07/06/1997, actualisation 2005 — Heather Dohollau, Ronald Klapka
J’écris pour voir ce qui reste à l’extérieur, qui vient s’appuyer contre la vitre du texte, le presque oublié attiré par un mot, une couleur, l’air. [1]
Du colloque de Saint-Brieuc en 1996 à celui de Cerisy en 2005. « La beauté est un bien. ».
Pour introduire aux quelques reflexions qui s’ensuivront à propos des deux colloques respectifs (1996, 2005) je voudrais d’abord évoquer la parole de Geneviève Hofman, photographe, en ce qui concerne la démarche qui l’a conduite à réaliser l’album Quarante écrivains en Bretagne, et spécialement à l’égard d’Heather Dohollau :
La connivence avec l’écrivain peut être trouvée à propos de l’oeuvre, à propos de tout autre chose aussi, mais il faut absolument ce moment de compréhension, d’échange de reconnaissance dont parle Heather Dohollau quand elle raconte le choc qu’elle a eu devant une photo d’August Sander, publiée en première page du supplément "Arts et spectacle" du journal Le Monde. Elle représentait trois jeunes paysans un peu endimanchés qui se rendaient à une danse — Heather était persuadée les connaître :
C’était comme si je revoyais les membres de ma famille ou des amis très proches. Je les avais vu vivre, mais où ? En lisant le lieu et la date j’ai compris que c’était impossible. Mais leur présence était souveraine, inoubliable.
Rien d’anecdotique dans ces propos, mais déjà "l’évidence lumineuse", qui n’en doutons pas, baignera les propos des conférenciers de Cerisy ces 9, 10 et 11 juin prochains, réunis par Daniel Lançon et Tanguy Dohollau. Présence des Lignes de vie également, sur lesquelles nous reviendrons après avoir évoqué un propos d’Yves Bonnefoy, retenu à Hopkins Forest lors du colloque de 96.
« Nous sommes nombreux à être très attachés à l’oeuvre [2] de Heather Dohollau, et pour ma part, j’aurais aimé pouvoir venir lui serrer la main à l’occasion de ces rencontres qui vont se placer sous son signe.
D’autres diront, dans ces journées, ce qu’est la poésie d’Heather Dohollau. Ils permettront ainsi à de nouveaux lecteurs de prendre conscience d’une voix aussi véridique que discrète. Je dirai simplement que ces poèmes sont de ceux qui nous aident à penser que la poésie est toujours vivante ; et qu’elle l’est même toujours là où on aime à la retrouver : non tant sur des hauteurs trop facilement désertes que dans les vallons, chemins et petites rues de la vie de chaque jour, qui est grise parfois mais avec des irisations de pluie qui cesse dès qu’il y a un regard comme celui de ce poète pour dès que le temps le permet, se risquer dehors. »
On se proposera dans les lignes qui suivent de revenir sur une présentation ordonnée et commentée des Lignes de 1996.
Un point d’histoire de “l’internet littéraire” tout d’abord : soucieux de garder mémoire de ce qui s’était tramé à propos d’une belle aventure d’amitiés, membre du "comité web" de mon établissement, je m’étais employé via le nouveau media que constituait internet (au niveau des sites en particulier) à donner davantage d’écho à l’événement briochin [3] et surtout à mieux faire connaître celle qui en avait été le centre et dont la méconnaissance de l’oeuvre m’apparaissait comme un scandale absolu.
Ce fut ainsi que par la suite, les pages bretonnes rejoignaient les ressources étiquetées "écrivains contemporains" (Bergounioux, Goux, Michon etc.) après que François Bon et moi-même nous sommes rencontrés, avons oeuvré ensemble à la formation de formateurs aux ateliers d’écriture (créative) expérimentant les ressources offertes par ce formidable moyen d’échanges (messagerie) de mise en réseau (liens). Bref en ce qui me concerne, les pages Dohollau, furent à la fois la première chronique et la première ébauche de dossier, sur le site impulsé par l’écrivain.
Et il est bien vrai que de nouveaux lecteurs sont passés par là, telle Florence Trocmé, mais j’ai pu voir aussi deci-delà la référence à ces pages qui sont toujours en ligne - du temps a passé ! -, mais que je vais présenter de manière différente ci-après :
D’abord, juste (re) dire qui est Heather Dohollau :
Poète galloise d’expression française, née en 1925 à Treherbert, près de Cardiff, après un séjour à Paris, elle a élu demeure en Bretagne, d’abord à l’île de Bréhat, puis à Saint-Brieuc où elle réside toujours. Elle y a construit une oeuvre de poésie originale, sans concession, dans une grande fidélité à une ligne fixée dès les premiers poèmes publiés en français, avec le soutien d’un éditeur aussi courageux qu’exigeant : Yves Prié (Folle Avoine [4]).
Reconnue et commentée aux Etats-Unis, au Canada, en Suisse, appréciée par les plus grands (Jouve, Bonnefoy, Jaccottet, Grenier, Stétié), ce fut grâce à la complicité tenace et fervente de ses amis - je tiens tout spécialement à saluer Annie Lucas, sans laquelle le risque n’aurait pas été pris, ni le pari tenu- qu’a eu lieu le colloque "Lignes de vie", biennale littéraire de la ville de Saint-Brieuc en 1996.
