaisir et qui sait si sa science des textes ne s’en trouvera pas plaisamment conjecturée. Après tout Augustin s’émerveillait déjà de ce qu’on pût avoir la science de sa jubilation...

Anne Millet, Psychanalystes, qu’avons-nous fait de la psychanalyse ? éditions du Seuil

“En cette année 1953, lorsque Lacan s’empare de l’amphithéâtre de l’hôpital Sainte-Anne, son manifeste est clair : « Fini de rire ! » prévient-il. Fini d’écouter benoîtement ! Ce dont il est question désormais, c’est de penser ! Pour commencer, dit-il, il faut revenir à la fin : la fin de Freud, son testament, ce texte difficile qu’il a légué à ses successeurs en 1937 et dont il s’agit - douleur ou pas - de comprendre l’essentiel : s’il y a une chose dont le fondateur a eu conscience, c’est bien « qu’il n’y était pas entré dans la Terre promise » ! Constat d’échec donc, du moins d’impasse, et à propos duquel Lacan prend soin de mettre en garde : parce que ce testament est « difficile à assimiler pour peu qu’on soit analyste », mieux vaut ne pas le donner à lire « à n’importe qui ». N’importe qui, en tout cas, « qui sache lire ».”

Sous le chef « La confusion des langues » révélée, débute selon Anne Millet, psychologue-psychanalyste, « L’opération lacanienne » destinée à « Sauver la pratique ». [21]

Au titre, vendeur ? de ce livre, l’éditeur eût été sans doute mieux inspiré de substituer celui de métamorphoses de la cure où quelque chose d’approchant, tel que le manifeste le sommaire en cela très clair : Aux origines de la cure (Les désillusions freudiennes) ; La cure instituée (Sur le divan de Freud) ; La cure en question (Fatigues et ambivalences freudiennes) ; La cure déportée (Lacan, la révolution esthétique) ; La cure en bataille (Freud, Ferenczi, Lacan : la discorde) ; La cure contestée (Serge Viderman, François Roustang) et en conclusion : La cure (ou le psychanalyste ? ) en crise.

Ces inter-titres montrent ainsi de quoi il retourne, la bibliographie confirme qu’il s’agit d’une thèse remaniée : « Evolution de la cure analytique à travers ses conflits et ses crises. » (juillet 2008, Paris VII [22] )

Le livre publié au Seuil est écrit d’une plume alerte. Il rejoint à sa façon celui de Tom Keve, avec un Ferenczi empêcheur de tourner en rond : Freud lui tourne le dos (1932), et Lacan tourne le dos à Granoff (1952) évoquant le malentendu de 1932 : infantile quand tu nous tiens ! le contre-transfert brûle de tous ses feux ! la Verleugnung va naturellement se nicher dans les mots : pas de tergiversation, gronde l’analyste ; or tergum vertere c’est, proprement, tourner le dos.
L’ouvrage, bien documenté comme il se doit, donne toute son épaisseur à quelques moments-clés de la saga psychanalytique ; il met en valeur pour conclure deux figures de francs-tireurs : François Roustang (on se souvient du directeur de Christus avec De Certeau, puis d’Un destin si funeste [23] ) aujourd’hui hypnothérapeute dans la veine éricksonnienne, et Serge Viderman [24] dont sont rappelés les propos relatifs au contrat léonin qui dès le départ lie l’analyste et le patient dans un certain cadre [25].

On retiendra, dans la conclusion (p. 293), cette disposition frappée au coin du bon sens, dont il arrive qu’elle soit partagée :

« Que l’analyse, à l’issue d’une cure, soit interminable par le rapport particulier qu’elle instaure à soi-même et aux autres, par l’effet de distanciation et de lucidité critique qu’elle apporte, est indéniable. Un tel processus toutefois, pour être réussi, suppose aussi que le divan n’opère plus comme le point d’attraction et de fascination par excellence : qu’il devienne plutôt une disposition interne, une manière fluide et légère de se mouvoir dans l’existence, de se comprendre soi-même et d’être en relation avec autrui. Disposition souhaitable pour le patient, une fois reparti dans la vie. Mais souhaitable plus encore, et sinon nécessaire, pour le psychanalyste qui a fait le choix de ne pas quitter l’analyse. [26] »

