Henri Maldiney, marcheur impénitent et rochassier subtil

texte du 17 janvier 2003


L’apparition du Cervin [...], nous arrache à l’oubli. A l’inverse de la perception qui conduit à nous perdre littéralement dans l’objet, elle nous révèle à nous à un niveau d’existence réel autant qu’imprévisible, et qui est "incherchable et sans chemin d’accès".

"Il suo stile inconfondibile sigla anche il Cervino, saggio che pensa la più famosa tra le montagne occidentali in modo profondo e sorprendente. Chi farà l’esperienza di questo testo si troverà di fronte ad una sfida simile a quella che compie lo scalatore estremo."


C’est dans une belle collection rassemblant des écrits relatifs à la montagne qu’on trouve Cervino le premier texte traduit en italien de Henri Maldiney.

Et c’est à un Cervin de la pensée que nous invitons le lecteur à se confronter ! Aussi a été réuni un dossier, dont on espère qu’il ouvrira des voies pour une ascension réussie [1]

L’une d’elles a déjà été explorée lors d’une chronique précédente croisant un texte autobiographique de l’auteur : "In media vita" et la lecture d’André du Bouchet, autre marcheur auquel Henri Maldiney avait rendu hommage dans "l’Art, l’éclair de l’être." (ouvrages aux éditions Comp’Act)

Jacques Neyme, qui dirige les éditions Encre marine, avait assuré la publication de cette rencontre en 1990 à Lyon autour du professeur Maldiney (Existence, crise et création). Rappelons que celui-ci né en 1912, a enseigné dans l’Université de cette ville (chaire d’esthétique) jusqu’en 1980 et qu’il vit actuellement en Auvergne.

Prétexte nous est donné de revenir sur l’oeuvre du philosophe lyonnais, avec le travail considérable : Henri Maldiney, une phénoménologie à l’impossible (Le cercle herméneutique, Collection Phéno, Paris, 2002), effectué par Serge Meitinger qui a magistralement coordonné de substantielles contributions afin de rassembler les diverses faces de l’oeuvre, voies d’accès pour les uns, vue d’ensemble pour les autres : qu’on lise ou relise "Montagne" ce chapitre de "Ouvrir le rien, l’art nu" [2] et l’apparition du Cervin permettra de déplier ce sous-titre peut-être a priori un peu difficile : "une phénoménologie à l’impossible". (Rappelons, une manière d’éclairer peut-être, qu’un chapitre de L’art, l’éclair de l’être-pp. 51-91- a pour titre : Une phénoménologie à l’impossible : la poésie.)

Serge Meitinger en a donné une autre modalité de compréhension en évoquant sa découverte d’une lithographie de Bazaine le mettant en présence du visage d’Henri Maldiney.

La bibliographie d’Henri Maldiney n’est pas très étendue, les éditeurs qui l’ont accueilli ne sont pas spécialement "grand public" : Comp’Act, Deyrolle, l’Age d’Homme, Théétète, Klincksieck, La Sétérée, et il faut être un Jacques Neyme pour s’atteler à la composition et à l’impression d’un manuscrit d’un million de caractères ! (Ouvrir le rien, l’art nu). Il est cependant clair et ce dernier exemple le montre, que tous ceux qui l’ont approché ont été définitivement marqués par cette rencontre.

C’est pourquoi outre l’introduction du livre coordonné par Serge Meitinger qui reprend de manière extrêmement pédagogique les contributions et donne des aperçus éclairants sur les différents champs abordés : arts plastiques (Ouvrir le rien, l’art nu), poésie et langage (Aîtres de la langue et demeures de la pensée, Vouloir-dire de Francis Ponge), philosophie (Existence, crise et création), psychiatrie (Penser l’homme et la folie), on a voulu donner la parole à deux élèves et non des moindres de Henri Maldiney :

Claude Louis-Combet brosse un portrait saisissant (main, regard) de celui qu’il appelle le maître et dont il écrit : Le maître, en effet, ne se contentait pas de donner, il se donnait.

Il nous offre aussi une très belle recension d’un recueil d’écrits sur Tal-Coat : Aux Déserts que l’histoire accable.
Quant à l’entretien de Jacques Neyme avec Thierry Guichard (Le Matricule des anges), il ne révèle pas tant le lien du disciple avec le maître que celui de l’éditeur à « son » auteur, et en ce sens il nous offre une leçon digne du maître.

Enfin, pour qui pourrait penser qu’une moindre place est faite au sonore, au musical, je renverrais

— d’une part à l’entretien avec Matthieu Guillot pour la revue Conférence (n° 12) : Stimmung ist immer verstimmtes !

— d’autre part au vouloir-dire de Francis Ponge et à cette page bien dans la manière d’Henri Maldiney, sur ces quelques lignes en forme de comptine :

« Olives vertes, vâtres, noires
l’olivâtre entre la verte et la noire sur le chemin de la carbonisation » (Pièces)

En ce début d’année 2003, pourrait être formé le voeu que tous les lieux de la lecture publique acquièrent l’ouvrage coordonné par Serge Meitinger, dont il est emblématique qu’il soit édité par une association loi 1901, et que les lecteurs réclament, qui selon son centre d’intérêt, les maîtres-livres d’Henri Maldiney.

© Ronald Klapka _ 17 janvier 2003

[1Henri Maldiney, marcheur impénitent et rochassier subtil, ainsi le dénomme Claude Mettra : Pour saluer Henri Maldiney (Atelier contemporain n°4, directeur François-Marie Deyrolle).

[2SHE Biping, Universite de Fudan, Shanghai, m’a fait la surprise de me demander des renseignements sur H. M. : Ouvrir le rien, l’art nu contient de belles pages sur "L’espace du paysage dans la peinture chinoise" avec des reproductions de Mêng Yü-ch’ien : "La réceptivité, dit Shih tao, précède la connaissance. [...] La révélation première de la peinture chinoise est celle de notre transpassibilité."