Si au cours de cette manifestation fut abordée son oeuvre, y fut également célébrée la "sacra conversatio poetarum" puisqu’y furent évoqués Hölderlin, Rilke, Jouve, Segalen, Stétié et Bonnefoy.
Une exposition d’oeuvres contemporaines "les Yeux des mots" : Moore, Music, Morandi, Mitchell, Asse soulignait en outre les rapports étroits qui unissent peinture et poésie dans son oeuvre.
La préface des actes du colloque donnée ici, retrace le mouvement des journées, en souligne aussi la manière selon la volonté d’Heather Dohollau qui déclare bien volontiers Nous écrivons souvent par les interstices dans les oeuvres des autres.
La prière d’insérer est ici restituée avec toutes ses notes, pour dire à quel point la poésie apparemment la plus simple peut être riche en intentions, en culture (ce qui est évidemment le cas d’Heather Dohollau, mais plus encore sa rigueur et sa probité intellectuelles), pour dire aussi qu’il est vrai que dans le jardin "anglais" de Heather, les roses poussent vraiment dans les poiriers, mais comme le dit John Taylor [5] " Basically, all her poetry centers on "seeing," a verb whose meanings , in her work, range from the physiological to the mystical".
Les sept fenêtres sont autant d’ouvertures. Il est bon que Michaël Bishop qui aime et enseigne la littérature française, ait choisi d’abord "cette lente démarche", poème du premier recueil de poésie en français, et comme lui j’affectionne un poème sans titre, des Portes d’en bas (1992) commençant par "La vie est dans la vie" ; la tautologie chez HD n’est pas ce qu’on croit savoir...
La poétique d’Heather Dohollau, c’est à Michaël Bishop qu’il revenait d’en parler, au travers d’un parcours de l’oeuvre de "Seule enfance" à "Matière de lumière". Cet universitaire canadien (d’origine anglaise)est un très grand connaisseur de la poésie française qu’il traduit (Bonnefoy, Titus-Carmel, Marie-Claire Bancquart, Michel Deguy récemment aussi aux éditions VVV) ; il interviendra aussi au colloque concernant Bernard Noël.
Restituer la présence absente, c’est un ami très délicat d’Heather Dohollau, poète lui-même, Pierre-Alain Tâche, qui a donné à la revue dirigée par Pierre Dubrunquez ce très beau texte.
Ne pouvant quitter Lausanne où il exerçait encore les fonctions de magistrat, Pierre-Alain Tâche nous avait offert (à Heather et moi-même) l’occasion d’une lecture à deux voix toute jouvienne : "Une commune mesure" ; nul doute que son intervention de Cerisy sera empathique, ajustée, précise, et remuera les entrailles.
L’ange du visible ;
l’avant-dernier recueil d’Heather Dohollau : Le point de rosée, a donné lieu à une postface de Vianney Lacombe, poète lui-même et qui écrit beaucoup sur l’art contemporain, et on ne s’étonnera guère (cf ; supra ce qu’en dit John Taylor) de ceci :
"Tout ce que Heather Dohollau écrit, elle l’a vu, ou plutôt elle l’a vécu par la vue, et chez ce poète essentiellement visuel, qui ne laisse jamais l’imaginaire prendre le pas sur la sensation , les poèmes peuvent être lus comme des tableaux", aussi le poème ci-après de ce recueil nous conduira au suivant Le Dit des couleurs ( 2002 ) :
Là où sont les couleurs
Des reproductions en noir et blanc
Où la mémoire prend sa palette
Et ce que l’on voit sur la page
Trouve des teints si présents
Que l’on se demande
Si là où sont les couleurs
N’est pas le vrai lieu
Et où sont les tableaux
Trois poèmes : un extrait de La Maison de la vie, Hölderlin à la tour, La Tempesta comme autant de clins d’oeil aux ami(e)s qui se reconnaîtront, manière également de prendre congé dans "l’ailleurs d’ici", dans lequel la poésie d’Heather nous offre selon ses mots, un abri sommaire mais un abri et à inviter à venir y prendre place.
[1] L’adret du jour, Folle Avoine, 1989, cité par Jacques Josse, La poésie contemporaine en Bretagne, n° 913 de la revue Europe, Littérature de Bretagne, coordonné par François Rannou.
[2] Bibliographie :
La Venelle des Portes, 1981, réd. 1996 -
La Réponse, 1982 -
Matière de Lumière, 1985 -
Seule Enfance, 1978 réédition 1996 avec La Venelle des Portes -
Pages Aquarellées, 1989 -
l’Adret du Jour,1989, prix Claude Sernet -
Les portes d’en bas, 1992 -
La Terre Agée, 1996 -
Les cinq jardins et autres textes, 1996 -
Le point de rosée, 1999 -
Le dit des couleurs, 2002
tous recueils édités chez Folle Avoine.
[3] Sites de l’IUFM de Bretagne donc, et du rectorat de l’académie de Rennes, en ce temps-là, 1997.
[4] Éditions Folle Avoine ; ajout 2010, Yves Prié dans son atelier évoque René Rougerie.
[5] Dans Paths to contemporary french literature, pp 298-300 Dwell in Slowness, Explore the Elsewhere of Here