Claude Rabant, Métamorphoses de la mélancolie ; éditions Hermann

Voici un livre qui devrait m’entraîner (acting out) à lire enfin un livre sur la table depuis quelques mois : Le plaisir de pensée, de Sophie de Mijolla-Mellor, qui porte en quatrième ces mots :

« Le plaisir de pensée se cisèle contre l’attitude autohypnotique de la méditation sur fond de mort. C’est un plaisir de théoricien avec son érotisme propre, donnant la main aux infinies questions de l’enfance et à la fantasmatisation qui accompagne toute spéculation intellectuelle [27]. »

C’est dit. Quelques mots de Jean Oury en préface du livre de Claude Rabant [28] pour s’en convaincre :

« On peut suivre Claude Rabant dans ces sentiers du « télos absolu » ; « dialectique » de Kierkegaard qui préserve éthiquement le « comment » devant les assauts « esthétiques » du « pourquoi ». Dialectique subtile en prise avec les « intériorités » banales, psychotiques ou normopathiques. Nous pensons toujours greffer l’angoisse dans la case de « l’embarras » (dans la matrice à neuf cases proposée par Lacan pour la lecture de Inhibition, Symptôme, Angoisse de Freud). C’est de l’ordre d’un saut logique, créateur de concepts, marque du « paradoxe absolu » de Kierkegaard, dans sa dimension du « sérieux », notion extrême, basique, loin du Gemüt ordinaire, dans la démarche purement « analytique » du « télos absolu ». [...] Ce ne sont là qu’arguments apparents, proches d’une « justification » (au sens de Kant repris par Hegel dans un commentaire de Walter Benjamin ... ) d’une démarche aporétique « du sujet, du sexe et du savoir » dans l’articulation de Lacan.
Ne pas en dire plus. C’est une simple invitation à lire ce travail du « semblant ». Chacun peut y trouver source de réflexion concrète sur ce qui nous aide à sauver Freud dans cette époque sournoise où la confusion entre langue, langage, dit, dire ... nous menace à travers un appareillage sophistiqué, écrasant par une logique pseudo-empirique misérable l’émergence d’une phronésis à la dérive. »

Allons plus loin.

Ce à quoi d’emblée invite le tout premier chapitre : Erweiterung : l’élargissement, la sortie des étroitesses, cf. Celan : « Elargissez l’art », Michaux : « Dilataste cor meum », et ici Imre Hermann [29], dont Claude Rabant prend la pulsation : « Dans l’activité de pensée, la passion remplace métaphoriquement le feu, et dans la parole l’ardeur devient force rhétorique du corps lui-même. En tous les sens, une écriture devient nécessaire, une gestuelle, comme foyer du langage sonore et de la passion paradoxale, support de la pulsion du large - asymptote de tous les mondes absents, rêvés. »

Voici le plan, la carte, pour savoir où nous nous rendons : I - Erweiterung, II - Primitivité du désir, III - S’incliner devant la mort, IV - Le mal, V - La différence absolue, VI - Représentance et Surmoi, VII - L’écriture et la traduction, VIII - La pulsion de mort et le principe civilisateur, Conclusion - Des noms et des nomades.
Avec cette « feuille de route », quel équipement ?
Imre Hermann, on l’a dit, Kierkegaard [30] la citation d’Oury l’a signalé aussi, Spinoza et son Éthique, Schopenhauer, Freud, centralement, Ferenczi, Lacan lu à la loupe en tel ou tel endroit [31], mais aussi Chester Himes [32], Philip K. Dick [33], Shakespeare : magnifique lecture de Macbeth !

Quel(s) enjeu(x) ? de pensée, ni plus, ni moins. [34]. D’éthique, celle-ci se spécifiant en écriture dont la composante pédagogique se fait respect aussi discret qu’agissant. Ne serait-ce pas tout un ?
Fin des compliments. Revenons au livre, au texte, aux « transitions insensibles » je me réfère aux pages 262-267 (Le roc originaire), c’est quelque chose !

« Du reste, si l’on se réfère à l’idée de « destin », que Freud emprunte très largement à la réflexion de Schopenhauer, on est amené à affirmer que le « destin » (au sens de destins des pulsions, de destins de la sexualité) n’a rien à voir avec l’ανάγκη. Si cette dernière, dans son usage freudien, peut s’entendre en écho à la nécessité spinozienne, en revanche le destin est un nouage de signifiants qui, comme tels, relèvent du refoulement et de l’interprétation.

Si bien que la « révision » que Freud attend de l’analyse concerne bien plutôt la transformation silencieuse de ce nouage, et donc une révision du destin, une récriture du refoulement originaire. Et ce d’autant plus que, s’il est possible de récrire le refoulement originaire, alors l’instant de la mort perd sa fonction de « jugement dernier » où seul était possible, selon Schopenhauer, une inscription destinale de l’existence.

Pour Freud même, la mort représente apparemment bien plutôt une « transition insensible » qu’un tel tribunal. Pour deux raisons. L’une est que, méditant sur la fin, la sienne et celle de l’analyse, il effectue en même temps une passation de pouvoir, nommément à sa fille Anna, illustrant ainsi de quel poids est l’expérience de la génération dans l’inscription du refoulement originaire. La seconde est que la transition, pour le coup, n’est pas une transition organique mais une transition de textes.
À travers la transition de son œuvre à celle de sa fille, c’est du destin des textes ou du texte en général qu’il est question. La mort est à l’œuvre à même le texte, au sein de la textualité qui finalement nous constitue bien plus encore que nos tissus organiques.
C’est ce texte qui nous relie au monde et aux autres, c’est lui le Zusammenhang [35] auquel travaille Eros. Or il est de l’essence du texte d’être éternellement menacé : une page entière est consacrée aux différents destins, depuis la censure jusqu’à la destruction pure et simple, susceptibles d’advenir aux textes et de leur être infligés. La pulsion de mort, qui ravage jusqu’au sexe, est à l’œuvre, au dernier terme, dans la textualité même. »
[266-267]

J’appelle cela : lire [36]. Ici, c’est comme si Blanchot redivivus [37] s’inscrivait dans ces dernières lignes.

Il ne reste qu’à faire retour amont ! Pour moi, je ne m’« arrête » ici que pour faire passer... dans la textualité même, à qui n’est pas « tenu en lisière par la novlangue », ... (p. 89).

    Envoi : Henri Droguet : Avis de grand frais ; Boucans, Wigwam éditeur

[...]

le petit d’homme que son membre
rigide et l’embrasant désir
inopinément turlupinent
s’enchante à l’amoureux vertige
et pour le fêter vide
un flacon d’âpre vin violet

plus tard il rêve au rivage
il va
    tomber très haut
en arrêt tourne
sa face aux souffles et crache
il s’étonne — rien pourtant
n’est jeune il le sait — d’un chien jaune
hirsute jouasse qui jappe au flot
tente mordre la vague
et le vent le rebrousse
l’implacable
la mer rue tousse

nul ici n’ignore
l’importance des petits riens
la fragilité vaguement lumineuse
l’éternité fossile des étoiles
et ce qui reste à rire et chanter
c’est la ténèbre toute crue
 [38]

Avec Boucans d’Henri Droguet [39], prend fin l’aventure éditoriale de Wigwam menée par persévérance par Jacques Josse : dix neuf ans, 81 titres, une couverture - généralement d’un beau rouge vif - des pages à découper, et l’écriture manuscrite de l’une d’elles en quatrième. Mais la voix de fin silence de Jacques Josse [40] se fera encore entendre, discrète, dans d’autres livres à venir...

© Ronald Klapka _ 5 juillet 2010

[1Pascal Quignard, 1640 ; in Scherzo, octobre 1999, pp. 5-6, Les Ombres errantes, Grasset, 2002, fait de ce paragraphe de 1640, le chapitre XXV du livre aux pp. 80-81.
Bonheur de se remémorer la découverte de ces pages de Pascal Quignard, in statu nascendi.

De les relire, avec toutes leurs conditions formulées négativement : « ...Même pas à l’intérieur des rêves, pis que les moustiques femelles, la mémoire... Pas un coq qui côche... Pas la moindre affectation de gaité autour de [s]oi qui donnât le désir de se suicider toutes affaires cessantes... »

De le re-trouver dans quelques uns des livres présentés ou mentionnés dans cette lettre.

[2Annick Bouleau, chercheur, cinéaste (Son travail a déjà été mentionné dans la lettre du 4 janvier 2010), présente champ contrechamp, 2010, dispositif associant une vidéoprojection murale et un moniteur TV, en face à face, composé de … Voir ce que tu ne verras jamais, et de … L’instant fatal.

[3In Caroline Gros, De l’expérience de la cure comme expérience de vérité : l’alètheia chez Jean Clavreul, sur le site de Dissonances freudiennes, faisant partie de A Jean Clavreul, Répliques, aux éditions Apolis. La lettre du 19 octobre 2009, a salué son Ludwig Binswanger, aux éditions de La Transparence.

[4Marcel va peut-être venir ici aujourd’hui pour 24 heures. Il nous apportera sans doute la lettre que vous lui avez envoyée. JRB m’a écrit plusieurs fois de Poitiers et chaque fois il me demandait votre adresse, que je n’ai pas pu lui donner. Il m’a raconté le cordial accueil d’Étienne et Loulette au moment où, pédestrement, il passait par Lestiou et Avaray pour gagner Poitiers. Sa femme et une de ses filles (enceinte) ont également, mais par un autre chemin, fait à pied le voyage de Paris à Poitiers. Et combien d’autres ont fait les mêmes exploits, absurdement imposés par la plus absurde des catastrophes.
L(udmila)
in Ludmila Savitzky & André Spire, Une amitié tenace lettre364/446, p. 587. JRB = Jean-Richard Bloch, sa femme = Marguerite Bloch, sa fille Marianne. Marcel = Marcel Bloch, époux de Ludmila Savitzky.

[5Lire ce billet sur : Robert O. Paxton, Olivier Corpet, Claire Paulhan. Archives de la vie littéraire sous l’occupation, À travers le désastre Tallandier / IMEC éditeur, 2009.

[6Marguerite Bloch
Sur les routes avec le peuple de France, 12 Juin - 29 juin 1940, éditions Claire Paulhan, 2010.

[7A cet égard, lire le témoignage de Marcel Bloch, dans sa lettre du 19-10-[19]40, cité en annexe de Ludmila Savitzky & André Spire, Une amitié tenace :
Vichy 19-10-[19]40 15 heures.
Tu as vu les journaux de ce matin et le fameux statut.
Il est beaucoup plus sévère qu’on s’y attendait. Le gouvernement Pétain-Laval a forcé sur la note. Mais s’il croit par là que je baisserai la tête et tendrai le cou - il se trompe étrangement ... et nous sommes nombreux à penser de même. J’ai un culte : la France. Un idéal : la France. Ce n’est pas un gouvernement, forcément précaire et éphémère qui m’empêchera de me sentir Français et Français entièrement. Ma famille est française depuis bien avant dans les siècles.
Le reste pp. 719-721, magnifique de probité.

[8Ludmila Savitzky, André Spire Une amitié tenace. Correspondance 1910-1957 Introduction, notes et annexes de Marie-Brunette Spire ; éditions Le Belles Lettres, 2010.

[9cf. p 710 : « Son agenda s’interrompt brusquement au soir du dimanche 22 décembre. Elle s’éteint cette nuit-là, pendant son sommeil.
On a trouvé Ludmilla Savistky [sic], l’autre dimanche [22 décembre], dans sa chambre, dira un court article non signé du Figaro littéraire [samedi 4 janvier 1957]. Elle avait un livre à la main (L’Homme sans qualités, de Robert Musil), ses lunettes, et, la tête baissée, paraissait assoupie. Elle était morte sans s’en apercevoir. Elle avait soixante-seize ans. »

[10Ludmila avait rencontré la famille du peintre Henri Havet à la Chartreuse de Neuville. Sa fille, Mireille Havet (1898-1932), avait alors dix ans, Ludmila vingt-sept. Une tendre et solide amitié s’établit entre l’enfant puis la jeune femme et Ludmila pourtant si différente de tempérament psychologique et littéraire. Mireille léguera à Ludmila tous ses papiers, dont les lettres qu’Apollinaire lui avait écrites, et son étonnant et monumental journal (1913-1929). Dernier tome paru aux éditions Claire Paulhan : Journal 1927-1928, v. lettre du 20 avril 2010.

[11André Spire, « La rencontre avec Joyce »), Sylvia Beach, 1887-1962, Le Mercure de France, numéro d’hommage à Sylvia Beach, août-septembre 1963, p. 41-45. Dans ce texte, Spire minimise son propre rôle, mis en valeur dans tous les récits de la première rencontre qui se fit chez lui, à Neuilly, en juillet 1920, entre Sylvia Beach et James Joyce, à commencer par ceux de Sylvia Beach elle-même, et d’Adrienne Monnier. Il se dit tout à fait étranger aux luttes qui, par la suite, permirent à Sylvia Beach de mener à bien la publication d’Ulysses en anglais et à Ludmila la traduction de Dedalus en français. Par contre il souligne les difficultés de Ludmila avec les éditeurs et Joyce lui-même. À son arrivée de Trieste elle l’avait hébergé, et, ayant commencé sa traduction dans l’enthousiasme, elle la finit avec « un cafard monstre », « furieuse ») contre « Joyce qui, toujours à soi, toujours pour soi, au lieu de l’encourager de ses conseils, de l’aider à transposer en français un texte "dont elle avait deviné mieux que quiconque la grandeur démesurée", ce Joyce qui bien que son voisin à Passy ne venait que très rarement la voir, et ne répondait que par des mots vagues ou des blagues aux questions précises de la plus scrupuleuse, la plus pénétrante des traductrices ou clabaudait contre ses prétendues lenteurs, montrant envers elle-même la même indifférence, l’absence de chaleur humaine, de simple charité qu’envers cet autre artisan passionné de sa gloire, Sylvia Beach ». Note 113, p. 716. Voir aussi la relation de la rencontre avec Joyce, pp. 238-240.

voir aussi, page 489 : P. S. Marcel m’a envoyé le feuilleton de Souday sur Dedalus - d’une platitude et d’une incompréhension écœurantes. Pfouï ! comme disent les Boches. Il faudrait ouvrir les fenêtres et renouveler l’air de la critique françaisé ! Vous verrez dans Europe l’article de H. Hertz sur le même sujet. Ça, c’est intelligent ! cf. cette note :
Henri Hertz, James Joyce - Dedalus (portrait de l’artiste jeune par lui-même), traduit de l’anglais par Ludmila Savitzky, (Éditions de la Sirène), Europe, octobre 1924, p. 246-249.
Voici sa conclusion : « Mme Ludmila Savitzky a été fidèle à l’inspiration de cet ouvrage, à la fois plantureux et déchiqueté, comme l’Ile d’infortune, en dédaignant de la plier à des simplifications élégantes. [...] Il est surprenant, par contre, d’entendre des lettrés soutenir que cette traduction a découragé la critique. Quelle critique ? À moins d’en être encore à la conception désuète, artificielle et méprisante suivant laquelle les livres étrangers, considérés comme peu expressifs en eux-mêmes, ne sauraient être en France, que l’occasion de conventionnelles "figures" à la française ! ... »

[12Une note, p. 453, précise :
Fin 1923 Spire est chargé par Daniel Halévy, qui dirige la collection des Cahiers verts chez Grasset, de faire une introduction pour une réédition augmentée des lettres d’Henri Franck, déjà partiellement publiées dans une édition hors commerce en 1920. Spire avait depuis longtemps à cœur de rendre hommage à celui qui fut son ami mort prématurément et qu’il tenait pour un génie. Le livre paraîtra début 1926 (Henri Franck, Lettres à quelques amis, Préface d’André Spire, Grasset, 1926).

[13Julien Benda, Les Amorandes, Émile-Paul frères, 1922.

[14Allusion au penchant de Julien Benda à se faire continuellement inviter, chez les Spire, chez les Bloch, chez d’autres encore. Dans sa réponse à Spire, Ludmila l’appelle « St Julien l’Hospitalisé », et dans une lettre à Marcel Bloch datée 14 septembre 1926, elle se dira lasse de son « pique assiétisme éhonté » (Fonds Ludmila Savitzky/IMEC).

[15Tom Keve, Trois explications du monde, Albin Michel, 2010.

[16Dans sa chaleureuse recension : « Des atomes crochus » Michel Plon donne cette définition à laquelle on ne peut que souscrire :
C’est un roman, un roman que l’on peut inscrire dans ce genre en plein essor que l’on qualifie fréquemment de « fiction vraie » et qui consiste en la réinvention, souvent rigoureuse mais susceptible de donner lieu à des polémiques plus ou moins vives, d’échanges et de dialogues soutenus entre des personnages ayant réellement existé, souvent illustres, en la création de situations vraisemblables laissant apparaître comment lesdits personnages ont pu agir, créer, découvrir, voire décider non sans parfois des conséquences graves mais finalement proches de ce que fut la réalité.
Complétant in fine :
Dans sa postface, [...] l’auteur s’explique quant à ses intentions et pose la question, pourquoi un roman lors même que la matière du livre est pour l’essentiel fondée sur des faits historiques ? Mais comment appeler autrement un ouvrage dont l’essentiel tient en des dialogues dont il n’existe, et pour cause, aucun enregistrement ? Circonstance aggravante mais réponse à ces deux questions, Tom Keve précise qu’il n’a jamais voulu donner un tableau équilibré ou exhaustif de cette aventure, les Trois explications du monde, ce n’est que le livre « qu’il voulait écrire ». C’est chose faite, dans une traduction des plus heureuses due à Sylvie Taussig ; alors un conseil, ne pas oublier ce livre en ces temps où les valises sortent des armoires !
La Quinzaine littéraire, n° 1018, 1-15 juillet 2010 ; p. 22.

[17Auquel Musil consacra sa thèse.

[18Cf. ce commentaire de David Tresan : A triad suggests a simple structure. Not so this book whose aspirations are great and complex and whose both strength and problems lie in its ambition. Regarding strength, Triad is an intelligent history of the analogous advances in both analysis and physics inthe 20th century with concepts of kabbalah as supporting proleptic commentary. At a deeper level it is also a thoughtful search in three modes for the truth of reality. Asto problems, Triad takes on the onus of presenting and collating in 341 pages an enormous amount of assiduously researched historical data about specific analysts, physicists, and kabbalists. Fortunately, the effort is felicitous. The book works. It is a good read and a substantive although popularized apologia for the serious matters it takes up

[19Ce n’est pas seulement le nom d’une rue de Paris, mais celui d’une association de psychanalystes et de leur revue : Le Coq-Héron

[20Si le livre démarre comme une autobiographie de Ferenczi, l’épopée de Georges de Hevesy, prix Nobel de Chimie 1943, n’en constitue pas moins un des fils directeurs du livre.

[21Anne Millet, Psychanalystes, qu’avons-nous fait de la psychanalyse ? éditions du Seuil, p. 145.

[22Echos imagés sur le blog d’Ivan Sigg.

[23François Roustang, Un destin si funeste, 1977, éditions de Minuit
Collection « Critique ».

[24Le petit ouvrage d’Andrée Bauduin aux PUF, introduit de manière limpide aux thèses de Serge Viderman.

[25Anne Millet de rappeler ces propos de la Construction de l’espace analytique :
« La position de l’analyste, complément de celle du patient, devait accroître la liberté du patient, elle finira par rendre plus saisissante la disparité des forces qui décident de l’organisation de la situation analytique. Le silence de l’analyste devait permettre au patient de disposer seul du plus grand temps de parole, il devient aussi le plus sûr moyen de la frustration. Seul le silence de l’analyste est légitime. Sa parole surgissant à l’improviste, quand il veut et comme il veut, peu ou beaucoup selon la nécessité (théoriquement) ; l’humeur variable, le hasard du moment ou ses propres besoins inconscients - comment le savoir ? - marqueront la réalité profonde, irrationnelle, d’une situation conçue au départ dans une intention idéalement rationnelle. » (p. 50)

[26Le lecteur a pour vérifier la nature de cette disposition interne, de cette manière fluide : l’émission "La fabrique de l’humain" de Philippe Petit, où Anne Millet converse avec Roland Gori et Christian Godin, ainsi qu’une video d’Arte (« bonus internet »).

[27Sophie de Mijolla-Mellor, Le plaisir de pensée, PUF, 2006, 1ère édition 1992, cité dans cet entretien qui interroge la métapsychologie du fait religieux.

[28Claude Rabant, Métamorphoses de la mélancolie ; préface de Jean Oury, éditions Hermann, 2010.

[29Encore, le Coq-Héron, forcément.

[30Ainsi p. 99 :
Le névrosé moderne ordinaire témoigne ainsi de son improbité, dans le sens kierkegaardien du terme, par la complicité qui le rend dupe de ce méfait, petit ou grand, même s’il n’en est pas la cause mais seulement la victime. L’exigence (psychanalytique) d’opérer honnêtement avec le désir résonne de toute évidence ici en écho avec l’exigence de probité kierkegaardienne : « Mais désirer juste, voilà un grand art, ou plutôt - un don ».
(Kierkegaard, Ou bien ... Ou bien ... Tel Gallimard, 1988. « Les étapes érotiques spontanées, ou L’érotisme musical », p. 43. A cet égard, comment ne pas résonner avec La voix déliée de Bernard Baas, Don Giovanni prouvant.)

[31Par exemple :
Nous suivrons pour ce passage des Psychoses, non la version des éditions du Seuil, mais la sténotypie et l’interprétation qu’en donne Jean Allouch. Sténotypie : « C’est dans cette relation à un Autre, dans la possibilité de la relation amoureuse, en tant qu’elle est abolition du sujet, en tant qu’elle admet une hétérogénéité radicale de l’Autre, en tant que cet amour est aussi mort, que gît le problème, la distinction, la différence entre quelqu’un qui est psychotique et quelqu’un qui ne l’est pas ».
Commentaire de Jean Allouch : « La séquence "en tant que cet amour est aussi mort" veut dire, conformément aux propos de Rousselot, que cet amour vivant, pour autant qu’il se réalise, implique l’abolition du sujet ; qu’il est d’ordre sacrificiel ; qu’il est vivant mais aussi qu’il est, non pas un amour mort (1), mais une mort, celle du sujet » (2)

1. Comme l’écrit la version établie par ].-A. Miller et publiée par le Seuil :
« À quoi tient la différence entre quelqu’un qui est psychotique et quelqu’un qui ne l’est pas ? Elle tient à ceci, que pour le psychotique une relation amoureuse est possible qui l’abolit comme sujet, en tant qu’elle admet une hétérogénéité radicale de l’Autre. Mais cet amour est aussi un amour mort. » (p. 287) )
2. Jean Allouch, « Remarques sur les transcriptions des séminaires, conférences et interventions orales de Jacques Lacan ». Document de travail proposé aux participants du colloque Du Séminaire aux séminaires. Lacan entre voix et écrit. Site Œdipe. Paris les 26 et 27 novembre 2005.

[32Chester Himes, La fin d’un primitif, Gallimard, collection Folio, 1985.

[33Philip K. Dick, Si ce monde vous déplaît, Editions de l’Eclat, 1998.

[34L’auteur, né en 1940, de formation philosophique (ENS, agrégation), professeur à Paris 8 (département de psychanalyse), a été membre de l’Ecole freudienne de Paris, puis cofondateur du Cercle freudien.

[35Un glossaire, c’est bien, donne in fine la signification des termes en allemand, ou en grec : Zusammenhang, ce qui se tient ensemble, est traduit par liaison, connexion, réseau, ανάγκη, très classiquement par nécessité.

[36Je suis à la fois responsable et coupable (Bataille) de l’« aération » du texte

[37Si Freud (v. Tom Keve), pouvait, à juste titre, s’émouvoir de ce qu’une météorite — « écriture du dés-astre » — parvînt jusqu’à lui depuis « les siècles des siècles » , je suis sensible à ce qu’une consoeur (Monique Scheil) à qui je ne peux que souhaiter d’avoir lu Demeure de Derrida, et Tenir au secret de Ginette Michaud, cite Claude Rabant à propos de L’Instant de ma mort, et indique à cet endroit l’aphanisis de toute parole...

[38Henri Droguet, Avis de grand frais, 5 mars 2009, aux éditions Wigwam, juin 2010. C’est la seconde partie du poème qui est ici citée.

[39J’admire comme sans l’air d’y toucher, en quelques vers d’une grande simplicité, nous parle le lecteur de Celan, c’est sûr, et peut-être, ô inconscient, pour ce petit d’homme, de Ferenczi - celui de Thalassa, psychanalyse des origines de la vie sexuelle, mais aussi celui que, par "anticipation", nous décrit malicieusement Tom Keve, l’amoureux de Gizella - Gisèle ! dirait Meens, qu’il harcèle (vainement) de fleurs et de vers langoureux.